SIPA_01064608_000019

Avenir institutionnel de la Corse : ce rapport qui divise la droite sénatoriale

Cette semaine, la publication d’un rapport d’une mission d’information du Sénat sur l’avenir institutionnel de la Corse a été rejetée, faute de soutien de la part des centristes, des macronistes et de la gauche. Le rapport de la sénatrice LR Lauriane Josende émettait de sérieuses réserves sur la faisabilité immédiate d’un statut d’autonomie plus large de la collectivité, tel que négocié entre les élus corses et le gouvernement l’année dernière.
Simon Barbarit

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Si ce n’est pas la première fois que centristes et républicains du Sénat s’opposent sur un texte, jamais un désaccord au sein de la majorité sénatoriale n’avait conduit au rejet de la publication d’un rapport d’une mission d’information. Repoussée à plusieurs reprises ces dernières semaines, la publication du rapport de la sénatrice LR, Lauriane Josende, intitulé « La Corse dans la République : ouvrir un nouveau chapitre », a finalement été rejeté par la commission des lois du Sénat mercredi dernier, par 26 voix contre 19. L’ensemble des groupes y compris les centristes se sont opposés aux Républicains.

La pratique lors d’un désaccord sur un rapport parlementaire consiste habituellement pour les groupes à s’abstenir et à formuler leurs observations en annexes. La sénatrice accuse le sénateur centriste de la Haute-Corse, Paul-Toussaint Parigi, par ailleurs autonomiste, d’avoir exercé un lobbying intense auprès des autres groupes contre ce rapport. La mission avait pourtant fait le choix de ne pas inclure dans ses travaux les deux élus corses de la Haute assemblée, Paul-Toussaint Parigi et Jean-Jacques Panunzi (LR), afin de ne pas être taxée d’impartialité.

« Les accords de Beauvau sont une écriture constitutionnelle large qui ne permet pas une efficacité immédiate »

La publication du rapport rejetée, il ne figure pas sur le site de la commission des lois du Sénat. « Ce qui est regrettable car ça prive le gouvernement d’une base de travail. Je rappelle que les accords de Beauvau ont été conclus sans le Parlement. Depuis mai 2024, d’abord sous l’égide de François-Noël Buffet (à l’époque président de la commission des lois, entre-temps devenu ministre NDLR) la mission a travaillé, s’est déplacée, mené des auditions. Et nous nous sommes aperçus que le sujet institutionnel n’est qu’une partie du problème. Il y a des enjeux fiscaux, sociaux, économique à prendre compte. Les accords de Beauvau sont une écriture constitutionnelle large qui ne permet pas une efficacité immédiate. C’est ce qui devra être traité dans le projet de loi organique. Or, les gouvernements successifs, depuis un an, ne nous ont pas transmis de base de travail », rappelle l’élue des Pyrénées-Orientales.

Après la promesse du chef de l’Etat de « bâtir une autonomie de la Corse dans la République ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin et les élus corses étaient parvenus, en mars 2024, à s’entendre sur un projet d’« écriture constitutionnelle » permettant de reconnaître le statut d’autonomie de l’île, les fameux accords de Beauvau. Ce texte « prévoit la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle et ayant développé un lien singulier à sa terre ». L’objectif est aussi que « les lois et règlements (puissent) faire l’objet d’adaptations » locales.

« Le Sénat n’est pas là pour dire que tout est parfait »

Et c’est sur ce point que le bât blesse pour les Républicains du Sénat. Rappelons d’abord que le statut « Joxe » de 1991, puis le statut Jospin de 2002 donne à la Corse des compétences renforcées dans certains domaines, comme l’éducation, l’audiovisuel, l’action culturelle et d’environnement. La loi peut habiliter la collectivité territoriale de Corse à fixer des règles adaptées aux spécificités de l’île, sauf lorsqu’est en cause l’exercice d’une liberté ou d’un droit fondamental. Or, le rapport de Lauriane Josende relève que sur les 72 demandes d’habilitation ces 15 dernières années, seules 13 d’entre elles ont entraîné une évolution normative et la plupart n’ont pas reçu de réponses de l’Etat. « On s’est permis de dire que le pouvoir d’adaptation n’a jamais fonctionné. Le Sénat n’est pas là pour dire que tout est parfait. On se doit d’avoir un esprit critique », se défend la sénatrice. Son rapport relève sur ce point que certaines demandes d’habilitation de l’Assemblée de Corse « nécessitent une révision constitutionnelle ou l’édiction de mesures au niveau de l’Union européenne » ou alors consistent en de simples « déclarations politiques ».

« C’est un rapport qui dresse une vision caricaturale de la Corse et reflète la vision hégémonique de LR »

Paul-Toussaint Parigi indique à Public Sénat ressentir « beaucoup de regrets que cette mission n’ait pas permis des échanges constructifs sur l’évolution institutionnelle de la Corse. « C’est un rapport qui reflète la vision hégémonique de LR et qui n’ouvre pas le champ des possibles. Ce travail n’a rien de constructif. Les nombreuses demandes d’habilitation que les Corses formulent se heurtent à la barrière de la Constitution. Ce rapport dresse une vision caricaturale de la Corse qui serait dominée par la voyoucratie, incapable de rédiger un plan d’aménagement et de développement durable. Le Sénat est quand même la chambre des territoires et ne pas aller contre le fait démocratique et la volonté majoritaire. L’idée d’autonomie ne date pas de l’assassinat d’Ivan Colonna, mais des années 60 », appuie-t-il. Le rapport note, en effet, que « l’importance des groupes criminels en Corse fait peser des risques sur les élus et sur l’action publique locale ».

Toutefois, Lauriane Josende ne ferme pas totalement la porte à la possibilité de doter la Corse d’un pouvoir normatif propre. L’une de ses recommandations prévoit « au terme d’un bilan de l’exercice du droit d’adaptation à cinq ans », « d’envisager l’octroi à la collectivité de Corse d’un pouvoir de fixation des règles applicables sur son territoire ». « En refusant d’adopter ce rapport, les masques sont tombés. On voit bien que les nationalistes ne veulent pas d’un pouvoir d’adaptation de la loi mais d’un pouvoir législatif propre, c’est-à-dire sortir du droit commun pour avoir un statut comme la Polynésie », estime Jean-Jacques Panunzi qui salue le travail de Lauriane Josende. « Si on parle d’autonomie de la Corse, il faut aussi parler de finances. La loi organique devra prévoir 1,5 milliard à destination de la Corse chaque année. Sur 370 000 habitants, 80 000 vivent en dessous du seuil de pauvreté. Je doute que les cotisations permettent l’équilibre des caisses de retraite et d’assurance maladie. Sans parler du contexte sécuritaire et des 180 attentats entre 2022 et 2024 », ajoute-t-il.

A gauche, Éric Kerrouche qui suit le dossier Corse pour le groupe socialiste considère que le rapport « ne traite que des questions périphériques. Le sujet central est l’avenir institutionnel de la Corse. Soit l’écriture validée par le gouvernement et l’Assemblée de Corse. Ce que l’on pense de l’autonomie de l’île fera partie du débat devant la représentation nationale. Mais il n’est pas possible au sein de cette mission de cadenasser le débat, renvoyant la possibilité d’autonomie à une période de 5 ans et si les Corses sont gentils », explique-t-il. Le sénateur socialiste en profite pour rappeler que son parti a été « avant-gardiste » sur la question de la Corse. « L’insularité nécessite un traitement particulier. Dans la constitution portugaise, par exemple, figure l’autonomie de l’île de Madère et pourtant, le Portugal est un état plus centralisé que la France ».

En début d’année, dans son discours de politique générale, François Bayrou a promis que le calendrier pour « aboutir à une évolution constitutionnelle, fin 2025, sera respecté ». Il faudra pour cela que le projet de loi de révision constitutionnelle fasse l’objet d’un vote conforme de l’Assemblée nationale et du Sénat avant d’être approuvé par le vote des 3/5e des parlementaires réunis en Congrès. Or, les LR sans les centristes au Sénat, n’ont plus la majorité, un vote à la Haute assemblée serait donc envisageable. Lorsqu’il était président du groupe LR, Bruno Retailleau avait qualifié les accords de Beauvau de « constitutionnalisation du communautarisme » et d’une volonté de « contourner le Parlement ». On comprend donc pourquoi le ministre en charge du dossier de l’autonomie Corse n’est pas celui de l’Intérieur mais de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen.

 

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

Data Center TAS Cloud Services a Sophia-Antipolis
6min

Institutions

IA et collectivités : un rapport du Sénat préconise le partage d’expérience

Présenté ce jeudi 13 mars, le rapport sur « l’intelligence artificielle et les collectivités territoriales » préconise une série de mesures pour le développement de l’IA dans les territoires. Les propositions visent principalement à la formation et à la sensibilisation des acteurs locaux, tout en questionnant les enjeux environnementaux et sécuritaires.

Le

Mayotte :Cyclone Chido
5min

Institutions

Gestion de l’eau en Outre-mer : un rapport du Sénat qui souhaite accélérer l’accès à l’eau potable

Face à la problématique de manque d’eau dans les départements d’outre-mer, les sénateurs Georges Patient et Stéphane Fouassin ont présenté leur rapport sur la gestion de l’eau et de l’assainissement en outre-mer ainsi que l’enquête de la Cour des comptes sur le sujet. Commandés par la commission des finances, les rapports émettent plusieurs recommandations pour améliorer l’accès à l'eau en Outre-mer.

Le