Un gouvernement RN peut-il paralyser le Conseil des ministres de l’Union européenne ?
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Vingt ans après le « non » au traité européen, l’Europe est-elle encore un clivage à gauche ?

Lors d’un colloque organisé par l’eurodéputé PS François Kalfon divers intervenants sont revenus sur les changements des termes du débat sur l’Union européenne à gauche depuis vingt ans. François Ruffin a notamment admis que les frontières entre europhiles et eurosceptiques avaient été « floutées », alors que les obstacles à une Europe harmonisée fiscalement et volontariste au niveau commercial sont encore nombreux.
Louis Mollier-Sabet

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À deux jours de l’anniversaire du « non » au traité européen de 2005, la gauche a réactualisé le débat au Palais du Luxembourg. Or vingt ans plus tard, les lignes semblent avoir (un peu) bougé. Mais avant la réconciliation, « on peut commencer par les choses désagréables », s’amuse François Ruffin. Le député de la Somme retrace le récit de la désindustrialisation de son « coin » qui l’a amené à créer le journal Fakir, puis à s’engager en politique et rappelle : « L’effondrement électoral de la gauche a une base matérielle : l’effondrement de la base industrielle à cause du libre-échange. Et le désagréable, c’est l’accompagnement de ce processus [par une partie de la gauche] dans une sorte de consensus libéral. »

« Ne pas rejouer le match des deux gauches irréconciliables »

Dans un colloque organisé par François Kalfon et la délégation socialiste française au Parlement européen, citer Pascal Lamy – figure du PS européen et président de l’Institut Jacques Delors – comme avatar de la mondialisation heureuse et de l’OMC relève effectivement du « désagréable. » À l’inverse, noter comme Majdouline Sbaï, eurodéputée Les Verts, que les traités européens et la défense du libre-échange avaient pour but de « rendre la guerre impossible et éviter les logiques d’accaparement et de prédation » – ou comme Philippe Wahl, PDG de la Poste, que « la régulation permet d’aider les entreprises à faire un capitalisme et une économie de marché plus humaine » – peut sembler a minima folklorique devant un pourfendeur de la mondialisation comme François Ruffin.

Pour autant, le député de la Somme veut croire à un « chemin » de convergence possible à gauche sur la question de l’Europe et du libre-échange. « Depuis le ‘non’ au traité européen, du flou s’est installé des deux côtés, analyse-t-il. Du côté du ‘non’, on doit admettre qu’il y a eu un bougé, insuffisant, mais sensible de l’Union européenne et que cela change la donne. Du côté du ‘oui’, les europhiles de l’époque voient bien que le dumping fiscal et le libre-échange tous azimuts posent problème. » Devant Bernard Cazeneuve qui venait de s’installer au premier rang du public pour la table ronde suivante consacrée à la défense européenne, François Ruffin appelle donc à « ne pas rejouer le match des deux gauches irréconciliables. « On est dans un moment de dépassement dialectique de ce qui est en vérité une fausse contradiction », ajoute-t-il.

« La Commission européenne a changé depuis 2014 »

Du côté de la gauche plus tendance Jacques Delors qu’Henri Emmanuelli, on met aussi en avant les évolutions de l’Europe depuis 2005. « Le Green Deal prévoit des chapitres dans les accords commerciaux, c’est ce que l’on appelle les clauses miroirs, mais il y a beaucoup d’autres outils que je pourrai vous détailler, sur la déforestation importée par exemple. Le but de tout ça, c’est de rééquilibrer les règles du jeu pour aller vers une prospérité durable ; et le souci c’est quand ces outils sont attaqués », défend notamment Majdouline Sbaï, eurodéputée Les Verts. Philippe Wahl a lui aussi apporté un témoignage des changements qu’il a pu observer au niveau européen en tant qu’acteur économique : « La Commission européenne a changé depuis 2014. A l’époque, alors que j’alertais sur la concurrence de ce que l’on allait ensuite appeler GAFA, on m’avait dit ‘vous êtes des vieux monopoles, c’est la vie’. Maintenant il y a des pratiques prédatrices reconnues par l’Union européenne, et le DMA et le DSA [règlements européens sur le numérique] par exemple sont la preuve que l’on peut faire des choses quand on est décidé. »

Mais une fois l’analyse que les clivages sur la question sont moins intenses à gauche, quelle forme pourrait prendre cette « souveraineté européenne », qui pourrait « émerger face au retour du protectionnisme et de la guerre commerciale, comme le demandait cette table ronde ? L’économiste et directeur adjoint de l’OFCE, Mathieu Plane, a pu poser les enjeux : « Il n’y a qu’à l’échelle européenne que l’on pourrait répondre à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain. Et encore est-ce qu’on pourrait le faire avec le droit de la concurrence européen, ce n’est pas sûr. Mais cela pose deux questions : est-ce que ce saut politique doit se faire en direction d’un fédéralisme ? Et comment faire un budget européen ou un impôt sur les sociétés européen quand on a de la concurrence fiscale au sein même de l’Union ? » À noter d’ailleurs que toute décision fiscale au niveau européen nécessite une unanimité au Conseil européen, c’est-à-dire une unanimité des chefs d’Etat des pays membres. Un scénario qui suppose donc que l’Irlande, par exemple, saborde sa propre politique fiscale qui lui permet d’afficher une balance commerciale excédentaire de 87 milliards avec les Etats-Unis.

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