Arnaud Rousseau public meeting in Saint Germain du Puch
French president of the FNSEA union Arnaud Rousseau, gives a public meeting at the Chateau Goudichaud, ahead of the professional elections. In Saint Germain du Puch, January 10, 2025.//AMEZUGO_000828/Credit:UGO AMEZ/SIPA/2501101439

Elections agricoles : comment expliquer le net recul de la FNSEA, bousculée par la Coordination rurale ?

La Coordination rurale a réalisé une percée inédite aux élections des chambres d'agriculture, décrochant une quinzaine de départements, selon des résultats provisoires. Si l'alliance majoritaire FNSEA-JA demeure très largement en tête, ce score trahit les questionnements qui agitent ce syndicat, interlocuteur privilégié de l’Etat depuis les années 1960.
Romain David

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Un recul historique. L’hégémonie de la FNSEA, principal syndicat agricole, a été largement entamée à l’occasion des élections aux chambres d’agriculture, au cours desquelles la Coordination rurale a réalisé une importante percée. Les « bonnets jaunes » de la CR ont remporté une petite quinzaine de départements, selon les résultats, encore provisoires, dévoilés dans la nuit de jeudi à vendredi. L’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs (JA) reste toutefois largement majoritaire en conservant plus de 80 % des chambres d’agriculture. Pour rappel, ce ticket détenait jusqu’à présent la présidence de 97 chambres sur 101, contre 3 pour la CR. De son côté, la Confédération paysanne, qui détenait Mayotte, remporte l’Ardèche. Quelque 2,2 millions d’électeurs, parmi lesquels 405 000 chefs d’exploitation, étaient appelés aux urnes.

« Il faut prendre le temps d’analyser le recul dans certains départements. Il traduit aussi la crise vécue par les agriculteurs et l’insuffisance de réponse à leurs attentes depuis des mois du fait d’une instabilité politique sans précédent », a réagi la FNSEA et les JA dans un communiqué commun.

Parmi les départements qui tombent aux mains de la CR : les Ardennes, l’Indre-et-Loire, le Cher, la Charente, la Charente-Maritime, la Dordogne, les Ardennes, la Lozère, le Tarn, le Loir-et-Cher, le Gers, le Lot-et-Garonne. En Gironde, la victoire s’est jouée à six voix d’écart. « C’est le résultat de l’expression de nos agriculteurs sur le terrain, qui ont démontré qu’ils ne voulaient pas mourir en silence », a salué Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale sur BFM TV.

Une forte dynamique

« La performance de la Coordination rurale n’est pas surprenante. Ce syndicat bénéficie désormais d’une dynamique déjà bien amorcée côté politique dans la mesure où il existe une grande proximité avec le Rassemblement national, même s’ils s’en défendent mordicus », analyse auprès de Public Sénat Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech (Université Paris-Saclay) et chercheur associé au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales). « C’est une aubaine pour eux d’avoir trouvé un parti politique qui a le vent en poupe et qui a adopté leur agenda agricole ».

Sur la carte électorale, c’est en Aquitaine et en Occitanie que l’ancrage de la CR est le plus marqué. « Il y a une implantation très claire dans certaines zones, mais sans corrélation avec la couleur politique du département », observe néanmoins Alexandre Hobeika, expert des questions agricoles, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). « L’effet des mobilisations des derniers mois, plus importantes dans ces secteurs, a pu jouer. Il s’agit aussi de territoires intermédiaires, moins ciblés par la politique agricole commune (PAC) », poursuit ce chercheur en sciences politiques.

Né d’une scission de la FNSEA au début des années 1990, la Coordination rurale continue de porter des revendications assez proches du premier syndicat agricole : lutte contre l’inflation normative, volonté de renégocier la PAC, opposition aux accords de libre-échange, etc. « En revanche, ils se positionnent contre l’hégémonie de la FNSEA, dont ils dénoncent la proximité avec l’Etat, et plaident pour une plus grande autonomie des agriculteurs », résume Alexandre Hobeika. « Leur principale difficulté, à présent qu’ils accèdent à de plus grandes responsabilités, va être de proposer des solutions différentes ».

Essoufflement du modèle de cogestion

Le recul de la FNSEA interroge indirectement l’avenir du système de cogestion, développé à partir des années 1960, notamment sous l’impulsion d’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture de Charles de Gaulle. Ce modèle a fait de la FNSEA un relais de l’Etat central dans les territoires, participant au déploiement des politiques publiques mises en place pour construire le modèle agricole français d’après-guerre. « Cette forme de partenariat a longtemps permis à la FNSEA d’endiguer la montée en puissance de la Coordination rurale en obtenant, notamment sous la présidence de Christiane Lambert, des concessions gigantesques pour les agriculteurs, et très coûteuses pour l’Etat », relève Jean-Christophe Bureau.

Mais le premier syndicat agricole semble aussi avoir fait les frais de l’instabilité politique : nombre des promesses arrachées à Gabriel Attal en février dernier sont restées en suspens, d’abord avec la dissolution, puis à cause de la censure du gouvernement de Michel Barnier. Le projet de loi d’orientation agricole en a fait les frais : le parcours législatif de ce texte actuellement examiné au Sénat, et qui entend notamment s’attaquer à la crise du renouvellement des générations et à la surtransposition des normes, a été interrompu pendant neuf mois. « Les manifestations d’agriculteurs organisées par la FNSEA et les JA, après la chute de Michel Barnier, devant les permanences de parlementaires ayant voté la censure, notamment celles des députées RN, étaient indirectement une manière de cibler la Coordination rurale », analyse encore Jean-Christophe Bureau.

La base contre les grands exploitants

Par ailleurs, les tensions grandissantes entre les céréaliers et les éleveurs, ces derniers étant plus sensibles à la volatilité des prix, travaillent aussi le premier syndicat agricole depuis plusieurs années. « Il y a une forme de ras-le-bol qui s’exprime contre l’hyperdomination des céréaliers dans les instances dirigeantes », observe Alexandre Hobeika. « L’élection en 2023 d’Arnaud Rousseau à la tête de la FNSEA, ancien président du groupe Avril, spécialiste des oléagineux, prête particulièrement le flanc à ces critiques. »

« Certains agriculteurs, au sein des apparatchiks syndicaux, ont instrumentalisé la colère de la base liée à la question des revenus, et qui est l’une des premières inquiétudes du monde rural, pour bâtir un mouvement de protestation contre les normes et l’Union européenne, avec des revendications qui, en fin de compte, seraient plutôt favorables aux gros exploitants », décrypte Jean-Christophe Bureau. « Paradoxalement, la Coordination rurale use de la même stratégie, mais parvient à réaliser ses meilleurs scores chez les petits exploitants du Sud-Ouest, qui sont principalement des éleveurs ou des viticulteurs. »

« On risque d’assister à une inflation verbale »

Pour autant, avec au moins 70 chambres départementales ou interdépartementales dans lesquelles elle est arrivée en tête des élections, l’alliance FNSEA-JA demeure largement dominante et devrait rester l’interlocuteur privilégié de l’Etat. Elle conserve par ailleurs des moyens humains et budgétaires bien plus importants que ces rivaux, avec un certain niveau d’expertise sur des dossiers particulièrement techniques comme la PAC. « Ces élections vont pousser la Coordination rurale à se professionnaliser davantage pour rester au niveau. À ce stade, le mouvement est encore assez peu structuré. En face, le gouvernement sera certainement amené à tendre un peu plus l’oreille aux syndicats minoritaires », explique Alexandre Hobeika.

« Ces élections font vaciller le rapport de force mais il ne s’agit pas d’un retournement de situation. La FNSEA va rester prédominante. En revanche, pour contrebalancer le poids grandissant de la CR, on risque d’assister à une inflation verbale, avec une surenchère de revendications de chaque côté, en particulier pour combattre les normes environnementales et les impératifs écologiques qui sont perçus comme des entraves », avertit Jean-Christophe Bureau, qui évoque à mi-mots un risque de « trumpisation » du monde agricole.

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