C’était un grand oral très attendu. Ce mercredi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prononcé devant les députés européens son discours sur l’état de l’Union. Celui-ci s’inscrit dans un contexte politique houleux qui la voit contestée par de nombreux élus européens, certains, issus de l’extrême droite et de la gauche radicale projetant de déposer, chacun de leur côté, une motion de censure à son encontre. C’est donc tout à la fois pour défendre son mandat et avec la volonté de rassembler un parlement manifestement divisé qu’elle a pris la parole.
La Présidente de la Commission a dépeint un monde menaçant au sein duquel l’UE doit trouver sa voie, « choisir son propre destin ». Les appels à l’unité, au sursaut et à la coopération cohabitent ainsi avec des termes aux relents martiaux et darwiniens comme « combat », « lutte » ou « compétition ». Ce discours a aussi été l’occasion pour Ursula von der Leyen de présenter des initiatives et réformes diplomatiques, économiques ou encore législatives, dont certaines pourraient changer la face de l’Europe.
La guerre russo-ukrainienne et le réarmement de l’Europe
C’est par une mise en scène forte que la femme politique allemande a rappelé le soutien indéfectible de l’Europe à l’égard de l’Ukraine, révélant la présence, au sein de l’hémicycle, de l’un des trop nombreux enfants victimes du conflit initié par la Russie. Elle s’est saisie de l’occasion pour exiger la restitution des jeunes ukrainiens ravis à leurs familles et annoncer l’organisation d’un sommet international sur cette question.
La présidente de la Commission européenne a rappelé l’importance du soutien européen à l’Ukraine – 170 milliards d’euros à ce jour – et a invité à faire davantage, notamment en recourant aux avoirs russes gelés qui pourraient permettre l’octroi d’un « prêt de réparation » à la nation ukrainienne. Un alourdissement des sanctions à l’égard de la Russie pourrait également avoir lieu – un travail est en cours à ce sujet.
Tirant des leçons de la guerre en cours, l’UE mobilisera dans les années à venir des sommes considérables en vue d’assurer sa défense, comme en témoigne le plan « Préparation à l’horizon 2 030 », dont le budget pourrait avoisiner les 800 milliards d’euros. La nécessité de renforcer la sécurité des pays frontaliers de la Russie – au premier chef desquels les Etats baltes – a aussi été évoquée : « L’Europe défendra chaque centimètre carré de son territoire », a affirmé Ursula von der Leyen.
Une relation aux Etats-Unis ambiguë
Fortement critiquée pour avoir signé un accord sur les droits de douane avec les Etats-Unis, que certains pays européens jugent défavorable, la présidente de la Commission a tenté de justifier son choix. Pour ce faire, elle a brandi deux épouvantails : d’un côté, le caractère périlleux d’un monde au sein duquel la Russie et la Chine font de plus en plus parler d’elles ; de l’autre, le spectre d’une guerre commerciale avec Donald Trump, dont les conséquences seraient des plus délétères.
Mais alors que l’ancienne ministre d’Angela Merkel explique que des millions d’emplois dépendraient directement des relations européo-américaines, elle avance également que 80 % des échanges commerciaux européens seraient réalisés avec d’autres nations, ce qui invite à relativiser, en partie, la dépendance du vieux continent à l’égard des États-Unis d’Amérique. Elle a même invité à la création d’une « coalition de pays partageant les mêmes valeurs afin de réformer le système commercial mondial ».
Ursula von der Leyen s’est toutefois montrée plus virulente au sujet de la guerre en Ukraine, déplorant que la rencontre de Vladimir Poutine avec Donald Trump, en août, se soit faite sans convier Volodymyr Zelensky à la table des négociations.
Produire, protéger, innover
La présidente de la Commission européenne a rappelé la mise en place prochaine d’un Fonds européen pour la compétitivité et sa volonté de « faciliter la vie des entreprises en Europe » – par le recours à des simplifications légales et administratives, le déploiement de l’euro numérique ou encore un soutien financier.
Elle a par ailleurs annoncé la présentation d’ici peu d’une ambitieuse « feuille de route pour le marché unique à l’horizon 2028 », réaffirmant au passage son soutien à des filières clés telles que le numérique, les technologies vertes ou l’automobile. Un « acte législatif pour l’accélération de l’activité industrielle » sera, de surcroît, proposé prochainement par la Commission européenne.
Une production difficilement viable sans souveraineté énergétique, ce qu’a fait remarquer Ursula von der Leyen, qui projette pour l’UE tout à la fois de ne plus dépendre des carburants russes et de développer massivement ses moyens de production d‘énergie verte, notamment le nucléaire. Elle ambitionne aussi de défendre l’économie européenne, en soutenant l’agriculture des pays membres face à la concurrence extérieure, et en rendant prioritaires les entreprises du même continent dans l’attribution de marchés publics. Ce dossier, très sensible, cristallise les tensions, notamment en France.
L’Allemande a enfin mis en exergue la nécessité d’innover, défendant une Europe de la recherche désireuse d’attirer les meilleurs chercheurs, visée déjà affichée par Emmanuel lors de sa conférence Choose Europe for science donnée en Sorbonne le 5 mai dernier. 500 millions d’euros ont été débloqués dans ce but, somme toute quelque peu modeste au regard de l’objectif affiché. Innover passe, par ailleurs, par le fait de soutenir les investissements dans les nouvelles technologies, main dans la main avec des P.-D.G. européens et des investisseurs privés.
Vers une métamorphose de l’Union européenne ?
Pour Ursula von der Leyen, l’Union européenne demeure un chantier de tous les instants : c’est tout d’abord un groupe qui gagnerait à être élargi, comme l’attestent certains de ses propos – « Seule une Europe unie — et une Europe réunie — peut être une Europe indépendante […] Pour l’Ukraine, pour la Moldavie et pour les Balkans occidentaux, l’avenir est au sein de notre Union. » Mais un tel élargissement, bien que désirable, pose des questions économiques, politiques et diplomatiques aussi nombreuses que délicates.
C’est par ailleurs un bouleversement plus structurel que semble avoir initié Ursula von der Leyen, faisant sauter un tabou en déclarant que « Le moment [était] venu de nous libérer du carcan de l’unanimité ! », ouvrant possiblement la voie à une gouvernance européenne plus efficace, et ce particulièrement en matière de politique étrangère. Le passage de l’unanimité à la majorité pourrait permettre d’éviter qu’un pays n’entrave une décision importante et plutôt consensuelle, à l’instar de la Hongrie dont la proximité avec le pouvoir russe ralentit l’adoption de sanctions lourdes à l’égard de Moscou.
C’est enfin sur un élargissement du champ d’action de l’UE que table la présidente de la Commission, celle-ci aspirant à voir le rôle de l’Union accru en matière de santé mondiale et le marché unique achevé – par le truchement de réformes relatives à la finance, aux énergies ou encore aux télécommunications.
Les groupes politiques du Parlement européen se sont exprimés après elle, deux d’entre eux annonçant le dépôt de motions de censure. Aucune institution, même au niveau européen, ne semble indemne des doutes et divisions qui agitent la scène internationale et le monde politique.
Gauthier Dufossez