Paris: Debat sur les retraites et rappel au reglement

Retraites : comment fonctionne l’article 40 qui pourrait censurer la proposition d’abrogation de la réforme ?

La proposition de loi déposée par le groupe LIOT, visant à abroger le report de l'âge légal de départ à la retraite, sera examinée à l'Assemblée nationale le 8 juin. L’exécutif et la majorité présidentielle, qui cherchent à sortir de l’ornière des retraites, ont choisi d’invoquer « l’irrecevabilité financière » pour tenter d’échapper à un vote.
Romain David

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La majorité présidentielle n’entend pas rejouer le match sur les retraites à l’Assemblée nationale. Encore étourdis par un examen parlementaire historiquement mouvementé, et toujours confrontés à une importante grogne sociale, les soutiens d’Emmanuel Macron cherchent la parade à la proposition d’abrogation de la réforme, portée par le député radical Bertrand Pancher, membre du petit groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), et qui doit être examinée lors de la niche parlementaire de celui-ci, le 8 juin. À l’issue d’une réunion ce mardi 16 mai, les trois groupes de la majorité (Renaissance, MoDem, Horizons) ont arrêté leur stratégie : se référer à la Constitution, et plus spécifiquement à l’article 40 de la loi fondamentale, pour tenter de faire censurer le texte.

L’exécutif regarde depuis plusieurs jours la manière d’enjamber cette séquence – l’intersyndicale a déjà prévu de marquer le coup avec une quatorzième journée de mobilisation le mardi 6 juin -, qui donnerait la fâcheuse impression d’un retour en arrière alors que le chef de l’Etat multiplie les déplacements et les interventions pour tourner cette page. Parmi l’arsenal à la disposition du gouvernement et de la majorité, l’article 40 de la Constitution présente un sérieux avantage : il permettrait de retoquer la proposition de loi, selon un motif budgétaire, et cela avant même d’arriver au vote. « Nous demandons à ce que nos institutions soient respectées. Nous ne lâcherons pas sur cette question de principe », a défendu Aurore Bergé, cheffe de file des députés Renaissance, devant des journalistes.

Un motif d’« irrecevabilité financière »

« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique », indique l’article 40 de la Constitution. En clair, il s’agit d’une limitation du pouvoir de légiférer des parlementaires. Les élus ne peuvent modifier un texte de loi, ou présenter une proposition de loi, si la modification proposée entraîne des dépenses qui ne sont pas compensées. L’objectif de l’article 40 est donc d’éviter tout dérapage budgétaire pendant le parcours législatif. On parle alors d’« irrecevabilité financière ». Celle-ci ne concerne pas seulement les dépenses de l’Etat, mais tout organisme qui pourrait faire l’objet d’un texte de loi, comme une entreprise publique.

Pour autant, le texte porté par LIOT, et qui entend faire sauter le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, prévoit bien de compenser la perte de recettes induite avec une taxe sur les tabacs, sans plus de précision. Un gage largement insuffisant aux yeux de la majorité. Dans son interview à L’Opinion, Emmanuel Macron lui-même évoque « une proposition de loi à 15 milliards d’euros ». « Si, pour ne pas passer un texte de loi, on s’en prend à nos fondements démocratiques, c’est-à-dire un Parlement qui est en incapacité de légiférer, je peux vous dire qu’on allume le bâton de dynamite », a averti Bertrand Pancher lundi, au micro de l’émission « Audition publique » sur Public Sénat et LCP, en partenariat avec Le Figaro Live. Reste à savoir si la majorité présidentielle craquera cette allumette, et surtout, de quelle manière.

Qui active l’article 40 ?

L’irrecevabilité financière peut être invoquée à chaque étape du processus parlementaire. Dans sa décision du 25 juin 2009, le Conseil constitutionnel rappelle d’ailleurs que « le respect de l’article 40 de la Constitution impose que l’irrecevabilité financière puisse être soulevée à tout moment ». Toutefois, chacune des deux chambres du Parlement étant régie par son propre règlement, les modalités de vérification ne sont pas exactement les mêmes à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Lors de l’examen en commission. Avant la discussion en séance publique d’un projet ou d’une proposition de loi, une commission permanente est saisie sur le fond pour procéder à un premier examen du texte. Au cours de ce travail préparatoire, les élus ont la possibilité d’amender le texte. Dans les deux chambres, c’est le président de la commission qui est chargé de regarder la recevabilité des différents amendements au regard de l’article 40. En cas de doute, il a toujours la possibilité de demander un avis écrit au président de la commission des finances.

La proposition d’abrogation du groupe LIOT a été renvoyée à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. C’est donc sa présidente, la députée Renaissance de Côte-d’Or Fadila Khattabi, qui sera chargée de se prononcer sur sa recevabilité financière. Notons que le règlement de l’Assemblée nationale est un peu plus souple que celui du Sénat sur l’activation de l’article 40 : ainsi, si le président de la commission saisie sur le fond n’est pas en mesure de se prononcer, il peut s’appuyer sur le « bureau » de la commission. Chaque commission est pilotée par un bureau, composé d’un président, de quatre vice-présidents et de quatre secrétaires.

De la même manière, le président de la commission des finances saisi pour avis peut déléguer cette tâche au rapporteur général de la commission des finances, ou à un membre de son bureau.

Dans le cas qui nous préoccupe – la proposition d’abrogation de la réforme des retraites -, le mécanisme législatif se double d’une dimension politique dans la mesure où la présidente de la commission des affaires sociales appartient au camp présidentiel, tandis que la présidence de la commission des finances est occupée par le député LFI Éric Coquerel, fervent opposant au report de l’âge légal de départ. Néanmoins, les présidents de commission sont tenus à l’objectivité et à l’impartialité pour garantir la neutralité du processus législatif. En conférence de presse, ce mardi matin, Éric Coquerel a rappelé qu’à ce jour aucune proposition de loi n’avait jamais été jugée irrecevable dans son ensemble.

Avant l’examen en séance publique. Le gouvernement et les élus ont la possibilité d’invoquer l’article 40 s’ils estiment qu’une modification retenue par la commission est frappée d’irrecevabilité financière. Dans ce cas, il revient au président ou au rapporteur général de la commission des finances, ou encore à un membre de son bureau, de trancher cette question.

Concernant les amendements déposés en vue de l’examen en séance, leur recevabilité financière est également appréciée par le président de la commission des finances lorsqu’il s’agit du Sénat. Mais à l’Assemblée nationale, c’est la présidente de la chambre, en l’occurrence Yaël Braun-Pivet, qui décide. « Cependant, selon un usage constant, le Président suit quasiment toujours l’avis du président de la commission des finances ou, à défaut, du rapporteur général ou d’un membre du bureau de la commission des finances désigné à cet effet. L’article 89, alinéa 3 du Règlement prévoit cette consultation ‘en cas de doute’ », précise le site internet du Palais Bourbon.

Pendant l’examen en séance publique. Les différentes étapes du processus législatif que nous venons de détailler sont supposées avoir évacué toute suspicion d’irrecevabilité financière avant l’ouverture de la discussion en séance publique, dans l’hémicycle. Mais rien, ni dans le règlement de l’Assemblée nationale ni dans celui du Sénat, ne s’oppose à ce que l’article 40 ne soit invoqué par un parlementaire au cours des débats. Ce type de déclenchement est assez exceptionnel. À l’Assemblée nationale, c’est encore Yaël Braun-Pivet, sur avis de la commission des finances, qui intervient le cas échéant.

Après l’adoption d’un texte de loi. La particularité de l’article 40 est qu’il laisse l’appréciation de la recevabilité financière d’un amendement ou d’une proposition de loi aux seules instances parlementaires. Si, par exemple, le gouvernement venait à contester la décision du Parlement, il a toujours la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel. Les Sages de la rue Montpensier ont un mois pour se prononcer, ce délai suspend la promulgation du texte de loi litigieux.

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