Zéro artificialisation des sols : « Le ministre Béchu a bien entendu la colère du terrain », selon Sophie Primas

Zéro artificialisation des sols : « Le ministre Béchu a bien entendu la colère du terrain », selon Sophie Primas

La loi Climat et Résilience de 2021 prévoit une réduction de l’artificialisation des sols pour un objectif de zéro en 2050. Les décrets d’application, parus en avril 2022, ont provoqué une vive colère et une forte mobilisation au Sénat et chez les élus locaux. En réponse, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, a temporisé l’application de ces décrets. Une décision saluée au Sénat.
Mathilde Nutarelli

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Macron l’avait promis devant la Convention citoyenne pour le climat, il mettrait en place un plan de « zéro artificialisation nette » (ZAN). Autrement dit, il ralentirait la bétonisation des sols et l’urbanisation, afin d’être plus respectueux de l’environnement. Une telle mesure a bien été votée, dans la loi Climat et Résilience de 2021. Elle prévoit de réduire de moitié la bétonisation d’ici à 2031, pour atteindre l’objectif de l’urbanisation zéro en 2050.

La grogne des élus locaux

Les décrets d’application de cette loi sont sortis au printemps 2022, et ils ont provoqué la grogne des collectivités locales et de la majorité sénatoriale. Ainsi, en juin, l’Association des Maires de France a déposé un recours devant le Conseil d’Etat. Au mois d’août, les présidents des groupes de la majorité sénatoriale, le LR Bruno Retailleau et le centriste Hervé Marseille, ont demandé au ministre de la Transition écologique Christophe Béchu un moratoire sur les décrets d’application jusqu’au 1er septembre 2023.

Ce que ces élus reprochent à cette mesure, c’est d’abord de ne pas respecter l’esprit de la loi de 2021. Elle prévoyait que les objectifs généraux de réduction de l’artificialisation soient fixés au niveau régional (dans le Sradet, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), mais que les modalités concrètes de mise en place de ces objectifs soient laissées aux intercommunalités (dans les Scot, Schéma de cohérence territoriale). Or, dans les décrets, les modalités sont fixées directement dans le Sradet. « C’est très restrictif, nous souhaitons donner davantage d’initiative au terrain », regrette le sénateur PS de la Haute-Vienne Christian Redon-Sarrazy. Sophie Primas, présidente LR de la commission des affaires économiques du Sénat, dénonce, elle, une « trop grande verticalité ».

Par ailleurs, cela ne permet pas de prendre en compte les réalités locales : « Les bons élèves, qui avaient arrêté d’artificialiser avant le décret, risquent d’être traitées comme les mauvais élèves », déplore Christian Redon-Sarrazy.

Au-delà de cet aspect très technique, les acteurs de terrain craignent que ces décrets ne portent atteinte à leur développement économique, ainsi qu’à leur fiscalité. « Les acteurs du terrain savent qu’il y a des efforts à faire en termes d’artificialisation, aucun élu ne conteste la nécessité de maîtrise de l’espace urbanisé », précise Christian Redon-Sarrazy. « Le problème, c’est le calendrier et les moyens ».

Christophe Béchu temporise

La fronde des élus a fonctionné. En effet, le 4 août, le ministre décide de temporiser la mise en application de ces mesures par une circulaire. Concrètement, il accorde un délai supplémentaire aux préfets pour appliquer les décrets tant décriés, jusqu’à la fin des concertations avec les collectivités locales, qui ont déjà démarré. « Le ministre Béchu a bien entendu la colère du terrain, il est lui-même élu local et a bien compris les enjeux », se réjouit Sophie Primas. Même son de cloche chez Christian Redon-Sarrazy. Le ministre s’est en effet dit ouvert à une réécriture d’une partie des décrets, plus favorable aux revendications des élus locaux.

« Le « zéro artificialisation nette » ne tient pas la route »

Du côté des associations environnementales, le projet de « ZAN » n’emballe pas, tel qu’il est écrit dans la loi. Pour Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne, « le « zéro artificialisation nette » ne tient pas la route ». Pour lui, « la compensation est un concept totalement fallacieux puisque des dérogations sont permises, par exemple pour implanter des surfaces commerciales, des plateformes logistiques ». Ce qui, pour lui, est particulièrement grave, parce qu’ « on ne peut pas remettre à l’état agricole des surfaces déjà artificialisées ».

Il plaide plutôt pour une « zéro artificialisation », et appelle les élus locaux à se saisir du sujet. Aux élus inquiets pour le développement économique de leur commune, il répond : « L’agriculture, c’est un secteur pourvoyeur d’emploi et de dynamisme territorial. Il y a beaucoup à faire avec le monde agricole, c’est un enjeu de souveraineté alimentaire et de sobriété énergétique ». D’autant que, pour lui, des solutions existent : « Il faut surtout réutiliser les friches, les terres agricoles sont de plus en plus grignotées. »

Un groupe de travail au Sénat

Le sujet mobilise les sénateurs. Un groupe de travail est en cours de formation au Sénat, il débutera ses travaux fin septembre, d’après Sophie Primas. Le but du groupe est de rédiger une proposition de loi, déposée vraisemblablement à la fin 2022 ou au début 2023, pour clarifier la situation. Mais Christophe Béchu a d’ores et déjà prévenu devant l’Assemblée nationale : le calendrier ne sera pas amené à évoluer.

Dans la même thématique

Tractor spray fertilise field pesticide chemical
8min

Environnement

Nouveau Plan Ecophyto : au Sénat, la droite applaudit et les écologistes dénoncent un « grand recul »

C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route on n’aura plus rien pour les années d’avant, on va avoir une grosse baisse, c’est normal » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

Le

Zéro artificialisation des sols : « Le ministre Béchu a bien entendu la colère du terrain », selon Sophie Primas
5min

Environnement

Environnement : le Portugal, paradis des énergies vertes ?

En 2023, la production d’énergies renouvelables a atteint un record historique au Portugal. Bénéficiant des vents de l’Atlantique, le pays s’appuie sur l’énergie éolienne, et fait le pari de l’innovation. Reportage.

Le