Parmi les mesures validées par les Etats membres, il y a la possibilité d’ouvrir des centres en dehors des frontières de l’UE pour y envoyer les migrants dont la demande d’asile aurait été rejetée. Est-ce qu’il faut parler de rupture dans la politique migratoire européenne ?
C’est effectivement un tournant, car c’est un dispositif qui n’a jamais été testé : envoyer des personnes vers des États tiers avec lesquels elles n’ont aucun lien. C’est le projet des Pays-Bas, qui ont conclu un accord avec l’Ouganda.
Mais est-ce que cela va vraiment pouvoir se faire ? Combien de personnes seront concernées ? Les États membres vont essayer de piloter ces politiques, ce qui pose des questions sur les profils, les nombres, et les coûts. Obtenir l’accord d’un État tiers aura par exemple un coût important. Certains États membres présentent cela comme un instrument supplémentaire dans leur « boîte à outils », pour renforcer le contrôle des frontières et servir de moyen de dissuasion.
Comment tout cela va-t-il se traduire très concrètement ?
La création de centres pour le retour envoie un message à l’extérieur : l’UE cherche à fermer ses portes. Et à l’intérieur, cela signale aux personnes en procédure de retour que, même si leur pays d’origine ne coopère pas, elles pourraient être envoyées ailleurs, dans un État tiers. Par exemple, une personne venant du Mali pourrait être renvoyée vers l’Ouganda, dans l’esprit de ce que souhaitent faire les Néerlandais. Reste à savoir si ces accords avec les pays tiers pourront vraiment être mis en place. Quels seront les droits des personnes ? Leur statut ? Tout cela demeure encore très flou.
Est-ce la consécration du modèle italien de gestion de l’immigration ?
L’accord entre l’Italie et l’Albanie n’a pas produit les résultats promis par le gouvernement italien. Il n’a pas conduit à des retours massifs. Il a seulement permis le transfert de quelques centaines de personnes vers les centres en Albanie.
Ce qui a été adopté lundi par les ministres de l’intérieur est différent : les deux accords sur le concept de pays tiers sûr et les centres de retour vont mener à de nouveaux modèles d’externalisation, avec différentes modalités de coopération et de financement. Il s’agit d’un système différent du système italien.
Les Vingt-Sept se sont aussi mis d’accord sur un nouveau système de répartition des demandeurs d’asile. Les autres États membres devront relocaliser des demandeurs sur leur sol ou verser une contribution financière de 20.000 euros par demandeur aux pays sous pression. Est-ce que ce mécanisme vous paraît efficace ?
C’est la traduction directe de la solidarité telle qu’elle est prévue par le Pacte asile et immigration. Il s’agit du compromis trouvé après que la relocalisation obligatoire a été jugée inacceptable par certains États membres. Le système retenu est plus flexible : les États peuvent contribuer financièrement plutôt que de relocaliser des personnes migrantes. Concrètement, un demandeur d’asile relève du pays de première entrée, mais la Commission a estimé que certains États étant sous pression, les autres doivent leur témoigner de la solidarité.
Mais des États comme la Hongrie ont déjà déclaré qu’ils ne contribueraient pas. La question est donc : que se passe-t-il alors ? Est-ce que la Commission mettra en place des sanctions ? Quels sont les risques d’entraîner une instrumentalisation encore plus importante sur ce sujet ?
Quelle est la position de la France sur la gestion de l’immigration par des pays tiers ?
Une majorité d’États membres défend ces « modèles innovants », mais l’Espagne et la France sont très sceptiques. Par exemple, en ce qui concerne les centres pour le retour, certains considèrent qu’il vaut mieux renforcer les relations au niveau bilatéral pour améliorer la coopération sur la réadmission, plutôt que de passer par des États tiers. Ces modèles feront désormais l’objet de projets pilotes : la question est de savoir s’ils donneront les résultats escomptés, et si d’autres États les adopteront ensuite.
L’année dernière, les arrivées dans l’UE ont baissé d’environ 20 %. Est-ce dû aux politiques européennes ou au contexte international ?
C’est un peu tout ça. Les chiffres fluctuent en fonction de la situation internationale, de celle des pays de premier accueil, où beaucoup ont cherché refuge. Cela dépend aussi des réseaux de passeurs, de leur capacité à opérer, de la situation économique dans l’UE — y a-t-il des emplois disponibles ? — et de la coopération avec les pays aux frontières de l’Europe. La Tunisie, par exemple, a durci sa politique envers les ressortissants d’Afrique subsaharienne, ce qui a réduit les départs vers l’UE ces derniers mois.
Ce que ce paquet de mesures veut envoyer comme message est clair : « Si vous venez de manière irrégulière, ce sera compliqué pour vous de rester ».
Quelle est la suite de la procédure ?
Il y a un accord au Conseil, ce sera ensuite au Parlement. C’est un succès pour la présidence danoise, qui a réussi à obtenir ces accords sur différents dossiers. Il y a eu beaucoup de discussions les mois précédents, un gros travail a été fait.
C’est une victoire de la droite et de l’extrême droite, mais aussi de partis centristes tel que le parti social-démocrate danois. C’est la victoire d’un positionnement de fermeture des frontières et de dispositifs visant à dissuader les étrangers de venir dans l’UE.