L’hémicycle du Sénat

A la veille du renouvellement sénatorial, quel bilan pour la délégation aux droits des femmes ?

Créée il y a plus de vingt ans, la délégation aux droits des femmes du Sénat est une instance qui produit des travaux sous l’angle des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. A la veille de son renouvellement, elle dresse le bilan de ses activités sur les trois dernières années.
Mathilde Nutarelli

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Avec le renouvellement de la moitié des sénateurs en septembre 2023, ce sont tous les organes parlementaires (bureau, commissions, délégations) qui font peau neuve. C’est donc l’heure pour eux de faire le bilan des trois dernières années. La délégation aux droits des femmes n’échappe pas à la règle, d’autant qu’elle a connu trois années très riches. Elle présente ainsi les résultats de son travail sur 2020-2023 dans un rapport paru le 6 juillet.

Qu’est-ce que la délégation aux droits des femmes ?

Âgée d’un peu plus de vingt ans, la délégation aux droits des femmes du Sénat est créée en même temps que celle de l’Assemblée nationale, par une loi du 12 juillet 1999, et est officiellement instituée en octobre 1999. Composée de 36 membres, issus de tous les groupes politiques de la Chambre, cette délégation a pour mission de mener des travaux orientés particulièrement sur les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Ses rapports et ses propositions sont souvent attendus. « En plus de vingt ans d’existence, la délégation aux droits des femmes est reconnue comme étant une instance d’experts », se réjouit Annick Billon, qui la préside depuis 2017, « les acteurs des droits des femmes, comme les associations, qui travaillent pour l’égalité, font confiance à la délégation pour porter des sujets, nous avons des rapports privilégiés avec eux ».

Mais comment faire fonctionner une délégation composée de membres de tous les groupes politiques, sur des sujets souvent sensibles et parfois clivants ? « Je fais tout pour que nous ayons un travail commun, qu’il y ait plusieurs rapporteurs issus de groupes différents, pour voter des rapports à l’unanimité », explique sa présidente.

Rapport sur le porno : « Il y aura un avant et un après »

Parmi tous les textes produits par la délégation (treize rapports d’information sur trois ans, soit plus de 4 par an), l’un d’eux a eu un écho tout particulier. Il s’agit de son rapport sur l’industrie du porno, adopté en septembre 2022 et intitulé « Porno, l’enfer du décor ». Ce texte, dans lequel les rapporteures dressent un constat alarmant du milieu de la pornographie, a eu un large retentissement médiatique, et a même été traduit en anglais. Dans le bilan des trois ans écoulés, on peut même lire qu’il a provoqué « plus de 300 pages de retombées média […] la semaine de sa publication ». « Il a eu des retentissements à l’international, avec des articles au Canada et dans le reste de l’Amérique du Nord », explique Annick Billon. « Il y aura un avant et un après », analyse-t-elle.

Cette publication esquisse un portrait particulièrement sombre d’un milieu gangrené par la « violence systémique ». « C’est un travail difficile qui laisse des traces, avec des témoignages marquants, traumatisants, de toute la barbarie qui se développe sur la toile », se remémore la sénatrice centriste.

Il formule de nombreuses recommandations, comme la création d’un nouveau délit « d’incitation à une infraction pénale » pour les vidéos pornographiques où des violences sexuelles sont mises en scène, ou encore l’instauration d’une obligation aux plateformes de retirer gratuitement les vidéos lorsque les personnes filmées le demandent. Plusieurs de leurs recommandations concernent la régulation des sites pornographiques et leur accès, encore trop facile pour les mineurs. Cela passe notamment par un plus grand pouvoir de sanction de l’Arcom, le « gendarme » du numérique, ainsi qu’une vérification efficace et indépendante de l’âge des utilisateurs de ces sites.

Ce retentissant rapport n’est pas resté lettre morte. Il a donné lieu à l’adoption d’une proposition de résolution du Sénat, « appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique ». Neuf des vingt-trois mesures préconisées dans le rapport ont également été reprises par le gouvernement dans le projet de loi de sécurisation de l’espace numérique, adopté le 5 juillet par la Chambre haute. « C’est une satisfaction », se félicite Annick Billon, « même si le chemin va être difficile pour rendre la vie impossible à cette industrie qui enferme des femmes dans la violence et des générations dans une vision fausse de la sexualité ».

Douze autres rapports et une proposition de loi adoptée

Parmi les douze autres rapports remis entre 2020 et 2023, celui intitulé « Femmes et ruralité : pour en finir avec les zones blanches de l’égalité », paru en septembre 2021, a marqué le Sénat. Les travaux ont duré près de dix mois et ont permis aux sénatrices et sénateurs de consulter les femmes élues dans les territoires ruraux. De ces consultations, il est ressorti le grand isolement de ces femmes, sur tous les plans : transports, emploi, accès aux soins, fonctions politiques.

Le dernier rapport en date, paru en juin 2023, est intitulé « Santé des femmes au travail : des maux invisibles ». Il met la lumière sur le manque de connaissances et d’intérêt porté, au niveau global, à la santé des femmes dans l’environnement professionnel.

Mais le travail de la délégation ne se borne pas à produire des rapports. En 2023, elle a fait adopter une proposition de loi « visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique ». Promulguée en juillet 2023, cette loi reprend les recommandations d’un de ses rapports faisant le bilan de la loi Sauvadet, qui avait pour objectif d’obtenir la parité dans la fonction publique. Le texte adopté par les deux chambres, après que le gouvernement a engagé la procédure accélérée, instaure entre autres un relèvement de 40 à 50 % du quota de primo nomination des personnes du sexe sous-représenté dans les emplois publics.

C’est donc sur un bilan riche que la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Annick Billon, termine son deuxième mandat. En effet, elle ne se représentera pas à sa tête en octobre, conformément à la pratique en vigueur au Sénat.

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