Visite de l’usine Perrier a Vergeze

Scandale des eaux en bouteilles : Bruxelles épingle la France 

Saisie par l’ONG Foodwatch, la Commission européenne a lancé un audit du système français de surveillance de la qualité des eaux en bouteilles. Ses conclusions, rendues mercredi, pointent son inefficacité alors que les industriels sont accusés de pratiques frauduleuses.
Fabien Recker

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Pas de quoi rassurer le consommateur français : dans un audit publié mercredi 24 juillet, la Commission européenne pointe de « sérieuses lacunes » dans notre système de surveillance de la qualité des eaux en bouteilles.

Le système français de contrôle « ne vérifie pas efficacement que les eaux minérales naturelles mises sur le marché satisfont aux exigences légales en vigueur » indique le document, « ce qui rend possible la présence sur le marché de produits […] potentiellement frauduleux ». Pire, notre système serait inadapté « à l’identification et à la correction des risques potentiels pour la santé ».

Révélations dans la presse

Bruxelles avait engagé cet audit à la suite de révélations dans la presse française sur les pratiques douteuses des géants de l’eau minérale. Au-delà du risque sanitaire ou de la tromperie présumée du consommateur, c’est l’incapacité des autorités à mettre un terme à ces pratiques qui interroge – et que dénonce la Commission.

En janvier 2024, Le Monde et France Info révélaient que les plus grandes marques françaises d’eau minérale avaient, pendant des années, eu recours à des techniques de purification illégales. Autorisées sur l’eau du robinet, ces techniques sont en effet interdites sur les eaux commercialisées sous les appellations « eau de source » ou « eaux minérales naturelles ».

Filtrations illégales

Face à ces révélations, Nestlé Waters, filiale du groupe Nestlé qui commercialise des marques prestigieuses telles que Perrier, Vittel ou Contrex, avait reconnu avoir eu recours à des procédés illégaux de purification. Un autre acteur du secteur, Sources Alma (St-Yorre, Cristalline, Vichy Célestins) est aussi dans le collimateur d’une enquête préliminaire du parquet d’Epinal.

L’affaire débute en 2021, quand un lanceur d’alerte signale à la Direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF) des pratiques frauduleuses au sein d’une usine du groupe Sources Alma. Dépêchés sur place, les enquêteurs constatent rapidement des irrégularités : « adjonction de gaz carbonique industriel », « traitements non autorisés », « injection de sulfate de fer », « utilisation de filtres à charbons », « microfiltration non autorisée » rapporte Le Monde. La DGCCRF élargit alors ses investigations aux autres fabricants.

Un rapport explosif : le gouvernement savait ?

Mis en difficulté, les industriels prennent les devants : toujours selon les révélations du Monde et de France Info, les dirigeants de Nestlé Waters auraient, dès 2021, sollicité un rendez-vous à Bercy afin de plaider un assouplissement de la législation encadrant la production d’eau minérale en bouteille.

Dans la foulée, le gouvernement commande un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour y voir plus clair. Ses conclusions sont explosives, et confirment les découvertes des enquêteurs de la répression des fraudes : au moins 30 % des marques françaises auraient recours à des traitements non conformes de leurs eaux en bouteille.

Contaminations d’origine fécale

Remis à l’exécutif à l’été 2022, le rapport ne sera pourtant rendu public qu’en février 2024, après que des parlementaires en ont exigé la publication. De quoi alimenter les soupçons de collusion, ou du moins de complaisance coupable des autorités envers les industriels.

D’autant qu’en octobre 2023 (soit quelques mois avant les révélations du Monde et de France Info) une note confidentielle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) mettait déjà en cause Nestlé Waters. Des prélèvements avaient permis de détecter la présence de pesticides en décomposition ainsi que de per- et polyfluoroalkylées : aussi appelés PFAS, ces substances chimiques sont pour certaines jugées cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer. L’Anses relevait aussi la présence de contaminations d’origine fécale dans des prélèvements.

Vers une commission d’enquête parlementaire ?

« Plus on avance, plus le problème devient inquiétant » s’alarme le sénateur socialiste de l’Oise Alexandre Ouizille. « On est passé de la tromperie au sanitaire. Et que vient dire l’audit de la Commission européenne ? Votre contrôle est lacunaire ». Dénonçant le « mutisme du gouvernement », l’élu demande une commission d’enquête parlementaire. « Si je veux savoir quelle est la part de négligence, la part d’opacité, de collusion éventuelle dans ce qui s’est passé, il nous faut une commission d’enquête ».

Au Sénat, une mission « flash » d’information sur les politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de sources est déjà en cours. Menée à l’initiative des écologistes, elle auditionne acteurs économiques et autorités de contrôle. « On constate souvent une volonté de masquer certains résultats et un manque de transparence sur les résultats d’analyse » s’agace Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat. La mission doit rendre ses conclusions en septembre.

« Il fallait prévenir les consommateurs »

Le sénateur pointe aussi le manque de moyens grandissant de l’Etat face aux multinationales. « La DGCCRF a perdu la moitié de ses effectifs. On veut faire des économies mais cela va nous coûter beaucoup plus cher au final ».

Pour l’ONG de défense des consommateurs Foodwatch, qui est à l’origine de l’audit lancé par la Commission européenne, le rapport bruxellois est une victoire. « En l’absence de réaction des autorités françaises, on s’est tourné vers la Commission européenne » explique Ingrid Kragl, directrice de l’information de Foodwatch. « Ce n’est pas normal que des autorités compétentes de contrôle soient au courant et ne préviennent pas la Commission européenne ni les autres Etats membres. Ces produits frauduleux sont commercialisés partout et on ne peut pas les laisser sur le marché. Il fallait prévenir les consommateurs ».

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