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Gérald Darmanin prêt à satisfaire les syndicats de police : « Peut-on calmer une colère en rognant sur l’Etat de droit ? »

Après plusieurs jours de silence, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, se dit prêt à travailler sur les principales revendications des syndicats de police, notamment la possibilité d’un aménagement des règles de détention provisoire. Du côté du Sénat, les élus de gauche dénoncent une atteinte à l’Etat de droit. La droite veut se montrer vigilante sur le risque de rupture d’égalité devant la loi.
Romain David

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Gérald Darmanin a donné une large satisfaction aux syndicats. Le ministre de l’Intérieur a reçu jeudi les représentants syndicaux des forces de l’ordre, dans un contexte de grogne des policiers marseillais, après le placement en détention provisoire d’un agent de la brigade anticriminalité, soupçonné de violences policières. Selon les déclarations des responsables syndicaux à l’issue de cet entretien, le locataire de la place Beauvau s’est montré « ouvert » à l’idée de travailler sur certaines de leurs revendications, notamment un aménagement de l’article 144 du code de procédure pénale qui régit la détention provisoire.

Un peu plus tôt dans la journée, le ministre avait estimé que « les policiers ne pouvaient pas être les seules personnes en France pour lesquelles la présomption d’innocence […] est remplacée par la présomption de culpabilité ». Il s’agissait de sa première prise de parole depuis l’interview polémique du directeur de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, au Parisien, publiée dimanche soir, et dans laquelle ce haut fonctionnaire a considéré « qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail ». Ce jeudi, Gérald Darmanin a salué un « grand flic » et redit son « soutien total » au patron de la police dont les propos ont soulevé un large tollé à gauche.

Appels à la démission du ministre

Les déclarations de Gérald Darmanin n’ont pas manqué, une fois de plus, de faire réagir sur les réseaux sociaux et dans les médias. Dans un rare communiqué commun publié ce vendredi 28 juillet, la Conférence nationale des premiers présidents de Cour d’appel et la Conférence nationale des procureurs généraux dénoncent « la dégradation de l’Etat de droit que de tels propos révèlent. » Dans la matinale de France 2, Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), a évoqué un « triumvirat » – ciblant, en plus de Gérald Darmanin et Frédéric Veaux, Laurent Nunez, le préfet de police de Paris qui s’était montré solidaire des déclarations du DGPN – qui « défie les règles républicaines et les grands principes qui nous régissent ». Le socialiste a appelé à la démission de ces trois responsables. Même réaction du côté de la France insoumise : « La seule chose dont Gérald Darmanin devrait à présent s’honorer, c’est sa démission », a tweeté l’eurodéputée Manon Aubry.

« Une campagne anti-justice »

Sans aller aussi loin, la gauche sénatoriale ne cache pas non plus son inquiétude après les déclarations du ministre. « On navigue dans des eaux assez dangereuses. On ne joue pas comme cela avec l’Etat de droit », alerte le sénateur socialiste Jérôme Durain, spécialiste des questions de sécurité. « On nous explique à chaque cas de violences policières qu’il n’y a pas de régime d’impunité à l’égard des forces de l’ordre, et pourtant, les pistes proposées vont dans la direction inverse », pointe l’élu, tout en rappelant que les fonctionnaires de police disposent déjà de mesures protectrices.

Jérôme Durain relève également l’incohérence des prises de parole au sein de l’exécutif. Lundi, dans l’entretien qu’il a accordé à TF1 et France 2, le chef de l’Etat a voulu ménager les forces de l’ordre, expliquant « comprendre leur émotion », mais tout en rappelant que « nul, en République, n’est au-dessus de la loi ». Trois jours plus tard, Gérald Darmanin s’aventure plus loin en proposant de modifier la loi. « Le président de la République prend un véritable risque à laisser prospérer une telle campagne anti-justice », estime Jérôme Durain. « Soit il y a un partage des rôles, et donc une forme de duplicité au sein de l’exécutif, soit une absence de ligne ». De son côté, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a rappelé en marge d’un déplacement dans le Vaucluse que la justice « avait besoin, comme les policiers, de respect, d’indépendance, et qu’on la laisse travailler ».

Pour le sénateur écologiste Guy Benarroche, les propos de Gérald Darmanin sont « inappropriés et mal venus ». « Quand je pense que ce gouvernement n’a pas bougé d’un seul iota sur les retraites malgré la pression de l’intersyndicale pendant des mois, et là, parce que les syndicats de police s’offusquent de la simple application des lois, ils se disent prêts à les changer ! », soupire-t-il.

« Il n’est pas question de mettre en place un régime d’exception ! »

Pour autant, le ministre de l’Intérieur n’a pas la main sur le code de procédure pénale. S’il souhaite modifier l’article 144, il devra en passer par un projet de loi qui sera soumis à l’Assemblée nationale et au Sénat. « C’est le Parlement qui écrit la loi, après avis du Conseil d’Etat, et soumis au contrôle du juge constitutionnel », rappelle le sénateur centriste Loïc Hervé, qui siège également à la commission des lois.

« Les propos du ministre ont aussi une vocation interne, ils sont de nature à rassurer les fonctionnaires. Mais peut-on calmer une colère en rognant sur l’Etat de droit ? La réponse est évidemment non », martèle cet élu, réputé pour avoir systématiquement pris la défense des libertés publiques face aux restrictions mises en place pendant la pandémie de covid-19. « Nous ne sommes pas fermés à l’idée que le ministre fasse des propositions. La commission des lois du Sénat y sera regardante, car il n’est pas question de mettre en place un régime d’exception ! », avertit Loïc Hervé.

Pour le sénateur LR Jérôme Bascher, Gérald Darmanin n’est pas obligé de toucher au code de procédure pénale pour donner satisfaction aux syndicats, il pourrait jouer sur les simples modalités de sa mise en œuvre : « Faut-il placer un policier en détention provisoire lorsqu’il y a un risque de concertation frauduleuse avec d’autres collègues ? La réponse est oui. Faut-il placer les policiers dans les mêmes prisons que celles des malfrats qu’ils arrêtent ? La réponse est non. » Il évoque ainsi la piste de centres de détention spécifique.

« La police est l’enfant malade du ministère de l’Intérieur, peut-être parce qu’ils ont affaire à de plus grandes violences que les gendarmes », observe encore ce proche de Xavier Bertrand. Loïc Hervé, lui, souligne l’effet loupe autour de la situation marseillaise. « Ce n’est pas parce que les syndicats sont particulièrement vindicatifs sur les plateaux télévisés que tous les policiers le sont », pointe-t-il. Gérald Darmanin a affirmé que « moins de 5 % des policiers, soit se sont mis en arrêt maladie, soit ont refusé d’aller au travail », mais le mouvement, apparu en dehors des lignes syndicales, pourrait finir par faire tache d’huile. « Cette situation révèle une vraie crise de vocation. Les policiers assument depuis les Gilets Jaunes des situations de plus en plus difficiles, globalement avec beaucoup de retenue. Mais je ne suis pas sûr, pour autant, que les pistes de travail évoquées par le ministre correspondent vraiment à ce qu’attend l’immense majorité des agents en France. »

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