65 ans après sa naissance, la Constitution doit-elle faire peau neuve ?
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En ce 4 octobre 2023, la Constitution de la Ve République fête ses 65 ans. Et cela dans un contexte où elle est souvent remise en question, notamment dans l’équilibre des pouvoirs qu’elle instaure, favorisant trop pour certains le pouvoir exécutif au détriment du législatif. Rédigée en 1958 par le gouvernement du général de Gaulle, c’est, selon les mots de Philippe Blachèr, professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon III, « la seule Constitution à avoir été rédigée par un gouvernement et non une assemblée constituante ». Depuis sa conception, elle a connu des évolutions conséquentes, et nombreux sont les spécialistes et les politiques qui souhaitent la changer. C’est le cas d’Emmanuel Macron qui, devant le Conseil constitutionnel ce 4 octobre, a esquissé les grandes lignes des modifications qu’il souhaite apporter au texte fondateur de la Vème République. Il a ainsi réaffirmé son souhait d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, d’étendre le champ du référendum, ou encore de modifier le statut de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie.
Quelques heures plus tard, au Sénat, se tenait le colloque de présentation des travaux du Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions (Gréci), présidé par le professeur de droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier, qui a esquissé cent trente propositions d’évolution de la Constitution. S’il ne se veut nullement comme une réforme constitutionnelle, ce travail vise à agréger la réflexion d’une quarantaine de spécialistes sur notre Constitution, afin de proposer des pistes d’évolution de cette République, au sein de laquelle, Jean-Philippe Derosier le reconnaît, « il existe des dysfonctionnements ».
« La Vème République ne naît véritablement qu’en 1962, avec l’introduction de l’élection directe du Président »
La Constitution telle qu’elle existe aujourd’hui est bien différente de celle qui a été initialement rédigée en 1958. Jean-Philippe Derosier le rappelle, il y a eu depuis vingt-quatre réformes constitutionnelles. La plus importante, à ses yeux, est celle de 1962, qui instaure l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. « La Vème République ne naît véritablement qu’en 1962, avec l’introduction de l’élection directe du Président », explique-t-il à publicsenat.fr, « Charles de Gaulle avait sa légitimité, personne ne pouvait avoir la même, le suffrage universel direct était donc indispensable pour pérenniser le pouvoir présidentiel ».
Parmi les autres modifications d’ampleur qui succèdent à celle de 1962, on compte celle de 1971, qui ouvre la possibilité aux parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel. « Cela permet une garantie nettement meilleure des droits et libertés », analyse Jean-Philippe Derosier. La modification de 2000, qui efface le septennat à la faveur du quinquennat est une des réformes que les Français ressentent le plus aujourd’hui. En 2004, la Charte de l’environnement, qui liste les droits et les devoirs relatifs à la préservation de l’environnement, a été ajoutée au bloc de Constitutionnalité et donc intégrée à ce texte fondateur.
La réforme de 2008 : une réforme d’ampleur
Quatre ans plus tard, la réforme de 2008, voulue par Nicolas Sarkozy apporte plusieurs modifications d’ampleur à l’organisation des institutions de la Vème République. Elle limite entre autres à deux le nombre de mandats consécutifs que peut exercer un Président de la République, elle lui accorde le droit de s’adresser au Parlement réuni en Congrès à Versailles, limite le recours à l’article 49-3 à une fois par session parlementaire, en dehors des textes budgétaires, ou encore crée le référendum d’initiative partagée. Un autre des apports de cette réforme est la création des questions prioritaires de constitutionnalité. Avec ce dispositif, tout citoyen qui est impliqué dans un procès peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité d’une disposition législative. « C’est une évolution importante de la Constitution. Sans cette révision, la garantie des droits aurait souffert », juge Jean-Philippe Derosier.
Un groupe d’universitaires propose 130 pistes pour réformer la Constitution et les institutions
Mais après 65 ans de longévité, malgré des changements et des adaptations, la Constitution de la Vème République est contestée sur plusieurs griefs : présidentialisation excessive, exclusion des citoyens de la décision politique, … la liste est longue. Les cent trente propositions du Gréci ont ainsi comme objectif d’alimenter la réflexion sur une modification des institutions de la Vème, sans avoir à changer de République. Elles abordent un grand nombre de thèmes traités par la Constitution : place de l’exécutif et rôle du Président de la République, élection des parlementaires, inclusion des citoyens, statut des Outre-mer, place de l’Union européenne, … Elles ne font pas toutes consensus au sein des participants, mais dressent un catalogue fourni de pistes.
Les universitaires qui ont travaillé pendant neuf mois sur ce projet proposent notamment de rendre obligatoire une fois par an l’intervention du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès avant le début de la session ordinaire, afin de débattre avec lui, sans vote. Ils étudient également les effets d’une suppression de la priorité du gouvernement sur l’ordre du jour du Parlement, afin d’induire un débat entre les deux sur la teneur des travaux législatifs.
Parmi les propositions qui ont trait à la participation citoyenne, on trouve l’instauration d’un droit d’initiative législative pour les citoyens, la refonte du référendum d’initiative partagée (RIP), ou encore la désignation d’une assemblée de citoyens tirés au sort, destinée à travailler avec les assemblées parlementaires. Concernant le RIP, la proposition vise entre autres à abaisser le nombre de signatures nécessaires au référendum.
Le Gréci propose de revoir le mode d’élection des sénateurs
Le groupe de réflexion propose également de revoir le mode d’élection des sénateurs. Cela permettrait, selon lui, de pallier la « surreprésentation des petites communes » que son mode d’élection permet aujourd’hui. Il propose ainsi de créer deux modes de désignation : une série serait élue au lendemain des élections locales, à raison d’un sénateur par collectivité (région, département, grandes villes de plus de 100 000 habitants), et une seconde serait élue dans les régions ou collectivités d’outre-mer, à raison d’un, deux ou quatre sénateurs en fonction du nombre d’habitants.
Au moment où Emmanuel Macron relance les débats sur une réforme institutionnelle, où le Sénat planche sur un rapport sur le même sujet, ces réflexions peuvent s’avérer utiles pour nourrir un débat hautement complexe et politique.
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