La grogne au Parlement gagne en intensité contre la planification énergétique du gouvernement. Plusieurs parlementaires du socle commun, spécialisés sur ces questions, ont lancé un appel ce 1er avril au Sénat pour que l’exécutif renonce à la publication imminente de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), qui doit fixer les objectifs en matière de production et de consommation pour les dix prochaines années. Ils estiment que les choix retenus dans cette feuille de route, qui « fait la part belle aux énergies intermittentes » (éolien et photovoltaïque) vont peser sur les factures d’électricité, mais aussi sur la sécurité d’approvisionnement.
« Ce décret va sceller, sans débat parlementaire, l’avenir énergétique de notre pays sur les dix prochaines années […] Une programmation pluriannuelle de l’énergie conçue dans un autre monde – celui d’avant les crises, d’avant la guerre, d’avant l’explosion des factures », ont dénoncé dans un texte commun plusieurs parlementaires issus notamment de LR, de l’UDI ou encore d’Horizons, trois partis actuellement représentés au gouvernement, mais également plusieurs spécialistes du secteur. Au total, 90 sénateurs et députés ont cosigné l’appel.
« Si on n’a pas de rectification de la trajectoire, ça peut mal finir », craint le sénateur Vincent Louault
« On dit juste qu’on est en roue libre et que si on n’a pas de rectification de la trajectoire, ça peut mal finir », a dénoncé le sénateur (Les Indépendants) Vincent Louault, membre d’Horizons. « Si le Parlement était ignoré, ce serait un sacré bras d’honneur à la représentation nationale », s’est également indigné le sénateur (Union centriste) Vincent Delahaye, l’ancien rapporteur de la commission d’enquête sur les prix de l’électricité.
Le 11 mars, plus de 160 sénateurs de droite et du centre avaient écrit à François Bayrou pour lui demander de renoncer à la publication du décret (relire notre article), fustigeant l’absence de « vision globale ». Ils n’ont obtenu aucune réponse à ce jour, de quoi renforcer leurs craintes alors que la consultation finale du public sur le projet de PPE s’achève cette semaine.
« On va tout droit vers un black-out », met en garde l’ancien patron de RTE
Selon le dernier projet de PPE, entre 35 % et 40 % de la production d’électricité décarbonée doit être assurée par l’électricité photovoltaïque et les parcs éoliens (terrestres et maritimes) en 2035. Plusieurs anciens cadres de la filière ont alerté aux côtés des parlementaires, au Sénat ce 1er avril, sur les conséquences d’un tel niveau d’énergies intermittentes.
Outre les investissements lourds qui se répercuteront pour les particuliers et les entreprises, en raison du niveau de subventions à ces énergies et des coûts importants du raccordement, plusieurs spécialistes y voient également un risque sur la stabilité du réseau. « Si on atteint l’objectif fixé par le Green deal (le Pacte vert, qui intègre les initiatives de la Commission européenne pour assurer la neutralité carbone en 2050, ndlr), on va tout droit vers un black-out, un effondrement du système électrique », a mis en garde André Merlin, directeur de RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) de 2000 à 2007. Dénonçant des objectifs « irréalistes et déraisonnables », cet ingénieur polytechnicien a souligné que les énergies renouvelables, que le gouvernement souhaite voir monter en puissance, « ne sont pas pilotables et ne participent nullement au contrôle de la stabilité du système électrique ». L’ancien patron de RTE a également partagé ses inquiétudes sur l’évolution des tarifs, si la PPE devait être respectée. « Le prix de l’électricité en 2035 pour les particuliers, ça va doubler », a-t-il calculé.
« On est en train de gâcher un des atouts de la compétitivité de la France », s’est également ému l’ancien président-directeur général d’EDF, Henri Proglio (2009-2014). « Il faut réinvestir dans le nucléaire beaucoup plus fortement que ce qu’annonce la PPE aujourd’hui », a encouragé le sénateur Vincent Delahaye. Le projet de planification confirme le programme de construction de 6 nouveaux EPR 2, mais laisse un nouveau lot de 8 EPR 2 au stade d’une étude.
Bien décidés à se prononcer sur la trajectoire, les députés ont profité de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique pour mettre un pied dans la porte. Ils ont adopté un amendement en commission le 26 mars, pour exiger l’adoption au Parlement avant juillet 2026 d’une loi fixant les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour les soixante années à venir.
Les parlementaires demandent la définition d’une trajectoire énergétique sur 60 ans
« Il renvoie par décret tout l’opérationnel à l’État, en le contraignant à une chose : ne pas faire de discrimination entre les énergies décarbonées », a défendu ce mardi Henri Alfandari (Horizons). Le député de l’Indre-et-Loire s’est dit optimiste sur les chances de survie de son amendement en commission mixte paritaire, au vu des équilibres de cette dernière. À condition que l’article soit confirmé au préalable en séance publique. La « finalisation » de cet amendement fait partie des demandes de l’appel du 1er avril.
Une autre possibilité d’obtenir un débat sur la trajectoire énergétique et la définition des objectifs serait d’inscrire à l’agenda de l’Assemblée nationale la proposition de loi du sénateur LR Daniel Gremillet, adoptée au Sénat en octobre 2024, a rappelé le sénateur LR Stéphane Piednoir. Pour rappel, la loi énergie-climat de 2019 prévoyait l’adoption tous les cinq ans d’une programmation énergétique, au plus tard le 1er juillet 2023. Le Parlement n’a jamais été saisi malgré cette disposition législative, et les sénateurs ont cherché à provoquer ce débat tant attendu.
L’épée de Damoclès d’une censure du RN
Invité de France Info le 28 mars, le ministre de l’Industrie et de l’Energie Marc Ferracci s’était dit « ouvert à l’idée de débattre […] y compris un débat avec un vote à la fin ». L’ancien député Renaissance a précisé que ce débat aurait lieu à l’occasion de l’examen de la proposition de loi Gremillet, qui sera inscrite « à un moment ou un autre », selon lui.
Il faut dire que le Rassemblement national, opposé lui aussi à la définition d’une stratégie par décret, fait désormais planer la menace d’une motion de censure, la politique énergétique venant se greffer à une liste de griefs qui s’allonge depuis plusieurs jours. « On y pense de plus en plus. C’est une ambiance globale qui monte », nous confiait un parlementaire RN il y a quelques jours. Les députés de Marine Le Pen ont d’ailleurs décidé de déposer un texte reprenant à l’identique la proposition de loi sénatoriale de l’automne.
Stéphane Piednoir a indiqué que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qu’il préside, « évaluera les conséquences technologiques de ce mix énergétique qu’on nous impose depuis quelques années ».