L’examen du budget 2025 a été suspendu sitôt le gouvernement de Michel Barnier censuré mercredi soir. À ce stade, trois pistes législatives se dégagent pour assurer la continuité de la vie de la nation, sans que les juristes ne semblent s’accorder sur les modalités d’application de certains mécanismes d’urgence, quasiment inédits.
Fabrice Leggeri : retour sur son passé à la tête de Frontex
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Fabrice Leggeri figurera en troisième place de la liste européenne du Rassemblement National (RN) aux élections de juin prochain. Dans une interview publiée donnée au journal Le Point, l’ancien directeur de Frontex se présente comme un « lanceur d’alerte », témoin de la politique migratoire menée par la Commission européenne qui aurait « floué » les Etats membres.
De 2015 à 2022, il a dirigé l’agence la plus importante de l’Union européenne (UE), dont le budget n’a cessé d’augmenter ces dernières années. D’ici 2027, il devrait atteindre 900 millions d’euros annuels. Après sept ans passés à sa tête, Fabrice Leggeri avait été contraint de démissionner de l’Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, suite aux conclusions d’un rapport de l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf). L’agence est accusée, entre autres, d’avoir dissimulé l’organisation de pushbacks (refoulements illégaux de migrants) en mer Méditerranée. Fabrice Leggeri, lui, dénonce « la tyrannie à la fois des ONG et du droit européen ». Deux ans après, des eurodéputés reviennent sur le passage controversé de Fabrice Leggeri à la tête de Frontex, et décrivent une personnalité en accord avec les valeurs du RN.
Des révélations embarrassantes
Après avoir été alertés par plusieurs médias et ONG, le conseil d’administration de Frontex ainsi que l’Olaf avaient fini par ouvrir deux enquêtes sur Frontex en 2020. Lighthouse Reports, Bellingcat et le magazine allemand Der Spiegel avaient notamment révélé la complicité de Frontex dans des pushbacks, déjà observés dans les eaux grecques auparavant. Selon une vidéo publiée par le site EUobserver en mars 2020, un garde-côte de Frontex aurait repoussé un canot de 33 migrants vers les eaux turques, sous les ordres des autorités grecques. Une enquête est toujours en cours pour déterminer la responsabilité de la Grèce dans les renvois illégaux de ces dernières années.
Dans son rapport, l’Olaf rappelle que ces refoulements sont en contradiction avec les lois internationales. Le règlement de Frontex obéit à la Convention de Genève, selon laquelle un réfugié ne peut pas être renvoyé dans un pays où sa vie est menacée. Outre cette irrégularité grave, l’Olaf reproche deux autres infractions aux dirigeants de Frontex, commis entre 2015 et 2022 : leur déloyauté vis-à-vis de l’Union européenne et un manquement à leurs responsabilités managériales.
L’Olaf rapporte notamment que des agents de l’agence européenne ont été victimes d’« intimidation, d’humiliation et de harcèlement ». Des témoignages d’agents de Frontex publiés par Politico font état de campagnes de recrutement « chaotiques » et mettent à mal la gestion de Fabrice Leggeri. Des députés européens témoignent également du retard délibéré qu’aurait pris l’ancien directeur de Frontex dans le recrutement d’Officiers des droits fondamentaux.
Le cas des Officiers des droits fondamentaux
Ces agents sont chargés de vérifier que les opérations menées sur le terrain par Frontex et les Etats membres respectent les droits des personnes. « Un contre-pouvoir interne », analyse l’eurodéputée Fabienne Keller (Renew). Damien Carême, eurodéputé écologiste rappelle que « les embauches demandées n’avaient pas eu lieu ». L’Olaf, dans son rapport, pointe en effet du doigt des décisions qui auraient fini par entraver la mission des Officiers des droits fondamentaux.
En janvier 2021, le conseil d’administration de Frontex appelait au recrutement de 40 officiers supplémentaires, alors qu’il aurait déjà dû être finalisé fin 2020. Selon Fabienne Keller, « Fabrice Leggeri n’acceptait pas d’avoir dans sa structure une personne qu’il payait, mais qu’il ne maîtrisait pas ». En 2022, l’ancien directeur de Frontex assurait pourtant à Public Sénat, « qu’il n’y avait aucune preuve d’implication de l’agence dans la violation de droits fondamentaux. ». En 2022, l’Olaf a finalement conclu que les décisions prises par Frontex à cette période constituaient des « infractions » au règlement. En outre, le gendarme européen considère que les actions menées par la direction générale s’étaient basées sur des « jugements personnels » et une « faible estime » de la Commission européenne.
Pour l’eurodéputé écologiste Damien Carême, Fabrice Leggeri a en effet pu mettre en place « sa propre politique migratoire » et a agi « en toute illégalité » pendant sept ans. L’eurodéputé Geoffroy Didier (Les Républicains), lui, ne souhaite pas commenter ces accusations, invoquant la « présomption d’innocence ». Pour rappel, la délégation LR au sein du groupe du Parti populaire européen (PPE) avait pris la défense de Fabrice Leggeri en 2021, à travers la voix de François Xavier-Bellamy. L’eurodéputé avait notamment évoqué une « tentative de déstabilisation » dans une lettre adressée à la commissaire européenne aux affaires intérieures et à la migration, Ylva Johansson.
« Frontex a été dévoyée par la Commission », selon Fabrice Leggeri
Fabrice Leggeri présente finalement sa démission en avril 2022, après que le conseil d’administration a recommandé la prise de sanctions disciplinaires à son encontre. Un départ perçu comme un aveu par Damien Carême : « Il savait parfaitement que plus personne ne le couvrirait après toutes les exactions qu’il avait commises ». A-t-il bénéficié d’un soutien particulier, alors que des associations tiraient la sonnette d’alarme depuis plusieurs années ? Selon l’eurodéputé écologiste, « il a longtemps été protégé par le gouvernement français, sous François Hollande comme sous Emmanuel Macron ».
Aujourd’hui, le nouvel allié du RN dénonce avoir « subi des intimidations de la part de la Commission européenne et d’ONG pro-immigration »
Dans une interview au JDD, il cite des propos qu’aurait tenus la commissaire Ylva Johansson : « Que cela vous plaise ou non, vous devez accueillir les migrants. C’est votre job. ». Comme il l’expliquait à Public Sénat quelques mois après sa démission, Fabrice Leggeri estime que la surveillance des droits fondamentaux se faisait au détriment du rôle de police des frontières de l’agence. Les eurodéputés LR partagent ce constat et demandent « une plus grande fermeté sur le plan migratoire », affirme Geoffroy Didier.
« Frontex a été dévoyée par la Commission pour devenir une espèce de super-ONG dirigée par les moniteurs et les officiers des droits fondamentaux » déplore ce lundi Fabrice Leggeri, lors d’une visite du poste frontière de Menton, aux côtés de Jordan Bardella.
L’eurodéputée Fabienne Keller tient à rappeler que le règlement de Frontex, « comme celui de toutes les polices », permet d’appliquer la règle tout en respectant les droits fondamentaux, « ce n’est pas contradictoire » affirme-t-elle.
Le RN, une « suite logique »
Lors de son passage sur la chaîne Cnews ce mercredi, Jordan Bardella, qui se dit favorable aux pushbacks, partage le même constat que Fabrice Leggeri sur l’agence européenne de protection des frontières : « Frontex était évidemment une hôtesse d’accueil pour migrants alors qu’elle devrait être un instrument au service de la protection de nos frontières ». Le président du RN voit dans Fabrice Leggeri « un réel atout pour la mise en œuvre future de notre projet migratoire », alors que l’ancien directeur de Frontex assume vouloir restreindre la libre circulation dans l’espace Schengen aux seuls ressortissants de l’Union européenne.
Depuis l’annonce de la nomination de Fabrice Leggeri sur la liste européenne du RN, Jordan Bardella ne tarit pas d’éloges à son sujet. Lors de leur déplacement conjoint à la frontière franco-italienne, le président du RN a salué « l’expérience de grand serviteur de l’État » de son nouvel allié, diplômé de l’ENA et de l’ENS. L’eurodéputé Geoffroy Didier, lui, analyse le choix de Fabrice Leggeri comme de « l’opportunisme pur ». Il aurait fait le choix de se « réfugier » derrière Jordan Bardella, dont le parti se place en tête des sondages, au détriment du parti LR, avec qui il avait été en pourparlers.
L’eurodéputé LR dénonce également « l’incohérence » du RN, un parti « qui a toujours été contre le projet européen », mais qui a décidé de recruter un ancien haut-fonctionnaire de l’UE. « Venir se faire élire à Bruxelles pour ensuite détruire l’Europe, c’est malsain et schizophrène », fustige-t-il.
Le ralliement de Fabrice Leggeri au RN s’ancre dans une « suite logique », selon Damien Carême. Pour l’eurodéputé écologiste, le nouveau candidat partage les mêmes valeurs de « mystification, de mensonge et d’illégalité » que son nouveau parti. Même constat pour l’eurodéputée Renew Fabienne Keller : « Il a tout à fait sa place dans un parti qui méprise l’Etat de droit ».
Myriam Roques-Massarin
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