Application des lois : le constat en demi-teinte du Sénat

Dans son suivi annuel des lois promulguées au cours de la dernière session, les sénateurs font état d’une amélioration dans l’application des textes. Les mesures d’origine sénatoriale sont cependant moins bien traitées que la moyenne de l’ensemble des textes. Le ministre Franck Riester va faire passer des consignes pour accélérer les choses, tout comme pour la remise des rapports.
Guillaume Jacquot

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C’est depuis longtemps un incontournable du contrôle sénatorial. Chaque année, depuis 1972, le Sénat se penche sur l’état de l’application des lois. Car il ne suffit pas qu’un texte législatif soit voté pour que la totalité de ses articles s’appliquent. Quantité de mesures nécessitent que le gouvernement publie des textes réglementaires, comme les décrets, pour préciser les modalités. Et cette phase essentielle pour traduire la volonté des législateurs prend parfois du temps.

Les choses se sont améliorées pendant la session parlementaire 2021-2022, comme le montre le rapport de la sénatrice Pascale Gruny (LR), publié le 26 mai. Pour la première fois en trois ans, le délai moyen de prise des textes d’application est passé sous la barre des six mois, délai fixé dans une circulaire de 2008. Concernant les 46 lois de la session qui nécessitent des mesures réglementaires, le taux d’application était de 65 % (68 % en excluant les dispositions appliquées en différé). Le taux est supérieur à celui de 57 % mesuré pendant la session précédente.

Au cours d’un débat organisé sur la question ce 31 mai, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Franck Riester, a lui aussi confirmé une tendance à la hausse. Selon les propres calculs du gouvernement, le taux d’application des lois l’an dernier s’est établi à 74 %, contre 60 % un an auparavant. Le 27 décembre 2022, la Première ministre avait chargé les différents ministères d’être plus réactifs pour la publication des textes d’application. « Chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens », avait-elle rappelé dans sa circulaire.

Comment expliquer la différence entre les chiffres du Sénat et ceux du gouvernement ? Les deux ne prennent pas en compte la même chose. Les premiers englobent les décrets et les arrêtés. L’exécutif ne s’est intéressé qu’à la parution des décrets, notent les sénateurs. « Dans les deux cas, la non-adoption d’un décret ou d’un arrêté empêche la volonté du législateur de s’appliquer », a tenu à rappeler Pascale Gruny. Franck Riester a indiqué qu’il « soulevera la question lors du prochain comité interministériel sur l’application des lois ».

« Le diable se cache dans les détails »

Même si les choses se sont améliorées en un an, « le diable se cache dans les détails », a toutefois insisté la sénatrice de l’Aisne. Les parlementaires ont fait un cruel constat : les lois dont ils sont à l’origine prennent plus de temps à entrer pleinement en vigueur. Leur taux d’application est de seulement 56 %, soit plus de dix points de moins que la moyenne de l’ensemble des textes. « N’y voyez pas un signe de mauvaise volonté », s’est excusé Franck Riester, lequel a demandé à l’ensemble des cabinets de « réduire cet écart » à l’avenir. Le ministre a justifié cet écart par « une moindre anticipation des textes d’origine parlementaire ».

Pire encore, les amendements sénatoriaux ne sont appliqués qu’à hauteur de 57 %, contre 67 % pour les amendements du gouvernement et 70 % pour les amendements des députés. « Cela pose la question du respect de la volonté du législateur, lorsqu’il siège au Palais du Luxembourg », s’est étonnée Pascale Gruny.

Tour à tour, les sénateurs ont cité des exemples de lois particulièrement mal appliquées, plusieurs mois après leur promulgation. Le taux global cache en effet de grandes disparités. Selon le Sénat, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration – la fameuse loi « 3DS » – n’était appliquée qu’à hauteur de 52 % en mars, plus d’un an après sa publication au Journal Officiel. Selon Franck Riester, son taux d’application est monté à 71 % en mai. « Les concertations, notamment avec les collectivités territoriales, prennent du temps. Des consultations obligatoires sont aussi prévues », a-t-il justifié.

Deux autres dossiers parlants ont également été évoqués en séance : la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (fin 2021), appliquée à seulement 33 %. Ou encore la loi Climat et résilience du 24 août 2021. Vingt mois après sa promulgation, elle est appliquée à hauteur de 58 %, un chiffre « modeste au regard des ambitions » selon Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.

Dans ce contexte, le recours massif à la procédure accélérée (une lecture seulement dans chaque chambre avant une commission réunissant les deux chambres) interpelle toujours autant les sénateurs. 45 lois sur 64 sont passées par ce mode d’adoption lors de la dernière session. Selon le rapport sénatorial, ces lois ne sont d’ailleurs même pas appliquées plus rapidement. Le délai moyen de publication des textes d’application est supérieur à 6 mois. « Le gouvernement ne s’astreint donc pas à sa propre célérité », a reproché la sénatrice Pascale Gruny lors du débat.

Franck Riester promet de réagir sur les délais de transmission des rapports au Parlement

Une autre statistique a également de quoi crisper le Sénat. Les demandes de rapports au Parlement, inscrites dans les lois, sont toujours peu suivies d’effet par le gouvernement. Le taux de remise des rapports a atteint 36 % l’an dernier. Le chiffre est en amélioration par rapport à l’année précédente (22 % seulement en 2020-2021), ce qui s’explique notamment par la remise de la « quasi-totalité des rapports prévus dans le cadre des lois prises dans le cadre de la crise sanitaire ». À 36 %, difficile de voir le verre à moitié plein.

L’insatisfaction du Sénat est d’autant plus notable que celui-ci se restreint volontairement dans les demandes de rapports. « Nous sommes parcimonieux, pour ne pas dire chiches, en matière de rapports. Pourtant, nous attendons toujours les deux tiers d’entre eux pour éclairer nos travaux et mieux légiférer », s’est impatienté le sénateur Hussein Bourgi (PS). Franck Riester a concédé que cette situation était « problématique », et qu’il n’y avait aucune intention de « dissimulation ». « Je partage votre mécontentement sur la non-transmission des rapports demandés par le Sénat et contacterai les ministres concernés dès demain matin », s’est engagé le ministre des relations avec le Parlement.

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