Le Shift Project, think tank fondé par Jean-Marc Jancovici, dévoile une large consultation réalisée auprès de 8 000 agriculteurs. Une écrasante majorité manifestent leur inquiétude face aux effets du changement climatique sur leurs fermes et se disent prêts à transformer leurs pratiques, mais 87 % d’entre eux estiment ne pas être suffisamment aidés financièrement dans cette transition.
Tempête Daniel en Libye : « Ces cyclones vont devenir un peu moins fréquents, mais plus forts en termes d’intensité »
Par Ella Couet
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Comment peut-on qualifier le phénomène météorologique qui a frappé successivement la Grèce, la Turquie, la Bulgarie et maintenant la Libye ?
Il s’agit d’une dépression née comme une dépression méditerranéenne normale, mais qui a évolué dans ce que l’on appelle un medicane. C’est un terme spécifique qui vient de la contraction entre « Méditerranée » et « hurricane » (ouragan en anglais, NDLR). Mais il y a plusieurs termes, on parle aussi de cyclone tropical like. Mais des cyclones « normaux », il peut y en avoir sur la France toute l’année. Ils se forment lorsqu’il y a un contraste entre air froid et chaud. La différence, avec celui-ci est qu’il est trop alimenté en air chaud, parce que l’eau de la Méditerranée est anormalement chaude cette saison, donc ça le rend similaire à un cyclone tropical.
Est-ce un phénomène anormal ?
Historiquement, c’est un phénomène naturel, ce n’est pas anormal d’observer des medicanes. Il y en a en moyenne entre zéro et trois par an. Certaines années on n’en observe aucun, mais des fois il y en a deux ou trois. Il est plus commun qu’ils se forment dans l’ouest de la Méditerranée ou dans l’Adriatique. Au sud de la Grèce ce n’est pas impossible, mais c’est plus rare. Ça fait partie de la variabilité naturelle du climat. Il y a d’autres différences. Normalement, les vents se déplacent d’ouest en est, mais cette dépression s’est formée sur la Grèce puis s’est déplacée vers le sud. Elle s’est déportée aléatoirement.
Ce qu’on observe aussi, c’est que le cyclone est resté stationné sur la Grèce pendant plusieurs jours. En climatologie, c’est ce qu’on appelle un blocage. En même temps que les inondations sur la côte est de la Méditerranée, il y a aussi eu des inondations en Espagne et de très fortes chaleurs entre les deux, notamment en France. Tout cela fait partie d’un même phénomène météorologique.
Ce qui fait qu’on a observé une telle quantité de précipitations, c’est que le cyclone disposait d’énormément d’eau disponible à cause de la température très chaude de la Méditerranée, il était très rechargé et est venu décharger toutes ses précipitations là-bas. Habituellement, en plus, ces cyclones restent sur la mer. Ce n’est pas commun qu’ils viennent frapper la côte africaine, il aurait pu toucher le sud de l’Italie par exemple. D’ailleurs, on observe qu’il a ralenti quand il a touché la côte libyenne, parce que normalement ils vivent sur la mer.
Y a-t-il un lien entre ces cyclones et le dérèglement climatique ?
Il y a un lien, mais il n’est pas linéaire. Au sein du GIEC, une évaluation de tendance est faite pour ce type de cyclone. On n’observe pas d’augmentation de la fréquence. Ce que suggèrent les projections climatiques est que ces cyclones vont devenir un peu moins fréquents, mais plus forts en termes d’intensité. Le GIEC a prévenu qu’il risque d’y avoir des précipitations très concentrées, cela est lié au fait que la Méditerranée se réchauffe plutôt vite. Après, il faut garder en tête que ces prévisions sont faites par le GIEC avec une « confiance moyenne ».
Peut-on voir venir ces événements à l’avance ou prennent-ils les pays par surprise ?
Ce sont des phénomènes qu’on peut anticiper. Dans le cas du cyclone Daniel, on l’avait vu arriver. Beaucoup de météorologues l’avaient anticipé. Les services météorologiques libyens avaient émis une alerte avec trois jours d’avance. Mais il y a des problèmes politiques en Libye, une fragilité dans les institutions qui a empêché la prise de mesures efficaces d’urgence, lorsque le cyclone est arrivé sur le pays. Et cette instabilité politique crée aussi des problèmes en amont, on a par exemple eu des problèmes d’entretien des barrages. Or dans la ville de Darna, l’ampleur des dégâts est liée au fait que deux barrages se sont rompus et ont déversé toute leur eau sur la ville.
L’autre problème, c’est que ce sont des régions qui n’ont pas l’habitude de ce genre de phénomène. Par exemple, les barrages sont construits pour faire des réserves d’eau mais pas pour faire face à des précipitations extrêmes, qui sont très peu fréquentes dans la région. Il y a donc la combination d’une instabilité préexistante avec la nouveauté des phénomènes.
Il y a donc des pays qui sont plus vulnérables que d’autres face aux cyclones ?
Oui. Les pays qui se trouvent dans des situations politiques et socio-économiques moins stables y sont moins préparés, il y a une différence dans le niveau de précautions pris pour ce genre d’événement. D’autant plus quand ce sont des événements jamais vus, parce qu’on a tendance à s’adapter à des phénomènes que l’on connait historiquement. Des pays comme ceux de l’Union Européenne seraient probablement moins durement touchés par un cyclone comme Daniel, parce qu’ils disposent d’infrastructures plus adaptées, et qu’on accorde plus de financement à l’entretien de ces infrastructures. A l’inverse, la côte africaine est plus vulnérable, juste parce qu’historiquement elle ne connait pas de précipitations fortes.
Cependant, il y a aussi des contre-exemples, comme ici en France : on sait qu’on peut subir des tornades très violentes, mais comme elles sont très rares ce n’est pas autant un sujet d’alerte comme cela peut par exemple l’être aux Etats-Unis.
Que devraient faire les pays pour être mieux préparés ?
Même le GIEC, qui base ses travaux sur une littérature scientifique énorme, n’est pas capable de donner des niveaux de confiance élevés. On ne peut pas savoir exactement à quoi s’attendre, à quoi il faut se préparer. Donc pour être sûr d’être vraiment préparé, il faudrait prévoir tous les types de phénomènes qui pourraient se produire, et adopter des niveaux de précautions encore supérieurs à ceux préconisés. Par exemple, dans le cas d’un risque de sécheresse d’un an et demi, il faudrait se préparer à une sécheresse de deux ou trois ans pour être sûr de ne pas rencontrer les limites du dispositif. Il y a des choses très différentes à mettre en place : rénover et entretenir les barrages, les bâtiments. Ce n’est pas simple parce que ce sont des travaux qui demandent beaucoup de temps et qui coûtent cher.
Et on doit se préparer à un très grand nombre de phénomènes climatiques : les sécheresses, les précipitations et orages extrêmes, les inondations… Il y a beaucoup de choses à faire. Le rôle du GIEC est à la fois d’avancer dans la compréhension du climat, mais aussi de donner des pistes de solutions pratiques. Ensuite vient l’étape des politiques publiques.
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