French President Emmanuel Macron visit of the school in Orange ‘lycee professionnel de l’ArgensolÕ.
French President Emmanuel Macron gestures and reacts during a discussion with professor during their visit of the school in Orange 'lycee professionnel de l'Argensol' or Argensol vocational school , Southeastern France on September 1, 2023.//04SIPA_eb3470/Credit:Blondet Eliot -POOL/SIPA/2309011513

Lettre d’Emmanuel Macron : « Un référendum ne peut pas être un coup de communication », alerte François-Noël Buffet

Après les rencontres de Saint-Denis fin août, au cours desquelles le Président s’est entretenu pendant 12 heures avec les chefs de partis, ce dernier leur a fait parvenir une lettre résumant la teneur de leurs échanges. A l’intérieur, neuf lignes mentionnent le recours à un référendum. Si aucun consensus n’a émergé à ce sujet, Emmanuel Macron promet de présenter une proposition « dans les semaines qui viennent ». Au Sénat, sur les bancs de la droite comme de la gauche, on est sceptique quant à cette annonce.
Mathilde Nutarelli

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La lettre du Président aux chefs de partis, résumant les échanges des rencontres de Saint-Denis, a été dévoilée hier matin dans la presse. Il y détaille les points évoqués lors des douze heures qu’a duré ce rendez-vous. Un sujet en particulier retient l’attention : c’est celui du référendum.

Référendum : aucun consensus, mais une « proposition dans les semaines qui viennent »

Dans sa lettre, Emmanuel Macron écrit qu’ « aucune forme institutionnelle de réponse (référendum, vote parlementaire […]) ne sera a priori exclue ». Il consacre un paragraphe de neuf lignes, sur les six pages que dure cette missive, au sujet du référendum. Il est vrai qu’au cours des derniers mois, le sujet a été brandi par tous les bords du spectre politique, sur des sujets très variés : de la réforme des retraites pour la gauche, à l’immigration pour LR et le RN. Des positions parfois antagonistes, résumées par le Président dans sa lettre de la manière suivante : « Plusieurs participants ont souhaité modifier la Constitution par voie référendaire ou ont manifesté leur volonté de recourir plus simplement au référendum et d’étendre le champ de l’article 11 (en particulier sur la question de l’immigration), tandis que d’autres participants ont souhaité simplifier le recours au référendum y compris sur des sujets récemment votés au Parlement (en particulier la réforme des retraites) ». Aucun consensus donc, mais Emmanuel Macron promet à ses interlocuteurs une « proposition dans les semaines qui viennent ». Pour rappel, l’article 11 de la Constitution précise les modalités de soumission d’un projet de loi à un référendum, et en particulier les sujets sur lesquels il peut porter : « l’organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou l’autorisation de la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Pour le moment, personne ne sait trop à quoi s’attendre. Le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche y voit une démarche purement opportuniste, afin de solder le débat sur l’immigration. « Le fait d’étendre le champ de l’article 11 est une demande de certains. En réalité, la droite veut faire quelque chose sur l’immigration et cette demande de référendum est un jeu politique, ce n’est pas du tout pour répondre à la crise démocratique et pour augmenter la participation citoyenne », analyse-t-il. Il déplore : « Le dynamisme de la démocratie n’est pas du tout leur sujet. On en vient à proposer un changement de Constitution pour répondre à ce problème spécifique ». Du côté de François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois du Sénat, on se montre plus prudent : « Cette lettre est un compte rendu, mais il n’y a pas d’engagement. S’il doit y avoir des engagements il faut que le gouvernement dise sur quoi il veut utiliser la procédure référendaire. Tant qu’on ne sait pas sur quoi se base cette réforme, on peut discuter pendant des heures, ce sera inefficace ».

« Je ne vois pas sur quelle base [Emmanuel Macron] peut proposer une réforme constitutionnelle »

L’incertitude reste totale sur la forme que peut prendre la proposition du Président. Car pour effectuer les changements mentionnés, pas le choix, il faut en passer par une réforme constitutionnelle. Deux problèmes se posent. Le premier, c’est que la droite et la gauche ne sont absolument pas d’accord sur le contenu d’une telle réforme : élargissement du champ de l’article 11 pour la droite et l’extrême-droite, afin d’y inclure l’immigration ; élargissement des moyens de recours au référendum pour la gauche. Éric Kerrouche, sénateur PS des Landes, résume la situation : « Je ne vois pas sur quelle base Emmanuel Macron peut proposer une réforme constitutionnelle. Il n’y a pas d’accord sur la teneur de ce qu’elle peut contenir. Je ne suis pas sûr que la volonté de parlementarisation du débat public qui a été portée par le PS ne soit du goût de la majorité, ni des LR. En ce qui nous concerne, un référendum sur l’immigration n’est pas à l’ordre du jour. Nous le voyons auprès des citoyens, et aussi auprès des grands électeurs, le thème des retraites est toujours bien vivant, plus même que l’immigration ».

Si François-Noël Buffet ne se prononce pas sur ce qu’il souhaiterait voir dans cette réforme, il met en garde l’exécutif : « L’idée de solliciter la population est en soi une bonne chose, mais modifier la Constitution est un acte exceptionnel. Un référendum ne peut pas être un coup de communication ou un palliatif à des mauvaises circonstances politiques. On ne modifie pas la Constitution pour de mauvaises raisons. Elle n’a pas vocation à avoir les effets d’une élection, elle n’est pas un sujet de gestion politique ». Le défi est donc de taille si le Président souhaite proposer de réviser le texte fondateur de la Ve République.

« On peut douter de la faisabilité de cette réforme constitutionnelle dans l’état actuel du rapport de force politique »

Au-delà de l’incertitude sur le fond, la question de la faisabilité d’une réforme constitutionnelle reste entière. Selon l’article 89 de la Constitution, pour la réformer, Emmanuel Macron a besoin de faire voter un texte dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, avant de le soumettre au vote du Congrès, qui devra l’approuver aux 3/5es de sa composition pour qu’il soit valide, ou à un référendum. Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, « la question c’est de savoir si, dans l’état actuel du rapport de force, l’Assemblée nationale et le Sénat accepteraient de voter une révision de la Constitution dont Emmanuel Macron tirerait les bénéfices. Tout va dépendre du jeu des oppositions et de la réponse qu’elles vont apporter ».

Or, la période est particulièrement mauvaise pour entreprendre une telle aventure. « Les élections sénatoriales auront lieu dans quelques jours, la menace du 49.3 sur les textes budgétaires et derrière celle d’une motion de censure planent, et les élections européennes arrivent en 2024. On peut douter de la faisabilité de cette réforme constitutionnelle dans l’état actuel du rapport de force politique », analyse le professeur de droit. Éric Kerrouche le confirme : « Je suis dubitatif. Emmanuel Macron n’a fait que mettre l’ensemble des demandes sur le papier, mais aboutir à un consensus, ce sera compliqué. Juridiquement, je ne comprends pas comment il va s’en sortir ».

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