Germany Politics
Friedrich Merz, leader of the Christian Democratic Union (CDU), talks to the media during a press conference in Berlin, Germany, Monday, March, 3, 2025. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)/ENO103/25062464162725//2503031401

100 milliards pour la défense allemande : « La Russie a totalement rebattu les cartes sur la question du réarmement en Allemagne »

L’Allemagne promet un « bazooka » budgétaire de plusieurs centaines de milliards d’euros pour se réarmer. Pour ce faire, elle annonce sortir de son orthodoxie budgétaire. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Europe de la défense, espère une « articulation » entre les investissements allemands et européens. Entretien.
Marius Texier

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

En quoi cette annonce est-elle un bouleversement pour l’Allemagne ?

Je ne pense pas que l’on puisse parler de bouleversement. Simplement, les Allemands s’autorisent à créer un nouveau fonds qui va pouvoir dépasser la limite constitutionnelle d’un endettement à 0,35 % du PIB (au niveau fédéral, l’Allemagne autorise un endettement structurel maximum de 0,35 % du PIB.). C’est une problématique spécifique à l’Allemagne qui n’existe pas dans les autres pays européens.

Ce n’est pas un bouleversement car on est ici dans la droite lignée du fonds spécial de 2022 de 100 milliards d’euros qui visait à moderniser la Bundeswehr (armée allemande) et qui devait se finir en 2027. Seulement, là, ils l’ont fait très rapidement, car l’Allemagne devait aller vite. Une fois la mise en place du nouveau Bundestag suite aux dernières élections, la mesure aurait été plus difficile à mettre en place avec la minorité de blocage en face. Ils avaient un mois pour agir.

Et concrètement, vers où vont se porter ces nouveaux investissements ?

Nous n’avons pas encore la réponse pour le moment. Ce que l’on sait, c’est que les investissements vont être de 500 milliards sur dix ans. Précisément, on ne sait pas vers quoi vont se tourner les achats, mais on espère qu’ils ne vont pas répéter ce qui a été fait avec le fonds spécial de 2022 et des achats en masse d’équipements américains.

Il faut que les investissements s’inscrivent dans une commande commune au niveau européen. La question est de savoir comment le plan de l’Allemagne va s’articuler avec le plan de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Du fait de la proximité partisane de la présidente de la Commission et de Friedrich Merz (tous deux membres de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, CDU), on peut espérer voir une articulation entre l’Allemagne et l’Union. Il est absolument nécessaire de penser dans un cadre collectif.

Avec ces investissements, l’Allemagne peut-elle devenir une grande puissance militaire dans les prochaines années ? Combien de temps cela prendra-t-il ?

Tout cela va prendre du temps, mais il est utile que l’Allemagne se mette à niveau sur le plan militaire. Par contre, c’est la forme de la mise à niveau qui pose un problème. Le système fait que vous avez beaucoup d’argent à dépenser très rapidement. Or, ce n’est pas du jour au lendemain que vous créez des industries d’armements. C’est pour cette raison que l’Allemagne s’était tourné du côté des équipements américains.

D’ici cinq à dix ans, nous pourrons observer des résultats avec les investissements de l’Allemagne. L’important est surtout d’avoir une vraie coopération avec les autres Etats membres de l’Union européenne, car personne n’est capable d’assurer seule sa défense, personne ne peut être autonome. Le message qu’envoie l’Allemagne reste essentiel.

Comment percevez-vous la menace sur la sécurité de l’Europe en ce moment ?

Il n’y a plus de défense américaine aujourd’hui en Europe. De plus, cette sécurité est particulièrement abîmée notamment par les propos qu’a tenu le vice-président américain J. D. Vance à Munich ou encore les propos tenus par Donald Trump et en particulier lors de son échange avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale. On a un vrai problème de sécurité sur le continent.

Comment l’annonce d’un investissement massif dans la défense est-elle perçue en Allemagne, notamment par rapport au passif historique du pays ?

Il y a toujours chez les Allemands ce souvenir historique de la Seconde Guerre mondiale qui inquiète dès lors que l’Allemagne parle de réarmement. Mais avec le temps, l’aspect historique s’estompe. Il y a une vraie perception de la menace chez les Allemands. À Berlin, énormément d’Ukrainiens ont été accueillis lors du déclenchement de la guerre. Les habitants ont été mis face à la menace. La Russie a totalement rebattu les cartes au sujet du réarmement en Allemagne.

Partager cet article

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

100 milliards pour la défense allemande : « La Russie a totalement rebattu les cartes sur la question du réarmement en Allemagne »
3min

International

Utilisation des avoirs russes gelés en Belgique : “les autres Etats-membres européens doivent partager le risque”, estime l’ancien Premier ministre belge Elio di Rupo

Comment financer le soutien à l’Ukraine ? La question se pose de manière urgente car l’État ukrainien pourrait se retrouver à court de liquidités, à cause de l’effort de guerre, dès le début de l’année 2026… Alors que les États-Unis de Donald Trump se désengagent de cette guerre, l’Union européenne s’est engagée à répondre au besoin de financement militaire et civil de l’Ukraine dans les deux prochaines années, estimé à 135 milliards d’euros. Plusieurs options sont sur la table mais la moins coûteuse pour les finances publiques européennes est l’utilisation des avoirs russes gelés, qui s’élèvent à hauteur de 210 milliards d’euros et dont la majeure partie, appartenant à la Banque centrale de Russie, est hébergée en Belgique par la société Euroclear. Un prêt de 140 milliards d’euros à l’Ukraine La Commission européenne travaille sur le projet d’un prêt à l’Ukraine utilisant 140 milliards d’euros de ces avoirs russes. Ce montant serait remboursé par l’Ukraine uniquement si la Russie lui verse des réparations. Cette solution se heurte toutefois à l’opposition de la Belgique, pays hôte de ces avoirs, qui craint des représailles juridiques russes dans les années à venir, si jamais ces avoirs financiers étaient utilisés. “Pour un pays comme la Belgique, devoir rembourser une telle somme ce serait une catastrophe !” Une crainte expliquée par Elio Di Rupo, l’ancien Premier ministre belge socialiste, désormais eurodéputé, interrogé dans l’émission Ici l’Europe, sur France 24, Public Sénat et LCP. “Nous ne savons pas comment la guerre en Ukraine va se terminer. Nous ne savons pas où en sera la Russie dans trois ans, cinq ans, dix ans et si elle se retournera contre un Etat-membre européen en disant, devant la justice, “Vous avez volé notre argent”. Pour un pays comme le mien, devoir rembourser une telle somme, ce serait une catastrophe.” Un accord intergouvernemental pour partager le risque Mais Elio Di Rupo estime qu’il y a une solution pour utiliser ces avoirs russes gelés et financer le soutien à l’Ukraine. “Les 27 États-membres de l’Union européenne doivent signer à l’unanimité un accord pour partager le risque de l’utilisation de ces fonds. Je pense qu’on n’y arrivera pas quand on voit que le Premier ministre hongrois Viktor Orban est un grand ami de Poutine. Il faudra alors conclure un accord intergouvernemental entre 25 pays européens qui prendront l’engagement de partager le risque. A ce moment-là, le gouvernement belge pourra légitimement valider cette contribution de l’Union européenne à l’Ukraine”, via l’utilisation de ces avoirs russes.

Le

Chile Election
3min

International

Présidentielle au Chili : 35 ans après la fin de la dictature de Pinochet, l’extrême droite pourrait revenir au pouvoir

Les candidats de droite et d'extrême droite réunissent 70 % des voix lors de ce premier tour de l’élection présidentielle chilienne malgré l’arrivée en tête, avec 26,85 %, de la candidate communiste de la coalition de la gauche, Jeannette Jara. Mais elle dispose de peu de réserves de voix comparée au candidat d’extrême droite José Antonio Kast qui récolte 23,92 % des suffrages.

Le