Coupes budgétaires dans les universités, attaques contre des cabinets d’avocats, expulsions illégales d’étrangers, menaces contre les juges, suppressions d’agences fédérales et interdiction de l’usage de certains mots jugés trop « woke ». La liste des attaques de Donald Trump contre les institutions américaines est longue. Dernier évènement en date : le FBI a arrêté un juge en plein tribunal pour entrave à une opération d’arrestation d’un migrant.
Hier, devant une foule de partisans, rassemblée au Michigan, Donald Trump s’est félicité des « 100 jours les plus réussis » de l’histoire des Etats-Unis en promettant que cela ne faisait que « commencer ». Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, Bright Line Watch, un groupe de 500 politologues, a, quant à lui, observé une rapide détérioration de « l’état de la démocratie ». Les Etats-Unis ont-ils basculé vers un régime aux accents autoritaires depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ? Entretien avec Romuald Sciora.
Comment peut-on résumer ces 100 premiers jours du second mandat de Donald Trump ?
En janvier, je passais mon temps à dire que d’ici deux ans, les Etats-Unis ressembleraient à la Hongrie de Viktor Orbán. Finalement, cette mutation n’a pris que 100 jours. L’autoritarisme aux Etats-Unis est désormais une réalité. Nous pouvons facilement l’observer avec les multiples attaques contre les contre-pouvoirs, la marginalisation du Congrès, les attaques contre l’autorité judiciaire, mais également contre les médias et une volonté de soumettre les universités américaines comme cela n’a encore jamais été vu en Occident. La différence avec Viktor Orbán, c’est que même lui n’était pas allé aussi loin dans ses attaques contre les universités.
Depuis quand peut-on situer la dérive autoritaire de Donald Trump ?
Le Donald Trump de 2025 n’a absolument rien à voir avec le Donald Trump de 2017 qui n’avait pas une ligne politique claire. Désormais, le président américain est préparé et surtout très entouré par l’ultra droite. On peut dater ce rapprochement lorsqu’il est entré dans l’opposition sous la présidence de Joe Biden. Il ne faut tout de même pas oublier que Donald Trump a appelé à un coup d’Etat en 2021, ce qui montrait déjà une appétence autoritaire.
Une telle dérive a-t-elle déjà été observée dans l’histoire américaine ?
Cette velléité d’autoritarisme prend sa source même dans la création des Etats-Unis. Au XVIIIe siècle, plusieurs familles politiques s’opposaient. Celle de John Adams, le second président américain, était en faveur d’un pouvoir autoritaire fort. Cette mouvance a ensuite perdu en popularité, mais elle a tout de même accompagné l’histoire politique américaine avec, de temps en temps, la résurgence de l’appel à l’homme fort.
A partir des années 1990, cette idée est revenue. Newt Gingrich, le speaker de la Chambre des représentants à l’époque, qui est par ailleurs devenu speaker au cours du premier mandat de Donald Trump, a largement contribué à la dégradation du climat politique américain. Avec un style populiste et offensif, il a semé des graines pour Donald Trump.
L’objectif est-il de tracer un sillon pour un troisième mandat ?
Il est évident que Donald Trump fera tout son possible pour prouver qu’il peut se présenter à un troisième mandat. A mon avis, il ne le fera pas, car il sera trop âgé et il ne souhaite pas paraître diminué comme ce fut le cas pour Joe Biden lors de son mandat. Mais, jusqu’au bout, il va entretenir le doute.
Avec Trump, on peut s’attendre à tout. Il ne faut pas oublier que l’interdiction de se présenter à un troisième mandat présidentiel est relativement récente. Cette limitation à deux mandats est fixée par le XXIIe amendement de la Constitution et a été adoptée par le Congrès en 1947. Franklin Roosevelt a été président de 1933 à 1945 soit trois mandats complets et un quatrième entamé. Revenir sur cet amendement est difficile, mais reste une possibilité.
Cependant, en imaginant que Donald Trump souhaite se représenter et que l’on ne revienne pas sur le XXIIe amendement, il lui reste tout de même une solution. Faire élire son vice-président J.D Vance qui le nommera ensuite vice-président. Il est tout à fait légal que J.D Vance démissionne au lendemain de son élection pour laisser sa place à Donald Trump. Cela peut même être un argument de campagne électoral. Ce qui est sûr, c’est que la droite radicale, qui entoure Donald Trump, est là pour rester et fera tout pour le faire.
Donald Trump teste-t-il les limites du pouvoir américain en signant de nombreux décrets qui, pour la plupart, seront retoqués par la Cour suprême ?
C’est d’abord une volonté de complaire à son électorat. Il sait très bien que tous ces décrets n’aboutiront pas. Il veut voir jusqu’où cela peut aller, mais il y a également une volonté de voir certains de ces décrets aboutir. N’oublions jamais que Trump est un showman. Signer des décrets dans un stade, c’est un spectacle. Il y a des similitudes avec un concert d’Elvis Presley où à la fin le chanteur lançait sa serviette au public. Trump lui, a lancé son crayon.
Mais sous l’aspect burlesque de ces séquences, c’est tout un groupe qui a pris le pouvoir avec Donald Trump. Tout est réfléchi, c’est une stratégie.
La conception du pouvoir de Donald Trump repose sur la théorie du « pouvoir exécutif unitaire ». Pouvez-vous m’en dire plus ?
C’est une théorie partagée par J.D Vance mais également par l’administration de Trump. Cette philosophie prône l’instauration d’un pouvoir fort autoritaire. Dans son interprétation conservatrice de la Constitution américaine, la théorie du « pouvoir exécutif unitaire », confère au président américain toute l’autorité, il est au-dessus des lois. Cela permet de contourner le Congrès, c’est ce que fait Trump avec ses décrets.
Dans l’opinion publique, comment est acceptée cette dérive autoritaire ?
Il ne faut pas trop se leurrer sur les manifestations en cours aux Etats-Unis. Le dernier rassemblement contre Trump a rassemblé à peu près 500 000 personnes. A l’échelle du pays, c’est extrêmement faible. Il a un fort sentiment de résignation et de fatigue dans la population qui a par ailleurs accepté d’être paupérisée et qui est habituée à cette paupérisation. C’est aussi cela l’histoire des Etats-Unis.
Et les élus Républicains, majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat, n’envisagent-ils pas de limiter le pouvoir de Donald Trump si celui-ci poursuit son autoritarisme ?
Le parti Républicain d’aujourd’hui n’est plus celui de 2017. Ils sont complètement soumis au président américain. J.D Vance a tout de même dit qu’il exprimait plus de loyauté à Donald Trump qu’à la Constitution. Les élus Républicains doivent leurs postes à Trump. Sans le soutien du président américain, ils ne pourront pas être réélus en 2026 lors des midterms. Ainsi, jusqu’en 2026, Donald Trump a un boulevard devant lui.
On a l’impression que seule la Cour Suprême peut jouer un rôle de garde-fou, est-ce vrai ?
La Cour suprême est constituée de juges de très haut niveau qui sont, pour la plupart, très conservateurs. Malgré tout, si les décrets ou les lois vont à l’encontre des droits fondamentaux des Américains, il y a des chances qu’ils soient rejetés. Dans l’essentiel, la Cour suprême partage la même idéologie que Donald Trump étant donné qu’il a nommé plusieurs de ses membres. Je pense qu’elle va accompagner la politique trumpienne plutôt que de jouer un rôle de garde-fou.
Et à quoi pouvons-nous nous attendre pour les 100 prochains jours ?
Je pense que Donald Trump va poursuivre sa lancée. Il montre cependant une grande volonté d’arriver à un cessez-le-feu en Ukraine d’ici à l’été ou à l’automne au maximum. Il pourra alors revendiquer une grande victoire à l’international qui lui sera bénéfique auprès de ses électeurs. Il poursuivra en parallèle son projet d’un État autoritaire.