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Sobriété énergétique : « Un pilier essentiel, sinon le premier, de la transition écologique », selon un rapport parlementaire

Longtemps oubliée de la production administrative sur la transition énergétique, la sobriété énergétique est – depuis la guerre en Ukraine – un incontournable des politiques publiques écologiques. Un rapport de l’Opecst revient sur les points forts de cet axe des politiques publiques de décarbonation et préconise des mesures pour arriver à l’objectif de 40% de réduction de la consommation d’énergie à horizon 2050.
Louis Mollier-Sabet

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Si les chantres de la transition écologique avaient mis le sujet sur la table depuis de nombreuses années, il a fallu attendre l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe pour que la sobriété énergétique gagne ses lettres de noblesse dans le discours public. Dès octobre 2021, des experts soulignaient auprès de publicsenat.fr que le scénario Futurs Energétiques de RTE se focalisait sur la production d’énergie et le volet « offre », et moins sur la consommation et le volet « demande », dont la baisse de 40 % est nécessaire d’ici 2050 pour respecter la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Quelques mois plus tard, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) commet un rapport d’Olga Givernet (Renaissance) et Stéphane Piednoir (LR) sur « les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique. »

La sobriété énergétique : d’oubliée des politiques énergétiques… à pilier de la décarbonation

Le rapport admet tout d’abord l’angle mort qu’a constitué la sobriété énergétique dans les politiques publiques ces dernières années : « La sobriété énergétique, jusque-là trop souvent ignorée, apparaît donc aujourd’hui comme un pilier essentiel, sinon le premier, de la transition énergétique. »

Mais c’est aussi l’occasion de faire le bilan du plan de sobriété finalement lancé par le gouvernement le 26 juin 2022, il y a tout juste un an en réaction aux tensions sur le marché de l’énergie européen, notamment au regard des échéances de réduction de la consommation d’énergie de 10 % à horizon 2024. Le rapport de l’Opecst se félicite ainsi de « mesures d’urgence » qui ont eu « un effet significatif » sur la consommation d’énergie et « ont probablement permis d’éviter les situations de tension, […] voire des pénuries », avec une consommation française qui a baissé de 8 % pour l’électricité et de 13 % pour le gaz par rapport aux mêmes périodes les années précédentes.

Mais au-delà de ce bilan à court terme des mesures pensées comme des mesures d’urgence face à une crise énergétique, le rapport entend inscrire la sobriété énergétique comme un axe des politiques publiques de décarbonation à long terme. La Stratégie nationale bas carbone repose en effet sur trois axes : la décarbonation des sources d’énergie utilisées, l’efficacité énergétique, qui consiste à produire, grâce à l’innovation technologique, des biens et des services équivalents pour moins d’énergie, et enfin la sobriété énergétique, définie comme la « réduction de la consommation d’énergie par des changements d’ordre comportemental. » Signe de la sous-exploitation de ce dernier pilier de la transition énergétique, la sobriété n’est « mentionnée qu’incidemment qu’à quatre reprises » dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2023, qui doit être révisée cette année.

Une solution moins consommatrice en ressources naturelles, et qui atténue l’effet-rebond

Pourtant, ce levier présente deux avantages. D’abord, le rapport souligne que, contrairement à la décarbonation et à l’efficacité énergétique, la sobriété présente l’avantage de « faciliter le déploiement des nouvelles infrastructures en limitant la pression sur les ressources naturelles », et notamment les métaux rares, nécessaires à la production d’électricité. Ainsi, le rapport de l’Opecst cite le travail de RTE sur la neutralité carbone en 2050, qui montre qu’en cas « d’effort de sobriété volontaire », la consommation électrique annuelle de référence baisserait de 15 %, soit l’équivalent de six fois la production solaire actuellement installée en France, trois fois la capacité éolienne terrestre actuelle, cinquante parcs d’éolien en mer type « Saint-Nazaire », ou encore huit réacteurs nucléaires de type EPR2. À l’heure où la France est en retard sur ses objectifs de déploiement d’énergie renouvelable et où la mise en fonction des futurs EPR 2 est entourée des incertitudes liées à l’ampleur du « pari industriel », la sobriété apparaît comme une piste salutaire pour la transition énergétique française.

Ensuite, la sobriété a aussi l’avantage de limiter « l’effet rebond », bien connu des travaux sur la transition écologique.

Effet rebond

Lorsque la technologie évolue et que l’on peut faire plus avec moins d’énergie, on aurait tendance à penser que la quantité d’énergie consommée par un service diminue.

Par exemple, avec des moteurs de voiture plus efficaces, passant en moyenne de 9 litres d’essence consommés pour 100 km à 6 litres aujourd’hui, la logique voudrait que la consommation totale d’essence diminue grâce aux gains d’efficacité énergétique. Or empiriquement, on constate qu’il n’en est rien : la quantité d’essence consommée continue d’augmenter.

C’est ce que l’on appelle « l’effet-rebond » : l’amélioration de l’efficacité énergétique peut être rognée par une augmentation globale de la consommation, notamment à cause de l’effet incitatif des prix.

À cet égard, la sobriété énergétique permet en quelque sorte de contrer cet « effet-rebond », explique le rapport d’Olga Givernet et Stéphane Piednoir : « Parce qu’elle repose sur une réduction volontaire de la consommation, la sobriété permet de limiter les effets rebonds, voire de bénéficier pleinement de la réduction de consommation résultant des améliorations d’efficacité énergétique apportées par l’innovation technologique. »

Bâtiment, industrie, recherche : les pistes pour la sobriété énergétique

Concrètement, comment mettre en place des politiques de sobriété énergétique ? Le rapport se concentre sur plusieurs secteurs de l’économie très consommateurs en énergie pour égrainer les pistes. Sur le bâtiment, notamment, ce rapport de l’Opecst reprend une proposition du même office parlementaire, datant de 2014, sur les « freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment. » Une des pistes évoquées est de mettre en place une « gestion active de l’énergie » dans le bâtiment, qui consiste à installer des capteurs permettant d’être dans une « régulation fine » des apports en énergie de chaque pièce en fonction de leur utilisation par les occupants. Les systèmes les plus élaborés permettraient de réduire de 40% la consommation liée au chauffage.

Dans l’industrie, l’Opecst recommande d’améliorer la formation des ingénieurs et des architectes à l’écoconception, ainsi que de doubler le nombre d’électriciens formés au niveau Bac Pro ou BTS pour répondre aux besoins d’électrification. Au niveau de l’éclairage public, par exemple, Olga Givernet et Stéphane Piednoir tablent sur l’introduction d’un « plan LED » pour diminuer la consommation énergétique, en faisant attention, notamment à « l’effet-rebond » et que ce ne soit pas l’occasion d’augmenter le nombre d’éclairages publics sous prétexte qu’à l’unité, les LED consomment moins.

Au niveau législatif et administratif, la consommation énergétique pourrait être incluse dans les études d’impact ou dans les évaluations avant les investissements publics. Un effort de recherche pluridisciplinaire (sociologie, économie, psychologie, science politique et sciences dites « dures ») devra être mené autour de la sobriété, notamment sur l’acceptabilité de ces politiques et « le renversement des normes sociales qui encouragent la surconsommation. » Le rapport préconise aussi une campagne publique sur le « juste assez », ainsi que l’obligation d’inclure des messages éducatifs sur la surconsommation dans la publicité commerciale.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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