S’il y a un bien un acronyme qui angoisse les élus locaux, c’est bien le ZAN. Le « zéro artificialisation nette », disposition majeure de la loi climat-résilience de 2021, consiste à ralentir la bétonisation des sols et l’urbanisation. Deux paliers sont prévus. D’ici à 2031, le rythme de progression sur les espaces naturels, agricoles et forestiers devra être diminué de moitié par rapport à la décennie précédente. Et à l’horizon 2050, les espaces aménagés par l’homme ne pourront plus progresser, sauf à être compensés par de nouveaux espaces naturels à un autre endroit.
Mais depuis un an, la mise en œuvre concrète de cet objectif vire au casse-tête pour les maires, à tel point que le gouvernement a dû remettre sur le métier des décrets du printemps 2022, contestés par les associations d’élus et le Sénat. Le ZAN vient en effet se heurter à d’autres problématiques communales, comme le logement ou le développement économique. Celles-ci redoutent surtout une asymétrie dans l’effort et une recentralisation des décisions.
La machine devrait se dégripper en partie cet été au Parlement. En septembre, une mission de contrôle sénatoriale s’est saisie du sujet. Elle a donné lieu une proposition de loi transpartisane pour « faciliter la mise en œuvre du zéro artificialisation nette », adoptée en séance le 16 mars. Le gouvernement a appuyé cette initiative, non sans cacher son opposition à certains correctifs. Dans la feuille de route de Matignon dévoilée fin avril, la recherche d’un « meilleur dispositif » pour le ZAN fait partie des chantiers à mener à bien d’ici l’été. La proposition de loi sénatoriale sera débattue à l’Assemblée nationale le 21 juin.
« Un chemin en train de se dessiner », selon le ministre
En marge des assises de l’Association des petites villes de France ce 1er juin, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s’est montré plutôt confiant sur l’émergence d’un compromis parlementaire. « Il y a un chemin qui est en train de se dessiner pour faire en sorte qu’on ait idéalement avant la mi-juillet un dispositif complet applicable, loi et décret », a-t-il affirmé.
Pour aller vite, le gouvernement prévoit d’aborder certains aspects par décret, comme la nomenclature, c’est-à-dire la définition des types d’espace pour le calcul du ZAN. « Il faut qu’on soit pleinement associés à la rédaction des décrets », demande tout de go le sénateur LR Jean-Baptiste Blanc. « Les sénateurs sont quand mêmes prudents, car échaudés par les précédents. » Sans parler du symbole. « On demande aux sénateurs de revenir sur des dispositifs législatives qu’on a votées à plus de 300, ce n’est pas rien ».
Le sénateur de Vaucluse, parle d’un « exercice assez inédit » dans la méthode, avec plusieurs réunions avec le ministre ces derniers mois. Il témoigne aussi d’une volonté partagée que les deux assemblées parlementaires aboutissent à une solution commune. La commission mixte paritaire devrait se tenir au cours de la première semaine de juillet. « Nous considérons au Sénat que les élus attendent des solutions tout de suite, et que ce sera une première étape. »
Les sénateurs vont multiplier les contacts avec les députés la semaine prochaine
Mais tout reste à faire. Le rapporteur du Sénat et Valérie Létard (Union centriste), ancienne présidente de la mission de contrôle, ont l’intention de rencontrer à partir du 6 juin les différents groupes de l’Assemblée nationale, ainsi que les présidents de commission et leurs homologues rapporteurs, pour « expliquer le travail sénatorial ». Optimiste ou volontariste, l’annonce de Christophe Béchu d’un accord en vue semble en tout cas prématurée à ce stade. « On ne peut jamais préjuger d’une discussion parlementaire. Là où il dit vrai, c’est qu’il se démène pour que tout se fasse et qu’il y ait un cadre », reconnaît Jean-Baptiste Blanc.
À ce stade de la discussion, le rapporteur relève encore plusieurs « irritants » sur la table. La première pomme de discorde se formerait autour du statut juridique des SRADDET (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires). « On ne veut pas au Sénat que les régions récupèrent la compétence d’urbanisme », prévient Jean-Baptiste Blanc, convaincu que c’est bien le rôle dévolu aux communes et intercommunalités qui va se jouer.
Une deuxième sujet risque aussi de faire des vagues. Il s’agit de la « garantie rurale » avec une « instauration d’une surface minimale de développement communal d’au moins un hectare », adoptée par le Sénat. Pour le rapporteur, cette mesure a fait l’objet de « malentendus », considérée à tort comme dérogatoire. Or cette surface, dans le texte voté par le Sénat, est couverte dans les décomptes régionaux du ZAN. Le gouvernement a proposé des modalités différentes : permettre un droit minimum de 1 % de la surface urbanisée.
Deux grands enjeux : le décompte des grands projets et la définition précise des espaces artificialisés
Le Sénat veut aussi se montrer extrêmement vigilant sur la façon de prendre en compte ou non les grands projets d’aménagements, et notamment les sites industriels d’intérêt pour la souveraineté économique. Ils ne veulent pas que ces surfaces soient imputées à la collectivité qui les accueille. Au Sénat, Christophe Béchu avait évoqué la piste d’un « compté à part », c’est-à-dire un décompte national puis une répartition des chiffres par région. De son côté, le ministre de l’Économie et Finances s’est placé aux côtés des sénateurs en plaidant pour une exemption de l’industrie du « zéro artificialisation nette ». Ce désaccord gouvernemental n’est pas encore arbitré.
Autre point d’achoppement possible : la nomenclature des surfaces artificialisées et de celles qui n’en sont pas. Le décret du 29 avril 2022 considère les surfaces de « pelouses rases à usage résidentiel » comme des espaces artificialisés. Les sénateurs, dans le texte, poussaient au contraire à faire des jardins pavillonnaires des espaces considérés comme non artificialisés.
Un éventuel texte législatif et des décrets qui satisferont tout le monde en juillet ne signeront pas pour autant la fin de l’histoire. Il faudra ensuite se pencher sur le financement du ZAN, sa fiscalité, bref tout l’accompagnement budgétaire, pour aider les communes à reconvertir des friches par exemple ou reboiser. Jean-Baptiste Blanc estime que la mission sénatoriale doit se pencher le plus tôt possible sur cette question, avant les débats budgétaires de fin d’année.
Pour ne rien arranger à l’affaire, le Sénat va être pris dans les élections sénatoriales, complexifiant les travaux de septembre. L’intensification des déplacements dans les circonscriptions met toutefois en valeur un sentiment général : « Le ZAN, c’est LE sujet du moment », constate Jean-Baptiste Blanc. D’où la nécessité de sortir rapidement de l’impasse.