Velizy: Castaner and Frederic Veaux the newdirector general of the national police

À travers les propos de Frédéric Veaux, « l’administration policière s’érige en 4e pouvoir »

Le soutien apporté par le directeur général de la police nationale (DGPN) à un policier incarcéré a suscité de nombreuses réactions dans la classe politique. Pour certains, les propos de ce haut-fonctionnaire portent directement atteinte à la séparation des pouvoirs. Emmanuel Macron a lui rappelé que « nul, en République, n’est au-dessus de la loi ».
Romain David

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« Je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison. » Dans un entretien au Parisien publié dimanche soir, et sans mâcher ses mots, Frédéric Veaux, le directeur général de la police national (DGPN), a accordé son soutien à un fonctionnaire de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille, placé en détention provisoire pour « violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme ». Ce fonctionnaire de police a été mis en examen avec trois autres agents de la BAC. Ils sont soupçonnés d’avoir passé à tabac un jeune homme de 21 ans, dans la nuit du 1er au 2 juillet, en marge des émeutes urbaines qui ont secoué la France après la mort du jeune Nahel.

« De façon générale, je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail. J’exclus de mon propos les affaires qui concernent la probité ou l’honnêteté. Mais lorsqu’un policier est dans l’exercice de sa mission, on doit admettre qu’il peut commettre des erreurs d’appréciation », explique ce haut fonctionnaire. S’il admet qu’un policier est tenu de rendre compte de son action devant la justice, il demande que soient prises en compte « les garanties dont il bénéficie et qui le distinguent des malfaiteurs ou des voyous ». Ces déclarations interviennent alors que les policiers marseillais, en soutien de leurs collègues, se sont engagés dans un large mouvement de protestation, qui se traduit notamment par une multiplication des arrêts maladies.

Invité à réagir au cours de l’interview qu’il a accordée ce lundi à TF1 et France 2, le président de la République a dit « comprendre l’émotion chez nos policiers », confrontés à plusieurs nuits de violence. Mais « nul, en République, n’est au-dessus de la loi », a tenu à rappeler Emmanuel Macron. Alors que quelque 900 membres des forces de l’ordre ont été blessés aux cours des émeutes urbaines, et 29 enquêtes lancées par l’IGPN, le chef de l’Etat a estimé qu’il fallait « remettre les choses à leur juste place ».

Levée de boucliers

Les propos tenus par Frédéric Veaux ont soulevé un tollé dans les rangs de la gauche. Dans un communiqué commun, les forces de la Nupes ont dénoncé une prise de position « extrêmement grave et inquiétante » qui remet en cause « les fondements de notre démocratie ». Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon a pointé « la complaisance » du pouvoir « pour les factieux et violents des organisations de police ». « Gravissime, toute la hiérarchie policière se place au-dessus de la justice et des règles de la détention provisoire, et le ministre de l’Intérieur est en arrêt maladie ! », a raillé Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, en déplacement aux côtés du président de la République en Nouvelle-Calédonie, n’avait pas encore officiellement réagi à l’heure où nous écrivons.

En revanche, Frédéric Veaux a reçu un soutien de poids de la part de Laurent Nunez, préfet de police de Paris et ancien secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur lorsque Christophe Castaner occupait ce portefeuille. « Je partage les propos du DGPN. Fier d’avoir été préfet de Police des Bouches-du-Rhône et aujourd’hui à la tête des 30 000 policiers de Paris et de l’agglomération parisienne », a-t-il tweeté. « Le DGPN a raison », a également réagi sur Twitter Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR. « Un policier ne devrait pas être incarcéré avant son procès. Le contrôle judiciaire devrait suffire, en particulier lorsque les infractions présumées ont été commises dans un contexte d’hyperviolences contre la police », écrit-il.

« La différence entre une démocratie et un régime autoritaire se situe au niveau de l’égalité de chacun devant la loi »

Le régime de la détention provisoire est régi par l’article 144 du Code pénal. Il prévoit l’emprisonnement d’un individu qui n’a pas encore été jugé s’il s’agit de la seule manière de préserver le bon déroulement d’une enquête, de protéger la personne mise en examen ou encore de mettre fin à « un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction ». Cet article s’applique aux forces de l’ordre comme à n’importe quel citoyen. À rebours, les propos de Frédéric Veaux tendent à faire valoir la mise en place d’un régime dérogatoire qui épargnerait aux policiers suspectés de délit ou de crime d’avoir à passer par la case prison tant que la justice ne s’est pas prononcée sur les faits reprochés. Ils font écho à certaines propositions formulées par les candidats de droite à la dernière présidentielle : « présomption de légitime défense » chez Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Valérie Pécresse, un thème cher à certains syndicats de police. Éric Zemmour, de son côté, était même aller jusqu’à vouloir introduire dans le droit la notion de « défense excusable », expliquant s’inspirer de la législation suisse.

« Cette idée d’une dérogation faite aux forces de l’ordre n’est pas du tout une idée qui m’emballe. La différence entre une démocratie et un régime autoritaire se situe au niveau de l’égalité de chacun devant la loi », relève auprès de Public Sénat le sénateur apparenté LR Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des Finances sur la sécurité. « Les lois de la République doivent s’appliquer aussi bien aux simples citoyens qu’aux policiers. Le caractère exorbitant de la fonction de policier et le maniement des armes exigent même une responsabilité supplémentaire de la part de ces derniers, mais ce n’est pas pour autant qu’ils doivent déroger aux règles de la justice », estime le sénateur socialiste Jérôme Durain, vice-président de la commission des lois et spécialiste des questions de maintien de l’ordre. Cet élu dénonce également la réaction du chef de l’Etat, « trop timorée » selon lui : « Il a été sous la ligne de flottaison. Il s’est appuyé sur la séparation des pouvoirs pour évacuer en partie la question qui lui était posée alors que le sujet, précisément, concerne la remise en cause de cette séparation », s’agace-t-il.

Philippe Dominati y voit aussi un coup de com’ d’abord adressé aux forces de l’ordre de Marseille : « Les propos de Frédéric Veaux sont anormalement excessifs pour un directeur général de la police nationale. Mais c’est aussi une forme de surenchère locale, destinée à apaiser la situation sur place », veut-il croire. Le DGPN jouerait en quelque sorte son va-tout pour reprendre la main, alors que ses relations avec la police marseillaise ont pu être notoirement compliquées. En octobre 2022, il avait été accueilli par une haie d’honneur silencieuse, en protestation contre la réforme de la police judiciaire. Quelques semaines plus tard, Éric Arella, le directeur de la PJ marseillaise, était démis de ses fonctions. « On se demande encore si quelqu’un contrôle Marseille », tempête un élu. « Décapiter la PJ de son patron n’a pas eu l’effet escompté ».

L’influence des syndicats

« L’interview du DGPN est un choc. Je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière de chercheur ! », s’alarme auprès de Public Sénat le sociologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police, chez Grasset. « Les manifestations policières issues de la base sont fréquentes et anciennes, déjà en 1958, en 1983, en 2015 et plus récemment en 2021, mais là nous avons une prise de position qui descend du haut de la pyramide, et qui réclame un changement des règles fondamentales de notre régime démocratique. », observe-t-il. « En sortant de sa réserve, la haute administration policière s’érige en quatrième pouvoir, reprochant aux autres, et notamment à la justice, de jouer les fauteurs de troubles ».

Pour autant, l’administration policière est traditionnellement très liée à l’exécutif via le ministère de l’Intérieur. Pour Sebastian Roché, les propos tenus par Frédéric Veaux, renouvelé dans ses fonctions jusqu’en septembre 2024 alors que son départ en retraite était prévu cet été, pourraient aussi être l’expression d’une ligne sécuritaire voulue au sommet de l’Etat, mais difficile à assumer pour les responsables gouvernementaux. « Emmanuel Macron a les mains liées. Le gouvernement est en position de faiblesse, privé de majorité, il doit s’appuyer sur certains piliers, comme Gérald Darmanin, mais aussi sur les forces de l’ordre pour contenir la grogne sociale. Dès que la police menace l’autorité de l’Etat, l’exécutif se sent obligé de faire des concessions avec l’Etat de droit pour conserver la main », pointe-t-il.

« Le climat social actuel, vis-à-vis duquel l’exécutif a une large part de responsabilité, nécessite d’avoir les moyens du maintien de l’ordre. Dans ce contexte, on voit la pression mise par certains syndicats, notamment Alliance. La dimension corporatiste et l’entre-soi policier deviennent de plus en plus inquiétants », abonde le sénateur Jérôme Durain. « Soutien clair et net du DGPN envers les policiers. Une position qui l’honore et que nous saluons », a réagi Fabien Vanhemelryck, le secrétaire général du syndicat Alliance. « Ce qu’il y a de plus regrettable dans cette histoire, au-delà des propos excessifs du DGPN, c’est l’impression de voir l’administration céder aux coups de butoir des syndicats, alors qu’elle n’est pas contrainte aux mêmes contorsions que le ministère », soupire un parlementaire, fin connaisseur du sujet.

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