Emmanuel Macron meets with New Caledonia political forces – Noumea

Gestion de la crise en Nouvelle-Calédonie par Gérald Darmanin : « On lui fait porter beaucoup de choses qu’il n’est pas le seul à porter » pour Benjamin Morel

Gérald Darmanin, en charge du dossier calédonien jusqu’à ce mercredi, est pointé du doigt pour sa responsabilité dans l’embrasement de la situation à Nouméa. Le constitutionnaliste Benjamin Morel démêle, dans un entretien à Public Sénat, les responsabilités qu’il partage avec le reste de l’exécutif, dans l’embrasement de l’archipel.
Mathilde Nutarelli

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

L’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral sur le Caillou a ravivé un embrasement en Nouvelle-Calédonie, dont les observateurs peinent à voir la fin.  Alors que les propositions se succèdent (tenue d’un nouveau référendum, nomination d’un médiateur), aucune ne semble pour l’instant se dessiner clairement. Dans cette crise, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui a porté le dossier depuis plusieurs mois, est pointé du doigt comme le responsable de l’enlisement. Dans un entretien à Public Sénat, Benjamin Morel, constitutionnaliste, maître de conférences en Droit public-Paris II Panthéon-Assas et auteur de La France en miettes. Régionalismes, l’autre séparatisme (Le Cerf, 2023), démêle les stratégies et les responsabilités de l’exécutif dans la crise.

Gérald Darmanin est pointé du doigt dans la crise actuelle, il est accusé d’avoir envenimé la situation. Est-ce votre avis ?

On lui fait porter beaucoup de choses qu’il n’est pas le seul à porter, c’est facile de faire les comptes après coup. Le comportement de l’exécutif a posé problème sur deux points. Le premier aspect, dont il est loin d’être le seul responsable, c’est une sortie de la neutralité de l’Etat, notamment au moment de la tenue du troisième référendum sur l’indépendance en 2021. La mise en place de ce référendum a pu être problématique, car refusé par les indépendantistes, même s’il ne faut pas être dupe de leur discours. Au moment du référendum, l’indépendance gagnait des points dans les sondages, et jusqu’à quelques semaines avant, les pro-indépendance étaient d’accord sur la date. Mais il y a eu une logique politique de la part d’acteurs indépendantistes qui ont craint de perdre le référendum, au vu de l’action de l’Etat pendant le covid. Ils se sont donc mis à plaider pour un report et un appel au boycott s’il était maintenu. L’Etat a néanmoins décidé de tenir le scrutin en tenant des argumentaires qui n’étaient pas neutres.

Le deuxième aspect, c’est une erreur de personnes. Nommer Sonia Backes au gouvernement [elle est présidente non-indépendantiste de la province Sud, NDLR] puis nommer un rapporteur non-indépendantiste pour le projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale envoie des signaux de non-neutralité de l’Etat.

Dans ces deux situations, ce n’était pas Gérald Darmanin le responsable, mais plutôt Sébastien Lecornu, ou le gouvernement.

Que s’est-il passé alors pour qu’il soit désigné comme le responsable du blocage ? Gérald Darmanin sert-il de fusible ?

L’erreur de Gérald Darmanin, c’est d’avoir dit qu’il fallait sortir de la situation de statu quo et forcer la donne en faisant un projet de loi sur le point le plus sensible : le corps électoral. Or, les négociations, pourtant prévues par les accords de Nouméa, n’avançaient pas : les deux camps ne sont pas d’accord et ne se sentent pas contraints d’avancer. En avançant sur le corps électoral, il comptait forcer les indépendantistes à revenir autour de la table et ainsi pousser à la négociation, ce qui n’est pas absurde. Mais quand on lance cela dans une cocotte-minute, le résultat est incertain. Pendant les auditions au Sénat de Gérald Darmanin, en préparation du projet de loi, le scénario et la méthode ne semblaient pas délirants. Maintenant, on peut dire que ce n’était pas malin, mais aurait-il été plus malin d’attendre ?

L’erreur originelle ne réside-t-elle pas dans le fait d’avoir confié les Outre-mer à l’Intérieur, alors qu’il était redevenu un ministère de plein exercice sous François Hollande, et d’avoir confié le dossier calédonien à Gérald Darmanin plutôt qu’à Gabriel Attal ?

Gérald Darmanin a fait de grosses erreurs avec la loi immigration, mais pas là. Ce n’est pas parce que cela aurait été géré à Matignon que cela aurait été mieux fait. Les appels à recentrer sur le Premier ministre sont soit de la basse politique, soit une sorte de nostalgie des années rocardiennes.

C’est une problématique générale dans les administrations. Théoriquement, on a une logique qui induit une lecture plus sécuritaire de ces sujets, moins politique, économique et sociale, quand il est à l’Intérieur. Mais il ne faut pas non plus surestimer cela : des administrateurs demeurent d’une institution à une autre avec leur culture. Une partie de la classe politique se passionne pour les questions de découpage interministériel, mais ce n’est pas le cœur du problème. En Nouvelle-Calédonie il a deux causes : la sortie de l’ambiguïté issue des accords de Nouméa et une crise économique, dont on ne parle pas assez. L’effondrement total de la filière nickel est un vrai choc social, cela permet de comprendre l’explosion de violence. Il n’y a plus de perspectives dans le milieu kanak. Que ce soit géré à Matignon ne changera rien à cela.

Après son raté sur la loi immigration en décembre, Gérald Darmanin n’est-il pas trop fragilisé ? D’autant que des dossiers cruciaux arrivent : le projet de loi constitutionnelle sur Mayotte, celui sur l’avenir de la Corse. A-t-il encore l’envergure et la crédibilité pour les assurer ?

Il est probable que ces deux dossiers soient repoussés après les Jeux olympiques, mais cela ne va pas l’aider. Les deux autres textes sont des canards boiteux : sur la Corse, cela pousse au communautarisme. A Mayotte, cela ouvre la voix aux oppositions pour demander la remise en cause du droit du sol sur le reste du territoire.

D’après le spécialiste de la Nouvelle-Calédonie Benoît Trépied, ce territoire est « une poudrière depuis longtemps », et les alertes n’ont pas manqué, y compris venant d’anciens Premiers ministres (Edouard Philippe, Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault) dans une tribune au Monde appelant Matignon à se saisir du dossier. Que s’est-il passé pour que cela s’envenime à ce point et que l’exécutif campe sur ses positions ?

Cela s’est envenimé parce que les indépendantistes ont compris que si le projet de loi avançait, ils perdaient un outil de négociation crucial. Quand le texte est passé au Sénat, les discussions ont repris et la stratégie de Gérald Darmanin fonctionnait.

Le problème, c’est que dans tous les camps, des pressions internes se sont exprimées, et la situation politique a profondément changé. Le texte arrive à l’Assemblée nationale et il se concrétise, les négociations s’interrompent. Les indépendantistes se sont retrouvés dans une situation intenable : si le texte était adopté en l’état, leur levier de négociation disparaissait. Il y avait donc le sentiment d’une urgence à agir, ils ont donc lancé des mobilisations dont ils ont aujourd’hui perdu le contrôle. Ils n’ont aucun intérêt à la situation actuelle.

De la part de l’exécutif, il aurait fallu plus de prudence, on dansait sur un volcan. Ils ont fait des erreurs, mais cela fait trente-six ans que l’on danse sur un volcan et qu’à chaque occasion, on reporte la décision. Les accords de Nouméa, c’est une lâcheté. L’état aurait dû imposer un accord, mais il l’a repoussé parce que la situation était déjà une poudrière. Emmanuel Maron a organisé in extremis un premier référendum en 2018, un dernier en 2021. On pouvait toujours jouer encore la montre, en arguant de la sensibilité du sujet, mais les parties ne négociaient pas, il fallait bien agir.

Le problème de la Nouvelle-Calédonie, c’est qu’elle a un statut colonial dont personne n’a intérêt à sortir. Or, ce statut est transitoire par définition. Si l’état avait été courageux plus tôt, il aurait dit aux parties de trancher plut tôt. Mais dès lors qu’on impose cela, comme personne n’a intérêt à trancher, on met le feu aux poudres. L’exécutif aurait donc pu faire autrement, ce qu’ils ont fait est maladroit, mais il n’était pas évident qu’une autre solution aurait pu mener à une autre situation. Enfin, tout cela était prévisible. Comme tout le monde était dans une situation ambigüe, la seule façon d’en sortir était qu’un camp accepte d’avoir totalement perdu. Autrement, cela explosait. Est-ce qu’une méthode différente aurait pu faire qu’un camp accepte docilement d’avoir perdu ? Quand on regarde les solutions proposées par les oppositions, comme la tenue d’un autre référendum, c’est encore une manière de repousser l’échéance.

Dans la même thématique

Paris: E. Macron inauguration Maison de L Elysee
10min

Institutions

La Cinquième République, régime parlementaire ou présidentiel ?

Pensée comme un régime parlementaire, où le gouvernement procède de l’Assemblée nationale, la Cinquième République a vu, au fil des décennies, le poids de la figure présidentielle se renforcer suivant la manière dont les chefs d’Etat successifs envisageaient leur fonction. Mais le paysage politique issu des législatives anticipées pourrait amener à une lecture plus littérale de la Constitution.

Le

Paris: Macron and Attal during a ceremony at the Mont-Valerien memorial
7min

Institutions

Défense et affaires étrangères : « Le Président de la République reste en situation dominante », selon des constitutionnalistes

Auditionnés au Sénat ce mercredi dans le cadre de la Commission des affaires étrangères, constitutionnalistes et hauts fonctionnaires ont été interrogés sur les relations entre les deux têtes de l’exécutif sur les questions de défense nationale et d’affaires étrangères, en particulier en temps de cohabitation. De manière unanime, ils estiment que le Président de la République garde toujours « le dernier mot » par rapport à son Premier ministre, même en cas de désaccord politique avec ce dernier.

Le

La sélection de la rédaction