« Je suis totalement interloqué », réagit vivement Jacques Fernique, sénateur écologiste du Bas-Rhin. Ce qui désarçonne le sénateur ? La proposition de décret, déposée par le gouvernement le 28 janvier, qui marque la possibilité du retour des couverts et de la vaisselle en plastique dans les cantines scolaires.
Cette proposition de décret cherche à revenir sur les dispositions de la loi EGalim votée en 2018. Le dispositif, qui a pris effet le 1er janvier 2025, interdit tous les contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique dans les cantines. Il s’agit ici de supprimer de la liste des interdits, les objets qui permettent la consommation des plats.
Le ministère de la Transition écologique a indiqué au Monde vouloir « corriger une faiblesse juridique » considérant les « assiettes et les couverts » comme n’étant pas des contenants alimentaires. « Nous avons préféré les retirer plutôt que de courir le risque d’une invalidation de l’interdiction de tous les contenants alimentaires. »
La proposition de décret du gouvernement intervient dans un contexte maussade pour l’écologie. Bousculée par un climat géopolitique tendu, la question écologique peine à trouver une place dans le débat public actuel.
« Un signal désastreux »
« C’est un véritable retour en arrière », se désole Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagne au sein de l’association ZeroWasteFrance ( « zéro déchet France » ). « Par rapport à la loi AGEC (antigaspillage pour une économie circulaire), on va à contresens. » Voté en 2020, le texte prévoyait un renforcement de la lutte contre la pollution plastique.
Pour la rapporteur du texte de l’époque, la sénatrice Les Républicains Marta de Cidrac, c’est « l’incompréhension la plus totale ». « Il est fondamental que la puissance publique soit la plus exemplaire possible. Il n’y a pas de demande citoyenne de réintroduire le tout plastique. Nous devons être cohérents vis-à-vis de nos concitoyens », explique-t-elle.
Même constat pour le sénateur écologiste Jacques Fernique qui pointe l’absence de « cohérence » de la part du gouvernement. « C’est un signal désastreux envoyé aux collectivités. Dans les territoires, je vois que l’on se demande pourquoi mettre en place les dispositifs de la loi EGalim lorsque notre partenaire, l’Etat, dit « finalement, on n’y va pas. »
Risque de microparticules de plastique
« C’est également un enjeu de santé », s’inquiète Pauline Debrabandere qui souligne le risque d’une alimentation à l’aide d’ustensiles en plastique. « La chaleur des aliments ou leur acidité conduit à la détérioration des couverts en plastique. Détériorés, ils libèrent des microparticules de plastique qui sont ensuite ingérées ».
Dans une étude internationale, publiée en 2024 dans la revue « Cell Reports Medicine », des chercheurs ont observé le risque accru, provoqué par les particules de micro et nano plastiques, dans le développement de maladies non transmissibles comme le cancer, le diabète, les troubles cardiovasculaires et les maladies chroniques des poumons.
« Chez nous, à Strasbourg, on est très rapidement passé à la cantine sans plastique », se félicite Jacques Fernique. « Et la principale difficulté, ce ne sont pas les couverts ou les assiettes, mais plutôt les contenants dédiés à la cuisson qui nécessite un passage à l’inox. Ce qui est tout à fait significatif, c’est que le gouvernement n’accompagne pas sur ce qui compliqué. »
« On a affaire ici à un coup de pression »
« Le gouvernement assouplit là où c’est utile pour les fabricants de plastiques. Il y a beaucoup de renouvellement de plastique pour les assiettes et les couverts contrairement au plastique destiné à la cuisson », s’agace le sénateur.
Pour Pauline Debrabandere également, la responsabilité est à chercher de ce côté : « Le retour en arrière après seulement un mois de l’entrée en vigueur de la disposition sur le plastique de la loi EGalim, montre que l’on a affaire à un coup de pression. Les lobbies et les producteurs de plastiques ont toujours eu recours à des pressions pour faire capoter les textes de loi. »
Le 8 novembre dernier, le syndicat des professionnels de la plasturgie a réussi à faire annuler pour une seconde fois, par le Conseil d’Etat, l’interdiction du plastique pour le conditionnement de fruits et légumes inscrit à l’origine dans la loi AGEC. En 2023, le média Reporterre publiait une enquête sur les pressions exercées par les syndicats du plastique comme l’organisation Plastalliance, principale organisation en France, au niveau européen pour limiter le réemploi et favoriser le recyclage. Contacté par le Monde, le syndicat justifie la proposition de décret du gouvernement en pointant les manquements législatifs de la Commission européenne : « ils (les interdictions) constituent une entrave au marché intérieur et à la liberté de commerce ainsi qu’une surtransposition du nouveau règlement européen sur les emballages qui vient d’être publié. »
« Le moindre mal ici est pour les fabricants, alerte Marta de Cidrac, je pense qu’il faut s’interroger sur qui peut avoir des intérêts dans cette interdiction ».
Jacques Fernique estime qu’il est absolument nécessaire de retrouver l’élan de la loi EGalim. « Le lobby à écouter ce n’est pas celui des plasticiens, mais plutôt celui des collectivités territoriales et des parents d’élèves. »
En cours de consultation jusqu’au 14 mars, la proposition de décret a suscité plusieurs milliers de réactions sur le site des consultations publiques du Ministère de la Transition écologique. Une façon de jauger la réception de la proposition avant une éventuelle publication.