Sadak Souici/ZUMA Press Wire

Port du voile pour les visiteurs : les différences de règles entre le Sénat et l’Assemblée nationale

Mercredi 5 novembre, le Rassemblement national a dénoncé la présence d’enfants portant un voile dans les tribunes de l’Assemblée nationale. Alors que le Sénat l’interdit durant la séance, les règles ne sont pas aussi explicites dans la chambre basse.
Aglaée Marchand

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Controverse à l’Assemblée nationale hier soir, quand le média d’extrême droite Frontières a publié des photos montrant des jeunes filles et leurs accompagnatrices voilées, au sein d’un groupe visitant l’hémicycle assis en tribune. De quoi faire bondir les parlementaires du RN, Julien Odoul s’offusquant d’une « infâme provocation », sur son compte X, des propos réitérés dans la soirée sur le plateau de CNEWS. Et d’embrayer : « Comment peut-on tolérer que des petites filles recouvertes du voile islamique soient présentes dans les tribunes de l’Assemblée nationale, temple de la République française ? »

Interpellée de toutes parts, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet s’est également exprimée sur le réseau social : « Au cœur même de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, où a en particulier été votée la loi de 2004 sur la laïcité à l’école, il me paraît inacceptable que de jeunes enfants puissent porter des signes religieux ostensibles dans les tribunes. Nous n’avions pas été confrontés à cette situation par le passé. J’ai appelé chacun à une extrême vigilance pour que cela ne se reproduise pas. C’est une question de cohérence républicaine ».

A gauche aussi, les voix se sont élevées, mais pour faire entendre leur mécontentement quant à cette polémique. « Je rêve où la présidente de l’Assemblée nationale est en train de réagir à une polémique infâme lancée par le média d’extrême droite Frontières et de confirmer que de jeunes femmes musulmanes ne seraient pas les bienvenues pour assister aux débats publics ? », s’est insurgée la députée LFI Sarah Legrain.

Ces enfants, scolarisées dans le privé, étaient invitées par l’équipe parlementaire du député MoDem Marc Fesneau, dans le cadre d’un projet scolaire « Démocratie et citoyenneté », a expliqué l’élu du Loir-et-Cher, qui n’était toutefois pas présent au Palais Bourbon hier. « Je comprends que la présence en tribune d’élèves portant un voile puisse choquer. Je n’ai jamais transigé avec les règles communes qui sont celles de la République et cette situation ne me semble pas acceptable. À cet égard, nous devons effectivement faire preuve de davantage de vigilance et à l’application effective par notre assemblée de l’article 8 de l’instruction générale du Bureau sur la tenue du public », a-t-il poursuivi. Et de continuer : « La loi n’interdit pas le port du voile par des mineures dans l’espace public. […] Les règles du droit commun ont-elles été respectées ? La réponse est oui ».

« Le port de tenues manifestant une appartenance religieuse n’est pas en soi interdit »

Que dit le règlement de l’Assemblée nationale ? L’article 8 de l’Instruction générale du bureau, auquel se réfère Marc Fesneau, précise qu’un visiteur doit « porter une tenue correcte » et se tenir « assis, découvert et en silence », lors des débats dans l’hémicycle. En cas de stricte application de cette règle, le port du voile ne serait donc pas permis en tribune. Néanmoins, en 2019 déjà, le service de communication du Palais Bourbon expliquait à Public Sénat, qu’en réalité, « l’article 8, qui dispose que le public qui assiste aux séances se tient ‘découvert’, n’est pas interprété à la lettre ». Autrement dit, il y a la loi, et… l’esprit des lois. « Le port de tenues manifestant une appartenance religieuse n’est pas en soi interdit. Ce n’est que dans le cas où le président de séance estimerait que le port de telles tenues est de nature à troubler l’ordre ou le bon déroulement des débats qu’il pourrait être amené à prendre des mesures », soulignait l’Assemblée nationale. Elle précisait que « cette tolérance permet d’accueillir en tribune des députées ou d’autres invitées étrangères voilées ». Et ailleurs, dans les couloirs notamment : « La question ne s’est jamais posée, le libre accès prévaut, dès lors qu’il n’y a pas dissimulation du visage ».

Quant à la loi de 2004 invoquée par Yaël Braun-Pivet, elle ne s’applique qu’aux élèves de l’école publique, et non aux visiteurs présents dans le public, qui sont de simples usagers, a rappelé Nicolas Cadène, juriste et ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, critiquant une « mauvaise interprétation de la laïcité ».

« Ça ne pourrait pas arriver au Sénat »

Du côté du Sénat, son président Gérard Larcher a affirmé que « ça ne pourrait pas arriver », au micro d’Europe 1 ce jeudi 6 novembre. En effet, si la libre circulation est également permise dans l’enceinte du palais du Luxembourg, le règlement y est plus strict. L’article 91 mentionne les mêmes règles vestimentaires qu’à l’Assemblée, mais une note interne du 1er juin 2019 précise que « ni signe religieux ostentatoire, ni couvre-chef » ne sont autorisés en tribune, en raison de l’« exigence républicaine » issue de l’histoire parlementaire. En cas de doute, « un pouvoir d’interprétation » est laissé au président de séance. Une exception à la règle existe pour les visites officielles et diplomatiques organisées par le Sénat, comme pour une visite liée à un groupe d’amitié parlementaire entre la France et un pays étranger.

Partager cet article

Dans la même thématique

Belgium EU Justice Interior Ministers
5min

Institutions

Durcissement de la politique migratoire de l’UE : « Le message envoyé est clair : si vous venez, ce sera compliqué pour vous »

Ce lundi, les 27 pays de l'Union européenne ont entériné un durcissement de leur politique migratoire. Ils ont donné leur feu vert à trois textes présentés par la Commission européenne, et ont notamment validé l’envoi de migrants dans des centres situés hors de ses frontières. Pour Public Sénat, Camille Le Coz, directrice du Migration Policy Institute of Europe, analyse ce « tournant historique » pris par l’UE.

Le

Des ministres éphémères, des périodes d’affaires courantes qui s’empilent : l’année politique de tous les records
5min

Institutions

Valse des ministres, affaires courantes : les chiffres fous d’une année politique record

Alors que tous les regards sont tournés vers l’Élysée, dans l’attente de la désignation d’un nouveau Premier ministre, les statistiques de l’instabilité gouvernementale depuis l’été 2024 donnent le tournis. Un exemple : depuis les législatives, la France a presque vécu un trimestre entier sous le régime de l’expédition des affaires courantes.

Le