Une suspension jugée « disproportionnée » par la justice. À quelques jours de Noël, le site d’ultra-fast fashion Shein évite une mise à l’arrêt forcée. Le tribunal judiciaire de Paris a rejeté, vendredi 19 décembre, la demande de l’État de bloquer provisoirement la plateforme en France pour une durée minimale de trois mois. En cause, la vente de produits illicites comme des poupées sexuelles à l’apparence de fillettes, des armes de catégorie A et des médicaments interdits, qui avait conduit le gouvernement à réclamer une mesure radicale. La juridiction a considéré que les faits reprochés étaient « ponctuels » et que le retrait volontaire des produits litigieux par la plateforme rendait inutile une mesure aussi radicale. Elle a toutefois assorti sa décision d’une injonction interdisant à Shein de remettre en vente des produits sexuels sans contrôle strict de l’âge. Pour la sénatrice Les Républicains Marie-Claire Carrère-Gée, cette décision ne saurait clore le dossier. « La décision rendue aujourd’hui par le juge des référés n’est pas illogique, les produits ayant été retirés. Mais que Shein ne s’y trompe pas : cette décision ne clôt rien », avertit-elle, estimant que « la stratégie globale de l’État doit être questionnée ».
« Ce jugement est particulièrement décevant. »
Cette décision a suscité une vive déception dans les rangs de la gauche. Le sénateur socialiste de l’Hérault Hussein Bourgi juge la décision de justice « particulièrement décevante ».
« Depuis quelques années, le principe de précaution s’applique et se généralise à toutes et tous. Or, en exonérant Shein de ce principe, le tribunal semble méconnaître la réalité des dérives du commerce en ligne », affirme-t-il. Pour le sénateur, la portée symbolique de la décision dépasse largement le cas Shein. « C’est un mauvais signal envoyé au monde économique et, plus largement, à la société. C’est fort dommage », insiste-t-il.
Même tonalité chez les écologistes. Le président du groupe au Sénat, Guillaume Gontard, se dit « surpris et déçu » par la décision du tribunal. « Il y avait tous les éléments pour justifier une suspension, à la fois sur les pratiques commerciales et sur des cas très graves, comme les poupées sexuelles », souligne-t-il, tout en rappelant que « l’on prend acte d’une décision de justice ». Il pointe néanmoins une mise en conformité qu’il juge incomplète : « Shein est rentré dans les clous sur certains points, mais pas sur l’ensemble des pratiques commerciales qui posent question ».
Des enjeux sanitaires
Au-delà des contenus illicites, plusieurs sénateurs alertent sur les risques sanitaires liés aux produits vendus par la plateforme. Guillaume Gontard évoque notamment des études des chambres de commerce et d’industrie faisant état de « maladies liées au port de certains vêtements », posant la question du contrôle aux frontières. « Il faut éviter que des produits non conformes ne soient remis en circulation, comme cela a déjà été le cas », insiste-t-il.
Vers une réponse politique et législative ?
La décision judiciaire relance le débat sur l’arsenal juridique dont dispose l’État face aux géants étrangers de l’e-commerce. Pour Guillaume Gontard, l’issue du dossier pourrait imposer un changement de méthode. « Si, par la voie légale actuelle, il n’est pas possible de contrer efficacement Shein, alors il faudra modifier les règles par une voie politique claire », avance-t-il.
Marie-Claire Carrère-Gée appelle, de son côté, à « redoubler de vigueur » sur trois fronts jugés décisifs : le déréférencement des produits non conformes par les plateformes, la taxation douanière immédiate des petits colis et un combat européen renforcé contre le dumping. « Le gouvernement doit obtenir des enquêtes antidumping massives au niveau de l’Union européenne pour rétablir une concurrence loyale », conclut-elle.
La bataille engagée par l’exécutif contre les plateformes étrangères de commerce en ligne est donc loin d’être terminée et pourrait désormais se jouer sur le terrain parlementaire, voire européen.