Photo illustration police nationale en service

Les syndicats de police ont-ils trop de pouvoir ?

Une partie de la classe politique voit à travers les propos tenus par le directeur général de la police nationale, sur la mise en détention provisoire de policiers, le lobbying de certains syndicats. Retour sur la montée en puissance progressive des organisations représentatives des forces de l’ordre, fortes d’un taux de syndiqués record au sein de la fonction publique.
Romain David

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« La macronie est pieds et poings liés avec les syndicats de police factieux. […] Elle est pétrifiée devant eux, incapable de rétablir l’ordre républicain ». Ce tweet de la députée LFI Aurélie Trouvé résume à lui seul le coup de gueule poussé par de nombreux responsables de gauche face à l’entretien polémique de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, au Parisien. Ce haut fonctionnaire a pris la défense d’un policier marseillais suspecté de violences et placé en détention provisoire, estimant qu’un agent des forces de l’ordre n’a pas à être emprisonné avant d’avoir été jugé.

Ses propos ont nourri de nombreuses réactions en 48 heures. Même le chef de l’Etat a été invité à les commenter lors de l’interview qu’il a accordée à TF1 et France 2, depuis Nouméa lundi. Ils interrogent aussi sur le poids pris par des syndicats toujours plus revendicatifs au sein de l’administration policière. « Si l’influence des syndicats a toujours été constante, son niveau a beaucoup varié au fil des années », observe auprès de Public Sénat Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police, chez Grasset.

Des origines au tournant des années 1980

Apparu à la fin des années 1920, le syndicalisme policier a longtemps entretenu une dimension corporatiste, car principalement organisé par corps de métier et par grades. Il se professionnalise au lendemain de la Seconde guerre mondiale, avant le rassemblement d’une dizaine d’organisations sous une seule bannière, la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), dans les années 1970. Les années 1980 sont une décennie faste pour le syndicalisme policier ; il monte en puissance à la faveur de l’arrivée des socialistes au pouvoir. « Ils ont pris beaucoup de force sous François Mitterrand », se souvient le sénateur apparenté LR Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des Finances sur la sécurité. « Ils ont profité de cette volonté de la gauche de démontrer son sérieux sur les sujets régaliens. »

Pour autant, les relations du pouvoir avec les forces de l’ordre ne sont pas exemptes de tensions. Le 3 juin 1983, des policiers manifestent sous les fenêtres du garde des Sceaux Robert Badinter, après la mort de deux de leurs collègues lors d’un cambriolage à Paris. À l’appel de la Fédération professionnelle indépendante de la police (FFPIP), un syndicat indépendant classé à l’extrême droite, les fonctionnaires réclament la démission du ministre de la Justice, accusé de laxisme dans un contexte d’abolition de la peine de mort et de suppression de la loi « anticasseurs » votée après les événements de mai 1968.

La Fédération autonome des syndicats de police finit par se disloquer dans les années 1990, minée par des divisions internes. De cette implosion naît l’UNSA-Police. En 1995, le syndicat Alliance voit le jour, issu notamment du rapprochement du Syndicat indépendant de la Police nationale (SIPN) et du Syndicat national des enquêteurs (SNE). La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale modifie les règles de représentativité et vient bouleverser le paysage syndical, cherchant à en finir avec une logique de chapelles. « L’inconvénient était double : les policiers n’étaient pas en mesure de porter une voix forte, et du côté du gouvernement, il manquait un interlocuteur principal », note Sebastian Roché.

Lors des dernières élections professionnelles, en décembre 2022, un bloc de 13 syndicats, emmené par Alliance et l’Unsa Police est arrivé en tête avec 49,45 % des suffrages, suivi par Unité SG Police-FO, avec 35 % des voix. De quoi permettre à ces deux organisations de se répartir l’essentiel des sièges du comité social d’administration de la place Beauvau, un organe consultatif, courroie de transmission entre la base et le ministère, qui permet aussi à l’Intérieur de prendre la température avec le terrain.

Un taux de syndicalisation record

Paradoxalement, le poids des syndicats au sein de la profession a été battu en brèche ces dernières années par le législateur, qui a progressivement rogné le pouvoir accordé par la réglementation. En 2020 et en 2021 notamment, les commissions administratives paritaires (CAP), où siègent à parts égales représentants de l’administration et représentants des fonctionnaires, ont perdu leurs compétences en matière de mobilité, de mutations, de promotion et d’avancement des carrières.

Pour conserver leurs adhérents et justifier le prix des cotisations, les organisations ont développé un syndicalisme de service relativement poussé. Le taux de syndicalisation au sein de la police est traditionnellement considéré comme le plus élevé de la fonction publique, même s’il n’existe aucune donnée chiffrée officielle. Des taux de 70, 80, voire 90 % de syndiqués sont régulièrement évoqués par les médias. Une étude du ministère du Travail, citée en 2016 par La Gazette des communes, évoque un taux plus modéré de 49 %, ce qui reste particulièrement haut par rapport au reste de la fonction publique ou au privé.

Une pression venue d’en bas

« Les organisations se sont mises aussi à crier plus fort ces dernières années. À mesure qu’on leur a retiré certaines prérogatives, elles ont développé une véritable agressivité médiatique, tendant à entretenir l’illusion d’une forme d’autorité, voire d’ascendant sur les responsables politiques, ce qui ne correspond pas tout à fait à la réalité, un peu comme la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf. Par exemple, elles n’ont pas su empêcher la réforme de la PJ malgré la très large contestation de la base », observe Sebastian Roché.

Une base qui, à plusieurs reprises ces dernières années, a pu prendre de court les syndicats. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2016, quelque 500 policiers manifestent illégalement sur les Champs-Elysées pour dénoncer leurs conditions de travail. Quelques semaines plus tard, une association d’agents non syndiquée se met en place : « Le mouvement des policiers en colère ». Les syndicats tenteront par la suite de reprendre le mouvement en main en organisant des rassemblements silencieux devant les Palais de justice. Plus récemment, le mouvement de grogne qui frappe les services de police marseillais, en réaction à l’incarcération d’un agent de la brigade anticriminalité, est également parti d’en bas, les organisations se contentant d’embrayer.

Cette situation trahit un aller-retour constant dans les rapports de force. « Mis sous pression par une partie de leurs adhérents, les syndicats se laissent aller à une forme de surenchère verbale pour les défendre. », explique Sebastian Roché. Au sommet, le ministre tranche, soit en en cédant aux demandes, soit en y mettant le holà. Une position beaucoup plus difficile à tenir en période de grogne sociale, lorsque l’exécutif n’a d’autres choix que de s’appuyer sur les forces de l’ordre.

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