Plenary session of the European Parliament
Philipp von Ditfurth/DPA/SIPA

Un an après les élections, la compétitivité a remplacé l’écologie parmi les priorités du Parlement européen

Plus d’un an après les élections européennes, que retenir du début de mandature des eurodéputés ? La droite européenne, renforcée dans l’hémicycle, détricote le Pacte vert pour favoriser la compétitivité des entreprises. Quitte à mêler à ses voix à l’extrême droite et à déplaire à ses alliés proeuropéens…
Alexandre Poussart

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C’était une des leçons des élections européennes de juin 2024, le centre de gravité du Parlement européen a basculé à droite. Même si l’hémicycle de 720 eurodéputés repose toujours sur une majorité composée du groupe de centre-droit du Parti populaire européen (PPE, 188 députés), des Sociaux-démocrates (136) et des libéraux du groupe Renew (77), c’est bien la droite européenne du PPE qui a donné le ton de cette nouvelle mandature.

Alors que le premier mandat de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (2019-2024) se voulait résolument écologique avec le Pacte vert pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le second a commencé sous le signe du retour de la compétitivité des entreprises européennes. « La compétitivité c’est la priorité du Parti populaire européen, nos entreprises doivent regagner des parts de marché, par exemple dans le domaine de l’automobile, de la chimie et de l’acier », explique Wouter Beke, eurodéputé belge du PPE. « Nous devons décarboner notre économie, mais de manière acceptable pour nos entreprises, nos citoyens, nos agriculteurs. »

« La notion de compétitivité a été au cœur de la campagne des européennes », renchérit Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée Modem. « Il faut appliquer les propositions du rapport de Mario Draghi sur ce sujet. »

 

Simplification ou recul écologique ?

 

S’en sont suivies des mesures de simplification administrative de la vie des entreprises, débattues au printemps 2025 par les eurodéputés, que la gauche voit comme un détricotage du Pacte vert. En avril dernier, le Parlement européen a voté en faveur du report de l’application du devoir de vigilance qui impose aux entreprises d’identifier et d’atténuer l’impact négatif de leur activité sur l’environnement. En fonction de leur taille, les entreprises pourront attendre 2027 voire 2028 pour se conformer à cette transparence environnementale.

« Nous gardons les objectifs, mais nous ajustons les moyens pour y arriver », explique Marie-Pierre Vedrenne. Une simplification des normes environnementales qui n’est pas au goût de son collègue écologiste David Cormand. « Le devoir de vigilance est une des grandes lois de la précédente mandature pour demander plus de transparence aux multinationales sur leurs conditions de production, les matières premières qu’elles exploitent, les sous-traitants qu’elles font travailler. Cela donne à l’Union européenne une véritable capacité de contrôle des entreprises qui vendent sur notre marché. »

 

Autre report d’une loi écologique voté par ce nouveau Parlement européen, celui de la loi anti-déforestation acté fin décembre 2024 par une majorité d’eurodéputés et qui repousse d’un an l’interdiction de la vente au sein de l’Union européenne de produits issus de la déforestation.

 

Vers une coalition de la droite et de l’extrême droite ?

 

L’ambition environnementale de l’Union européenne subit quelques coups de semonce, portés par le Parti populaire européen, et par les groupes d’extrême droite de l’hémicycle : les Conservateurs et Réformistes européens (ECR), les Patriotes pour l’Europe (qui ont dans leurs rangs les eurodéputés du Rassemblement national) et le groupe de l’Europe des Nations souveraines (dont fait partie l’élue zemmouriste Sarah Knafo). Dernièrement, toutes ces formations politiques ont plaidé pour l’abandon de la directive contre le « greenwashing », c’est-à-dire la publicité environnementale mensongère sur certains produits. Conséquence, en juin dernier, la Commission européenne a fait part de son intention de retirer cette directive.

Cette décision a entraîné une levée de boucliers de la gauche et des centristes du Parlement européen. « La simplification oui, mais non à la dérégulation », s’indigne Javier Moreno Sanchez, eurodéputé espagnol socialiste. « Ursula von der Leyen avait promis en juillet 2024 lors de sa réélection par les eurodéputés qu’elle défendrait le camp pro-européen, au final elle laisse se former une coalition entre la droite et l’extrême droite », analyse David Cormand.

L’élue Modem Marie-Pierre Vedrenne reconnaît « que le cordon sanitaire contre l’extrême droite, dont nous avons l’habitude en France avec le front républicain, a disparu au Parlement européen sur certains sujets. Mes collègues du Parti populaire européen me le disent : nous avons nos priorités, nous essaierons de les faire gagner, avec ou sans vous. » Sous-entendu, avec les voix des groupes d’extrême droite quand c’est nécessaire.

A l’automne dernier, la présidente de la Commission européenne avait d’ailleurs surpris ses alliés sociaux-démocrates et centristes en nommant à un poste de vice-président de la Commission, un membre de la droite radicale européenne, l’Italien Raffaele Fitto, proche de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni. « La formation de ce collège des commissaires a été un moment très difficile pour nous les sociaux-démocrates qui avions voté pour Ursula von der Leyen », se souvient Javier Moreno Sanchez. « En plus de l’arrivée de l’extrême droite italienne à un poste de prestige, le PPE a essayé d’empêcher la nomination de la socialiste espagnole Teresa Ribera comme numéro 2 de cette Commission, en charge de la transition écologique. Mais nous avons tenu bon. »

Cette majorité pro-européenne autour d’Ursula von der Leyen peut-elle tenir encore quatre ans dans ce contexte politique compliqué ? Toujours est-il que le 10 juillet dernier, la présidente de la Commission européenne a évité facilement une motion de censure, déposée par un eurodéputé roumain de droite radicale. « En échange de notre vote, on a obtenu le maintien du niveau du Fonds social européen dans le prochain budget pluriannuel », se félicite le socialiste espagnol Javier Moreno Sanchez, qui y voit un signe que des compromis sont toujours possibles avec la droite européenne. « Le PPE doit arrêter de flirter avec l’extrême droite et rester dans le camp des proeuropéens. »

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