L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) touche à sa fin, avec un dernier vote sur les conclusions de la commission mixte paritaire prévu à l’Assemblée nationale ce lundi 2 décembre, et au Sénat le 5 décembre. Faute de soutiens assurés pour adopter son texte, il devient de plus en plus probable que le Premier ministre décide de déclencher l’article 49.3 de la Constitution, pour éviter un rejet.
Dès lors, le gouvernement pourrait être renversé. En effet, après chaque 49.3, les députés ont la possibilité de déposer une motion de censure qui, si elle est votée par une majorité, contraindrait l’exécutif à la démission. Tout dépendra donc de si les députés du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national unissent leurs voix pour faire tomber Michel Barnier et son gouvernement.
Quand est-ce que le gouvernement Barnier pourrait être censuré ?
Le calendrier de l’examen du budget 2025 laisse au gouvernement trois possibilités d’avoir recours au 49.3, et donc trois occasions aux députés de déposer et voter une motion de censure. La première occasion arrivera dès ce lundi 2 décembre, lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le PLFSS. Si Michel Barnier déclenche le 49.3 et que les députés déposent une motion de censure, celle-ci pourrait être débattue dans l’hémicycle dès le mercredi 4 décembre.
Deuxième occasion possible pour une censure du gouvernement Barnier : le vote à l’Assemblée du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, qui prévoit des mesures supplémentaires de freinage de la dépense publique pour cette année. Les députés examineront le texte le 4 décembre, Michel Barnier pourrait alors de nouveau actionner le 49.3, ouvrant la voie à l’examen d’une motion de censure le vendredi 6 décembre.
Enfin, la troisième et dernière occasion de l’année pour censurer l’exécutif se présentera lors du retour du projet de loi de finances à l’Assemblée. Le texte est, pour le moment, examiné au Sénat. Il devrait faire son retour au palais Bourbon la semaine du 16 décembre. Si un 49.3 est déclenché, une ultime motion de censure pourrait être examinée par les députés à la fin de la semaine, le 20 ou le 21 décembre.
En matière budgétaire, de quels pouvoirs dispose un gouvernement démissionnaire ?
En principe, après sa censure, un gouvernement démissionnaire est rapidement balayé par la nomination d’un nouveau Premier ministre. La vie parlementaire peut alors reprendre son cours. Mais, compte tenu des circonstances politiques actuelles, la nomination rapide par Emmanuel Macron d’un nouveau chef de l’exécutif capable de susciter un minimum de consensus semble cette fois-ci improbable. Aussi longtemps qu’il n’est pas remplacé, le gouvernement démissionnaire sera donc appelé à gérer les « affaires courantes ».
Par « affaires courantes », on entend d’abord les « affaires ordinaires », des actes non politiques qui servent simplement à assurer le bon fonctionnement de l’État. En principe, un gouvernement démissionnaire ne peut donc pas déposer de texte au Parlement. Pour le moment, sous la Ve République, aucun projet de loi n’a été adopté par les parlementaires en période d’affaires courantes. « La participation du gouvernement aux débats dans l’hémicycle étant obligatoire pour qu’un texte soit adopté, le dépôt de textes législatifs semble échapper aux compétences d’un gouvernement démissionnaire », explique Mathieu Carpentier, professeur en droit public à l’Université Toulouse 1. Mais un gouvernement démissionnaire est également autorisé à gérer des « affaires urgentes ». Toute la question reste donc de savoir si le projet de loi de finances peut être considéré comme une urgence.
Sur ce point, tout le monde ne semble pas d’accord. En juillet dernier, pour expliciter les pouvoirs du gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal, le secrétariat général du gouvernement avait publié une note. Selon celle-ci, dans le cadre de la gestion des affaires courantes, un gouvernement démissionnaire peut effectivement prendre des « mesures financières urgentes » et « doter la France d’un budget ». « L’hypothèse la plus simple, ce serait que le gouvernement démissionnaire poursuive l’examen du projet de loi de finances, comme le laisse penser la note du secrétariat général du gouvernement. Mais, dans ce cas, est-ce que les ministres démissionnaires pourraient toujours donner leur avis sur les amendements ? Le gouvernement pourrait-il mettre en jeu sa responsabilité sur un texte, alors même qu’il est déjà démissionnaire ? Cela n’aurait aucun sens », estime Mathieu Carpentier.
Dans cette situation inédite, comment se doter d’un budget avant 2025 ?
Si un gouvernement démissionnaire ne peut manifestement pas poursuivre les débats sur les textes financiers comme si de rien n’était, quels outils a-t-il à sa disposition pour doter la France d’un budget avant le début de l’année 2025 ? Deux possibilités semblent s’offrir à lui.
D’abord, le gouvernement peut déposer une « loi spéciale » au Parlement. « Le vote de cette loi donne au gouvernement l’autorisation de percevoir les impôts, ce qui constitue le volet recettes du projet de loi de finances », explique Mathieu Carpentier. Du côté du volet dépenses du budget, des crédits peuvent être ouverts par décret, mais ils devront rester figés au niveau des dépenses votées l’année précédente. Dans ce scenario, il reste un hic. Que se passe-t-il si la « loi spéciale » est rejetée par les parlementaires ? « On n’a pas de précédent », soulignait la maîtresse de conférences en droit public Anne-Charlène Bezzina, auprès de Public Sénat en début de semaine. « L’idée d’un blocage paraît hautement politiquement grave. Ça n’a aucun objet politique. Je ne vois pas qui aurait intérêt à ce que cela se produise », indiquait-elle.
Il reste une autre possibilité, offerte par la Constitution. Selon l’article 47, si le Parlement ne s’est pas prononcé sur le budget dans un délai de 70 jours, ses dispositions peuvent être mises en vigueur par le gouvernement au moyen d’une ordonnance, et donc sans vote. Un gouvernement censuré pourrait-il prendre de telles mesures ? Les avis des constitutionnalistes divergent, car la situation ne s’est jamais présentée. Pour Anne-Charlène Bezzina, c’est impossible car, en votant une motion de censure, les députés se seront « prononcés » sur le projet de loi de finances en respectant le délai de 70 jours. Pour Mathieu Carpentier, en revanche, « par prononcé, on entend adoption ou rejet définitif du texte, on ne peut donc pas considérer que le Parlement se prononce par le vote d’une motion de censure ». Toutefois, pour le professeur de droit public, l’hypothèse d’un budget par ordonnance reste hautement improbable : « On voit bien les abus que cela pourrait engendrer. N’importe quel gouvernement pourrait retirer son texte de l’ordre du jour et attendre que le délai des 70 jours soit expiré pour prendre des dispositions par ordonnance. Dans le cas d’un gouvernement démissionnaire, ce serait un acte d’autorité éminemment politique. »