National Assembly Session in Paris, France – 05 Jun 2023

« Absentéisme » des parlementaires en séance ? Ne vous fiez pas aux hémicycles clairsemés ! 

Qui ne s’est pas déjà étonné de voir les bancs de l’Assemblée nationale et les fauteuils du Sénat quasi vides, en pleine discussion d’un texte de loi ? Nos parlementaires sont-ils mauvais élèves au point de déserter l’hémicycle ? Explications sur un cliché qui a la vie dure et déforme la réalité du travail parlementaire.
Rédaction Public Sénat

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C’est une antienne fréquemment entonnée, surtout à l’approche de la clôture de la session parlementaire : « Nos parlementaires sont paresseux, regardez comment ils désertent l’hémicycle ! ». Hier encore, la chaîne d’information en continu BFTMV s’émouvait des « couloirs vides » du Palais Bourbon dans un reportage intitulé « Assemblée nationale : les députés sèchent les bancs de l’hémicycle », suggérant ainsi à demi-mot que les élus de la représentation nationale seraient de mauvais élèves, toujours prêts à se soustraire à leurs responsabilités.  Un refrain qui, en plus de révéler et de nourrir l’antiparlementarisme grandissant des citoyens français, atteste surtout d’une méconnaissance profonde et tenace du travail parlementaire. On vous explique. 

  • La séance publique : la partie émergée de l’iceberg ?

Si nos concitoyens – ou du moins les plus férus de droit constitutionnel – savent que « le Parlement vote la loi, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques publiques » (article 24 de la Constitution), peu d’entre eux ont une idée claire et précise de ce que recouvre le travail quotidien d’un parlementaire, d’où cet agacement à constater qu’ils sont parfois bien peu nombreux à siéger dans l’hémicycle. L’une des principales raisons tient au travail en commission parlementaire. Chaque député et chaque sénateur est inscrit dans une commission, spécialisée dans un champ de politiques publiques particulier (défense et affaires étrangères, culture, affaires économiques, finances, etc.) afin de faciliter l’élaboration de la loi. Comme le stipulent les règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale, les parlementaires sont tenus d’être présents lors des travaux de leur commission. Bien qu’une matinée par semaine soit consacrée aux réunions des commissions (le mercredi matin à l’Assemblée nationale et au Sénat), il arrive que leurs travaux chevauchent des examens en séance publique, empêchant ainsi certains parlementaires à rejoindre leurs bancs ou leurs fauteuils. Mal connu du grand public et moins médiatisé, le travail en commission est pourtant fondamental, notamment depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui impose désormais à tout projet ou proposition de loi d’être d’abord examiné en commission avant d’arriver dans l’hémicycle. 

Outre leur investissement au sein d’une commission permanente, les parlementaires peuvent également faire partie de commissions spéciales, de commissions d’enquête, de délégations et d’organismes extra-parlementaires, pour lesquels la présence peut parfois être obligatoire. 

Pour ne prendre qu’un exemple, le 27 juin dernier commençait au Sénat, à 14h30, l’examen en séance du projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030. Ce même après-midi, la commission des finances examinait un rapport sur le suivi des boucliers tarifaires et de l’amortisseur électricité, tandis que la commission des affaires sociales auditionnait le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, sur le projet de loi Plein emploi. Dans le même temps, les sénateurs de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) se penchaient sur un rapport sur la sobriété énergétique, alors que les membres de la délégation des droits des femmes étudiaient le rapport final sur la santé des femmes au travail. 

Au fil de leur mandat, les parlementaires sont aussi amenés à se spécialiser sur certaines thématiques, à raison de leurs travaux en commission ou de leurs engagements personnels. De sorte qu’il peut leur sembler finalement peu pertinent d’assister à l’examen en séance publique d’un texte portant sur un sujet avec lequel ils ne sont pas familiers. C’est d’ailleurs en partie l’intérêt d’avoir un large groupe parlementaire : les sujets sont répartis entre les membres du groupe et des chefs de file sont désignés sur chaque texte. En séance, ceux-ci défendent la position du groupe, tout en libérant leurs collègues qui leur auront, au préalable, adressé une délégation de vote. 

  • La présence en circonscription 

Aux travaux parlementaires, s’ajoute pour les députés et les sénateurs la nécessité d’assurer une permanence à horaires fixes dans leur circonscription. Exigence qu’ils ne sauraient négliger à l’heure du procès en déconnexion des élus. 

Que fait donc un parlementaire dans sa circonscription ? Participer à des réunions ou des inaugurations, écouter les préoccupations et recueillir les desiderata des citoyens, consulter ses assistants parlementaires restés sur place, rendre compte de son activité au Parlement, etc. Autant de sollicitations et d’activités qui peuvent parfois compromettre sa présence dans l’hémicycle, a fortiori quand il ou elle est élu(e) dans une circonscription éloignée de Paris. De plus, la présence en circonscription n’entre généralement pas dans notre conception du travail parlementaire. Dans un rapport de 2019 sur l’activité réelle des députés, le projet Arcadie, un média spécialisé sur la vie parlementaire, notait ainsi que « la présence en circonscription et le travail sur place » étaient largement considérés comme les « angles morts du travail parlementaire ». 

S’il est de notre intérêt légitime de scruter l’activité réelle des parlementaires, on aura maintenant compris que la présence en séance publique n’en est pas le meilleur étalon de mesure. Notons, pour conclure, qu’à l’Assemblée nationale comme au Sénat, des sanctions existent pour les parlementaires qui manqueraient un nombre excessif de votes en séance. En effet, l’article 23 bis du règlement du Sénat prévoit que l’indemnité de fonction d’un sénateur soit amputée de moitié si il ou elle est absent à plus de la moitié des votes en séance au cours d’un même trimestre de la session ordinaire (ce seuil est relevé à deux tiers pour les sénateurs élus outre-mer). Le même régime de sanction s’applique en cas d’absence aux réunions de commissions et aux séances de questions au gouvernement. Côté Palais Bourbon, l’article 159 du règlement statue qu’en cas d’absence à plus d’un tiers des scrutins publics, un député s’expose à une retenue d’un tiers de son indemnité de fonction. 

Ainsi, peut-on maintenant espérer que la vue d’un hémicycle clairsemé fera naître davantage d’intérêt pour le travail de nos parlementaires que d’indignation. 

 

Lucie Garnier

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