Paris: Boualem Sansal, ecrivain francophone algerien.
Boualem Sansal, dont le roman-evenement de la rentree "2084" , est sur la liste de tous les prix litteraires. (Goncourt, Renaudot,Medicis et Femina). Paris, FRANCE - 25/09/2015/IBO_IBOA.008/Credit:IBO/SIPA/1509271434

10 ans de prison requis contre Boualem Sansal : « Cela traduit le climat délétère des relations franco-algériennes »

Le tribunal algérien a requis dix ans d’emprisonnement, jeudi 20 mars, à l’encontre de Boualem Sansal, détenu à Alger depuis le 16 novembre. Emmanuel Macron a appelé à la « clairvoyance » du président Tebboune pour que l’écrivain puisse être « soigné et libéré ». Pour le chercheur Brahim Oumansour, la détention de l’écrivain s’inscrit dans « la crise la plus grave entre les deux pays ».
Marius Texier

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Le bras de fer entre la France et l’Algérie se poursuit. Devant les journalistes, à l’issue du Sommet européen de Bruxelles, Emmanuel Macron a dénoncé un évènement « très grave ». « Notre souhait c’est que Boualem Sansal puisse être soigné, libéré et aller là où il veut aller. Et donc s’il souhaite quitter l’Algérie, la quitter ».

Le 16 novembre 2024, l’écrivain et essayiste, naturalisé français la même année par Emmanuel Macron en personne, est arrêté lors de sa descente d’avion sur le tarmac de l’aéroport d’Alger. Il est accusé par son pays d’origine d’avoir « porté atteinte à l’intégrité du territoire national ou incitant à le faire, par quelque moyen que ce soit ».

En France, l’arrestation est condamnée par la quasi-totalité de la classe politique. Le ministre Benjamin Haddad qualifie la « détention sans fondement » de l’écrivain comme « tout simplement inacceptable ». Le 6 janvier dernier, Emmanuel Macron a affirmé que l’Algérie « entre dans une histoire qui la déshonore ».

Un écrivain mal aimé par l’Algérie

Depuis ses débuts dans la littérature, les écrits de Boualem Sansal ont suscité de nombreuses tensions avec le régime algérien notamment lorsque l’auteur aborde les thématiques liées à la montée de l’islamisme et au terrorisme islamiste survenu dans les années 1990 en Algérie, appelé la décennie noire.

Mais ce sont ses propos sur le Sahara occidental qui ont le plus envenimé les tensions. Dans un entretien accordé au magazine d’extrême droite Frontières, dont l’écrivain est membre du comité éditorial, Boualem Sansal est revenu sur les frontières algériennes en soutenant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Il a également affirmé que la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc avant la colonisation française.

« Sa déclaration est survenue dans un contexte particulièrement tendu où la rupture entre Alger et Rabat est actée. Les Etats-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et Israël et le Maroc ont normalisé leurs relations », relate Brahim Oumansour, directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). « Il ne faut pas oublier que Boualem Sansal s’était rendu en Israël en 2012, ce qui n’avait pas plu à Alger ».

Avant la littérature, Boualem Sansal démarre sa carrière comme haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie algérien. « Avec ses déclarations véhémentes à l’égard de l’Algérie, Boualem Sansal peut être perçu comme un traître notamment dans le cadre d’un durcissement du régime algérien depuis le Hirak (série de manifestations pour protester contre le maintien au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika) avec une limitation de la liberté d’expression et une instabilité régionale », explique le chercheur.

Embrasement des relations

« L’arrestation et la condamnation de Boualem Sansal sont regrettables mais elle traduit le climat délétère des relations franco-algériennes en ce moment », analyse Brahim Oumansour,

Le 3 juillet 2024, dans une lettre adressée au roi du Maroc, Emmanuel Macron reconnaissait lui aussi la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Pour l’Algérie, cette reconnaissance est un casus belli.

Désormais les deux pays sont au bord de la rupture. « Les discours virulents ont fait monter la surenchère notamment avec la politique de chantage du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui a conduit à un raidissement des autorités algériennes », regrette le chercheur.

L’arrestation en France d’influenceurs algériens pour apologie de la violence sur les réseaux sociaux fait monter les tensions. L’influenceur Doualemn est expulsé en Algérie le 9 janvier 2025. Il est renvoyé par l’Algérie dans la foulée. Arrêté le 20 mars à son domicile, l’influenceur doit être expulsé prochainement.

Dans le même temps, Bruno Retailleau souhaite remettre en cause l’accord de 1968 qui accorde aux Algériens installés en France un statut particulier facilitant leur circulation sur le territoire, leur titre de séjour et la possibilité d’exercer un emploi. Une liste de ressortissants à expulser est soumise par la France à l’Algérie. Cette dernière lui a exposé une fin de non-recevoir accusant la France « d’intimidation ».

Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a déclaré la nécessité « de retrouver une relation équilibrée avec l’Algérie ».

« La crise la plus grave depuis la fin de la guerre »

« Les relations ont toujours été difficiles et marquées par de nombreuses séquences de tensions. Mais la crise que nous vivons actuellement est la plus grave depuis la fin de la guerre », affirme Brahim Oumansour.

Le chercheur relate pour autant de nombreuses ententes entre les deux pays. « Même après l’indépendance, il n’y a pas eu de rupture diplomatique. Il y a même eu des coopérations militaires malgré la violence de la guerre. Jusqu’en 2013, la France était le premier partenaire commercial de l’Algérie, il ne faut pas l’oublier ».

Une stratégie de la fermeté

Dans la stratégie de fermeté mise en place par le gouvernement et notamment par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, Brahim Oumansour pointe une « erreur ». « La France n’a que très peu de leviers vis-à-vis de l’Algérie. La preuve, avec la condamnation de Boualem Sansal. Cette stratégie est contre-productive car elle pousse au raidissement de la position algérienne et peut entraîner des mesures de rétorsion ».

Le verdict du tribunal doit être rendu jeudi 27 mars. « Si l’auteur est condamné, il sera toujours possible d’espérer une grâce présidentielle en juillet prochain comme cela se fait habituellement, ose espérer Brahim Oumansour. Mais au vu des relations, rien n’est moins sûr ».

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