Paris: session of questions to the government at the National Assembly

VRAI/FAUX : la loi Sapin II, dont tout le monde parle, a-t-elle vraiment été utilisée pour juger Marine Le Pen ?

Cette loi de moralisation de la vie publique, adoptée sous François Hollande, est souvent invoquée pour justifier la condamnation de la députée du Pas-de-Calais, notamment sa peine d’inéligibilité. Mais ce texte, bien que longuement cité par le tribunal dans son délibéré, n’a pas pu être utilisé. Explications.
Romain David

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Après le choc, la réplique. Marine Le Pen était lundi soir sur le plateau de TF1, quelques heures après sa condamnation pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants des députés européens de l’ex-FN. Si la députée du Pas-de-Calais a décidé d’interjeter appel, une partie de sa peine s’applique déjà, en l’occurrence les 5 ans d’inéligibilité prononcés contre elle, assortis d’une exécution provisoire. « La présidente [du tribunal] dit : je vais rendre votre inéligibilité immédiate, contrairement à l’état de droit, parce qu’en France, quand vous faites appel, l’appel est suspensif. L’appel annule en réalité le jugement de première instance, vous remet dans la situation d’être présumé innocent et l’affaire est rejugée », a dénoncé Marine Le Pen. « L’état de droit a été totalement violé par la décision rendue, parce qu’il empêche un recours effectif garanti par la Cour européenne des droits de l’homme ».

Dans cette affaire, une législation de 2016, la loi dite « Sapin II », est régulièrement citée pour expliquer la peine d’inéligibilité prononcée contre la triple candidate à la présidentielle. Il s’agit de l’un des principaux textes de moralisation de la vie publique votée sous le quinquennat de François Hollande. Avec cette loi, tout élu condamné pour détournement de fonds publics est obligatoirement déclaré inéligible pour une durée de cinq ans. Si la peine complémentaire d’inéligibilité existait déjà avant, « cette loi inverse la logique habituelle », comme nous l’explique Mathieu Carpentier, professeur de droit public.

En effet, obligatoire ne veut pas dire automatique : « Les juges conservent leur pouvoir d’appréciation, ils ont donc toujours la possibilité de ne pas retenir cette inéligibilité, mais ils doivent désormais motiver leur décision le cas échéant. »

Une loi entrée en vigueur après les faits incriminés

Or, Marine Le Pen a assuré sur TF1 que « la loi Sapin II ne s’applique pas dans cette affaire ». « La loi Sapin II qui entraîne l’application automatique de l’exécution provisoire à l’inéligibilité a été écartée par la magistrate, car cette loi est postérieure aux faits qui nous sont reprochés », a-t-elle déclaré face à Gilles Bouleau. Le journaliste évoquait notamment « une vingtaine de jours de recouvrement » pour lesquels les faits reprochés à Marine Le Pen tomberaient sous le coup de cette loi.

Sur ce point, la cheffe de file des députés RN dit vrai. Ce texte est entré en vigueur le 11 décembre 2016. Dans le délibéré, mis en ligne par le site Les Jours, la période couvrant les faits qui lui sont reprochés s’arrête au 14 février 2016. Elle est donc antérieure à cette législation. « Les dispositions de l’article 432-17 en vigueur à partir du 11 décembre 2016 qui rendent obligatoire le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité, à l’encontre notamment de toute personne coupable de détournement de fonds publics, ne sont en l’espèce pas applicables », explique le tribunal.

Le tribunal est-il allé au-delà du cadre législatif applicable à Marine Le Pen ?

Toujours sur TF1, Marine Le Pen assure encore que le tribunal a finalement appliqué à son égard « l’esprit d’une loi postérieure plus dure, c’est encore une violation de l’état de droit ». Mais la fille de Jean-Marie Le Pen ne précise pas de quel texte il s’agit.

Le délibéré insiste sur le durcissement législatif qui s’est opéré ces dernières années à l’égard des responsables publics. « Les lois postérieures illustrent la volonté du législateur de mieux sanctionner les manquements à la probité pour restaurer la confiance des citoyens envers les responsables publics. Elles méritent à ce titre d’être évoquées. » Tenant compte des dernières évolutions pénales, le tribunal cite longuement la loi Sapin II, mais aussi la loi du 15 septembre 2017 « pour la confiance dans la vie politique », qui élargit la liste des délits pour lesquels une peine d’inégalité est obligatoirement prononcée. C’est peut-être à ce texte que fait référence Marine Le Pen.

L’avocat pénaliste Jean-Yves Le Borgne rappelle auprès de Public Sénat « qu’il est juridiquement impossible d’appliquer à des faits une législation qui n’était pas en vigueur au moment où ils ont été commis ». En l’occurrence, la peine d’inéligibilité prononcée par le tribunal n’outrepasse pas le cadre légal applicable au moment des faits incriminés, puisqu’elle figurait déjà dans l’arsenal juridique depuis 1992.

« Le jugement est sévère. Il est à peu près au maximum de la sévérité, avec 5 ans d’inéligibilité. Il ne l’est pas sur la peine de prison, qui pouvait atteindre 10 ans [Marine Le Pen a également été condamnée à une peine d’emprisonnement de quatre ans dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique, et une amende de 100 000 euros, ndlr]. C’est un jugement sévère qui, dans l’esprit des juges, traduit la gravité des faits reprochés », a commenté Michel Sapin, ancien ministre et auteur du texte de loi cité plus haut, dans les colonnes du Parisien.

Peut-on imaginer que les magistrats aient voulu placer les curseurs le plus haut possible pour se rapprocher des textes aujourd’hui en vigueur ? « Vouloir prononcer une peine exemplaire, à seule fin de se rapprocher de ce que prévoit aujourd’hui la législation peut trouver une justification psychologique, mais pas du point de vue du droit », balaye Jean-Yves Le Borgne. « Mais il est vrai qu’à partir du moment où Marine Le Pen se trouve sous le coup d’une loi moins sévère que la loi Sapin II, la décision du tribunal apparaît d’autant plus dure même si, in fine, la différence entre les deux législations ne concerne que l’obligation, en fin de compte assez relative, d’assortir la condamnation d’une peine d’inéligibilité ».

Pas d’automaticité sur l’exécution provisoire

En revanche, Marine Le Pen commet une erreur lorsqu’elle déclare que la loi Sapin II a rendu « automatique » l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité. L’exécution provisoire est antérieure à ce texte, et n’a rien d’automatique. Son prononcé rend une décision de justice immédiatement applicable, en dehors d’un éventuel recours.

Dans un arrêt de 2017, la Cour de cassation rappelle qu’elle vise « à prévenir la récidive ». Ce risque a bien été invoqué par la présidente de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, qui a pointé la défense des prévenus, ceux-ci ayant rejeté en bloc les faits qui leur étaient reprochés, « niant jusqu’aux évidences ».

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