Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, a refusé d’être entendu le 11 février par la commission des finances de l’Assemblée, qui souhaitait l’entendre dans le cadre de son enquête sur le dérapage budgétaire en 2023 et 2024. Le sujet va se reposer dans les semaines à venir, puisque le haut fonctionnaire devrait également être convoqué par la commission d’enquête du Sénat sur le scandale des eaux minérales en bouteille.
Alexis Kohler a indiqué aux députés qu’il n’entendait pas y répondre, faisant valoir des problèmes d’agenda, mais aussi la séparation des pouvoirs, selon l’AFP mais aussi BFM Business. La commission avait décidé le 15 janvier de l’entendre, par 37 voix pour, 18 contre. « Il a en effet joué un rôle, en tant que secrétaire général de l’Élysée, sur plusieurs des sujets concernés par notre commission », a rappelé Éric Coquerel (La France insoumise), le président de la commission des finances. Celle-ci a obtenu pour six mois les pouvoirs d’une commission d’enquête pour enquête sur les causes des variations de prévisions budgétaires.
Le refus de ne pas comparaître est passible de deux années de prison
Rappelons que selon l’ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée. La personne qui ne comparaît pas, ou refuse de déposer ou de prêter serment, est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
« Si le président de la République ne peut être auditionné par le Parlement, cela a été le cas à plusieurs reprises pour des collaborateurs de l’Élysée. Je ne vois donc pas pourquoi le refus de M. Kohler ne me conduirait pas à engager une procédure pénale […] Mais je demanderai à la commission d’enquête d’approuver le lancement de cette requête », a indiqué Éric Coquerel à l’AFP. Selon Le Parisien, le député va consulter les membres de la commission mercredi 19 février sur ce recours.
Le secrétaire général de l’Élysée rappelle que ce n’est pas une première
Dans son courrier, Alexis Kohler s’est notamment appuyé sur plusieurs précédents, relatait hier Le Figaro. « La non-présentation d’un membre du cabinet de la présidence de la République devant une commission d’enquête n’est pas inédite », a-t-il évoqué dans son courrier. Le numéro deux de l’Élysée se réfugie en particulier derrière deux précédents. Il y a le cas de Michel Jobert, secrétaire général de la présidence de la République française sous Georges Pompidou, qui ne s’était pas rendu devant la commission d’enquête sur les sociétés de placement immobilier en 1971. Autre exemple inclus : celui de Gilles Ménage, directeur de cabinet de François Mitterrand en 1992, qui a séché une convocation d’une commission d’enquête.
Alexis Kohler lui-même avait refusé de se présenter en 2021 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale « relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences ».
« Une interprétation très restrictive »
Il y a toutefois une différence fondamentale entre ces exemples et la situation actuelle. Dans tous les cas cités, l’Assemblée nationale reposait sur le fait majoritaire. La composition des commissions d’enquête reflétant celle de l’hémicycle, aucune d’entre elles n’a saisi la justice lorsqu’un membre de la présidence de la République n’a pas répondu à une convocation. « Nous ne sommes plus dans la même situation politique. Là, le président de la République n’a plus de majorité, ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat », souligne Mélody Mock-Gruet, enseignante à Sciences Po Paris et docteure en droit public.
D’un point de vue juridique, cette spécialiste (co-auteure avec Hortense de Padirac du Petit guide du contrôle parlementaire) considère que l’argument d’une séparation des pouvoirs, que brandit Alexis Kohler, n’est pas valable. « C’est une interprétation très restrictive. En réalité, tout le monde peut être auditionné, sauf le président de la République. »
Le débat s’était déjà posé en 2018, au moment de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Trois hauts fonctionnaires s’étaient présentés devant les sénateurs, y compris Alexis Kohler. Les différents membres du cabinet ont tous précisé qu’ils s’étaient présentés après avoir reçu l’autorisation du président de la République (relire notre article).
« C’est dans le rôle du Parlement de contrôler les administrations »
À l’époque, la garde des Sceaux Nicole Belloubet était allée dans le sens de la présidence de la République, en se référant à l’article 24 de la Constitution. « Selon l’article 24 de la Constitution, le Parlement exerce un contrôle à l’égard de l’action du gouvernement. Du gouvernement. Les mots ont un sens. Ça veut dire que ce n’est pas l’exécutif contrairement à ce que j’ai pu entendre dire », avait alors rétorqué la ministre.
Le même article établit également que le Parlement « évalue les politiques publiques », un élément mis en évidence par les sénateurs il y a 6 ans. « C’est dans le rôle du Parlement de contrôler les administrations et il y a plusieurs administrations à l’Élysée. Dans le cadre du projet de loi de Finances, le Parlement désigne des rapporteurs spéciaux qui peuvent effectuer des contrôles sur place et sur pièce dans les administrations, y compris à l’Élysée », nous indiquait Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille.