Richard Ferrand

Richard Ferrand au Conseil constitutionnel : au Sénat, la droite exprime des avis « très négatifs », la gauche s’y oppose

Candidat proposé par Emmanuel Macron pour succéder à Laurent Fabius à la tête des Sages, Richard Ferrand est loin de faire l’unanimité au Sénat. La gauche annonce d’ores et déjà qu’elle s’opposera à cette candidature. À droite, plusieurs membres de la commission des lois sont également très contrariés par le choix présidentiel.
Guillaume Jacquot

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Le grand oral de Richard Ferrand devant les commissions des lois du Parlement le 19 février n’aura rien d’une simple formalité. Ce fidèle de la première heure du chef de l’État a été proposé hier soir comme prochain président du Conseil constitutionnel, pour succéder à Laurent Fabius, dont le mandat s’arrête le 7 mars. Emmanuel Macron pourra procéder cette nomination, à la seule condition qu’elle soit validée par les votes des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Si au moins 3/5e des suffrages exprimés au sein des deux commissions sont négatifs, elle sera retoquée. Le seuil est élevé, mais le profil de l’ancien président de l’Assemblée nationale contrarie de nombreux parlementaires.

« Cela va grogner » chez LR

« Les gens de la commission des lois que je rencontre me disent qu’ils n’ont pas envie de voter pour Richard Ferrand. Cela va grogner », nous confiait ce matin un membre de la droite sénatoriale. Le groupe majoritaire au palais du Luxembourg va peser lourd dans la balance, puisqu’il compte 19 représentants sur les 122 membres des deux commissions des lois. Le sujet Richard Ferrand a d’ailleurs été évoqué ce mardi matin, lors de la réunion de groupe hebdomadaire. « Il y a des interrogations sur la pertinence de la proposition du président de la République », relate un participant. Le groupe présidé par Mathieu Darnaud n’a pas donné pas de consigne de vote, d’autant que le scrutin aura lieu à bulletins secrets.

Plusieurs sénateurs LR de la commission des lois, avec qui nous nous sommes entretenus, font part de leur déception après la proposition d’Emmanuel Macron. « Ça ne me réjouit pas vraiment de voir la présidence du Conseil constitutionnel échoir à une personne dont la connivence avec le chef de l’État est de notoriété publique et l’ignorance de la matière constitutionnelle aussi patente », s’émeut l’un des cadres de la commission. « Cela veut vraiment dire que ce sont les administrateurs qui prennent la main sur l’institution », poursuit-il.

« On est peu enclins à donner un avis favorable », confie un sénateur LR de la commission des lois

« On est peu enclins à donner un avis favorable. Au vu de son profil, il y a des doutes qui subsistent », répond un autre sénateur. « Les avis sont très négatifs, surtout au vu de l’état de l’opinion. Les points les plus bloquants sont la personnalité et le manque de compétence, d’indépendance, mais aussi l’affaire des Mutuelles, frappée par la prescription », épingle une sénatrice LR. En 2022, la Cour de cassation avait confirmé la prescription des faits de l’affaire des Mutuelles de Bretagne, qui avait valu à l’ancien député une mise en examen pour prise illégale d’intérêts.

« Pour moi, c’est non », tranche déjà une sénatrice. À cette heure, le sentiment est globalement hostile, mais très peu de sénateurs LR ont bien voulu dévoiler le choix qu’ils feront au moment du scrutin. « Ce matin, on a fait un petit pointage. La température des LR de la commission des lois, qui sont 19, c’est une large majorité qui vote contre Richard Ferrand », précise un sénateur ce mercredi matin.

Chez les sénateurs de l’Union centriste (UC), qui se lie plus naturellement avec la famille politique d’Emmanuel Macron, les chances de succès de Richard Ferrand sont somme toute plus élevées. Ces derniers sont neuf à siéger dans la commission des lois. Ce qui n’empêche pas là non plus une pointe d’amertume. « À titre personnel, je ne pensais pas à Richard Ferrand. Son profil, le fait qu’il ait été battu à une législative alors qu’il a été président de l’Assemblée nationale, me laisse songeur », commente un sénateur UC.

Ce parlementaire préfère toutefois relativiser, au vu des précédents. « Laurent Fabius a été nommé par François Hollande, Jean-Louis Debré par Jacques Chirac, on avait les mêmes cris d’orfraie. Je retiens la collégialité, c’est une institution qui a vocation à travailler dans la diversité des nominations. »

À gauche, une opposition frontale

En dehors de la majorité sénatoriale, et des sénateurs proches du socle commun, les choses sont à peu près nettes. Comme leurs collègues députés, les sénateurs socialistes annoncent qu’ils voteront contre cette nomination. « Je ne suis pas sûre qu’il coche toutes les cases que doit avoir un président du Conseil constitutionnel. On espérait quelqu’un de plus expérimenté », argumentait ce matin une sénatrice PS siégeant à la commission des lois. « Ce n’est pas le bon profil. Il faut quelqu’un de beaucoup plus indépendant d’esprit pour se hisser à la hauteur de la fonction. Et en matière de compétences juridiques, il ne remplit pas ses fonctions-là », renchérit Hussein Bourgi.

Les deux sénateurs écologistes devraient également voter contre. « Il n’a aucune expérience, ni compétence avérées, et est directement lié intimement au président de la République », motive l’un d’eux. Les deux sénateurs communistes s’opposeront eux aussi.

Une configuration plus difficile pour Emmanuel Macron depuis 2024

Un point sur les effectifs : si tous les députés et sénateurs de gauche des commissions des lois décidaient de voter contre, 31 % des voix seraient négatives. Dans l’hypothèse où tous les députés RN et de l’UDR (le groupe d’Éric Ciotti) se joindraient au mouvement, la part des votes contre passerait à 46 %, loin encore de la barre des 60 % synonyme de veto. Ce matin, Marine Le Pen a fustigé la « dérive » consistant à « systématiquement nommer des politiques au Conseil constitutionnel ».

L’attitude des parlementaires LR sera également déterminante, puisqu’ils représentent 20 % des voix. « La question n’est pas tranchée, mais il y a un sujet », a fait savoir à l’AFP Philippe Gosselin, vice-président LR de la commission des lois de l’Assemblée. Le député de la Manche a précisé que son groupe devait « voir avec les sénateurs leur perception ».

Le rejet d’un candidat à une instance, proposé par l’Élysée, reste rarissime. Le cas de figure ne s’est produit qu’une seule fois, depuis la mise en place de cette procédure par la réforme constitutionnelle de 2008. C’était le 12 avril 2023. Le Parlement avait retoqué la candidature du maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon (LR), à la tête de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), par 57 voix contre 32. La nouvelle configuration politique, depuis les législatives de 2024, a encore réduit la marge d’Emmanuel Macron dans ce type de nomination (relire notre article).

À noter que les parlementaires vont aussi se prononcer sur les deux autres noms proposés dans le cadre du renouvellement triennal du Conseil constitutionnel, par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet. Il s’agit respectivement du sénateur Philippe Bas (LR) et de l’ancienne députée MoDem et magistrate Laurence Vichnievsky. Pour ces deux nominations, seul le vote de la commission des lois de l’assemblée concernée sera nécessaire. La confirmation du sénateur fait peu de doutes. Les sénateurs LR le soutiennent à une « large unanimité », selon un représentant du groupe.

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