Emmanuel Macron poursuit sa tournée en Amérique du Nord. Le président français est arrivé mercredi au Canada, où il a retrouvé le Premier ministre Justin Trudeau. Parmi les sujets sur la table : le prochain sommet de la francophonie, l’intelligence artificielle, mais aussi le partenariat stratégique entre les deux pays, avec notamment le Ceta, cet accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, appliqué de manière partielle et provisoire depuis 2017, mais largement décrié en France.
Le texte a été rejeté par le Sénat en mars dernier, une étape clef du processus de ratification, désormais menacé par la reconfiguration politique post-dissolution. À l’époque, Emmanuel Macron était monté au créneau pour prendre la défense du traité : « [Le Ceta] par le travail qu’on a fait, par ce qu’on a ajusté, est un bon accord », avait estimé le chef de l’Etat, à l’occasion de son discours sur l’Europe à la Sorbonne. « Je suis chagrin de ce que j’ai pu voir, y compris dans le débat français, ces dernières semaines. Il ne faut pas qu’on tombe dans le rejet de tout accord commercial », avait-il alerté. Son chef de gouvernement d’alors, Gabriel Attal, avait même dû jouer les pompiers auprès du Premier ministre canadien, profitant d’un déplacement outre-Atlantique.
Un gouvernement fracturé
Désormais, le président doit composer avec un gouvernement dont certains postes clefs sont occupés par des personnalités ouvertement opposées au Ceta. Sur les 39 ministres et secrétaires d’Etat nommés ce week-end par Michel Barnier, 16 siégeaient au Parlement, comme député ou sénateur, lorsque cet accord a été mis en débat devant la représentation nationale. 8 ont voté pour, 7 ont voté contre, un n’a pas pris part au vote. Parmi les opposants notables : l’ex-LR Sophie Primas, aujourd’hui ministre du Commerce extérieur, ou encore Annie Genevard, une proche de Laurent Wauquiez, nommée au ministère de l’Agriculture.
Ces deux portefeuilles sont directement concernés par les modalités de l’accord, qui prévoit de réduire, voire de lever, les droits de douane dans plusieurs domaines, notamment sur les exportations de produits agricoles. « Chacun a voté en son âme et conscience et chacun prend ses responsabilités. Mais je ne vois pas d’éléments nouveaux sur ce dossier qui pourraient les pousser à revoir leur position », relève le sénateur LR Laurent Duplomb, l’un des corapporteurs du texte au Sénat, lui-même fermement opposé au Ceta.
Un parcours législatif chaotique et inachevé
Signé en 2016 par le Premier ministre canadien et l’ex-président du Conseil européen, Donald Tusk, le Ceta est rentré en application de manière provisoire en septembre 2017, en attendant d’être ratifié par les 27 États de l’Union européenne. En France, cette ratification passe par l’adoption d’un texte de loi, débattu par le Parlement.
Le projet de loi a été adopté à l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019, par 265 voix pour, 211 contre et 77 abstentions. Si l’on tient compte du contexte politique de l’époque – le gouvernement bénéficiant alors d’une large majorité au Palais Bourbon – on peut parler d’un vote serré, trahissant déjà de fortes dissensions, y compris chez les macronistes.
Ce qui explique peut-être que le gouvernement n’ait jamais inscrit le texte à l’ordre du jour au Sénat, malgré plusieurs rappels à l’ordre de la part des parlementaires. L’exécutif a voulu s’éviter une déconvenue, la Chambre haute étant dominée par une majorité de droite et du centre, alors dans l’opposition. Ce sont finalement les communistes qui ont pris les devants en mars dernier, tandis que le mouvement de grogne des agriculteurs a remis au centre du débat la question des distorsions de concurrence.
Profitant de sa niche parlementaire, le groupe communiste, république, citoyen et écologiste – Kanaky (CRCE-K) a choisi d’inscrire le projet de loi adopté sept ans plus tôt à l’Assemblée nationale sur son temps parlementaire réservé. Le 21 mars 2024, le Sénat rejette par 211 voix contre 44 l’article 1er du projet de loi, qui prévoit la ratification des dispositions économiques et commerciales entre l’UE et le Canada. En revanche, l’article 2, qui concerne le versant stratégique de l’accord, notamment sur la promotion des droits de l’homme, la lutte contre le terrorisme, ou encore la réduction de la pauvreté, a été adopté.
Fait rarissime : Les Républicains et la gauche ont fait front commun pour obtenir le rejet de l’article 1, au grand dam des élus centristes, alliés historiques de la droite sénatoriale, qui ont fini par quitter l’hémicycle avant la fin des débats, dénonçant un coup politique en marge de la campagne des européennes.
« Je ne vois pas quel serait l’intérêt de faire inscrire à l’ordre du jour ce texte qui ne peut créer que du conflit »
Deux options s’offrent désormais au gouvernement avec ce projet de ratification. L’exécutif ayant engagé la procédure accélérée sur ce texte, il peut choisir de convoquer directement une commission mixte paritaire pour trouver un compromis entre l’Assemblée et le Sénat, ou bien laisser le cheminement législatif suivre son cours, avec une nouvelle lecture devant le Parlement. Mais dans un cas comme dans l’autre cas, avec le bousculement des équilibres politiques du côté du Palais Bourbon, c’est le rejet qui devrait l’emporter puisque les opposants au Ceta sont devenus majoritaires dans les deux chambres.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté fin mai, à nouveau à l’initiative des communistes, une résolution par laquelle elle demande au gouvernement de lui soumettre à nouveau le projet de loi.
« Pour l’instant ce sujet n’a pas été évoqué, ni dans nos échanges avec le Premier ministre ni lorsqu’il est venu assister à la conférence des Présidents », indique Hervé Marseille, le chef de file des sénateurs centristes. « À moins qu’il n’en parle dans sa déclaration de politique générale. Mais je ne vois pas quel serait l’intérêt de faire inscrire à l’ordre du jour quelque chose qui ne peut créer que du conflit. Je ne peux pas vous dire si les positions des uns et des autres peuvent encore évoluer, mais ce texte ne peut revenir sur la table que s’il a une chance d’aboutir », explique l’élu des Hauts-de-Seine.
« Pour ma part, je continue de penser que, globalement, cet accord est favorable à notre économie et mérite d’être voté », poursuit Hervé Marseille. « Il pourrait, à la rigueur, y avoir des discussions sur un point qui a été monté en épingle, je pense à la question de l’élevage. » Le Ceta permet aux Canadiens d’exporter en Europe jusqu’à 65 000 tonnes de viande bovine sans droits de douane. Les éleveurs français redoutent une déstabilisation du marché, alors que les agriculteurs canadiens ne sont pas soumis aux mêmes réglementations sanitaires que les Européens. Pour autant, en 2023, seules 1 400 tonnes de bœuf canadien sont arrivées en Europe, selon des chiffres du Monde. Et seulement 29 tonnes dans l’Hexagone. Ce faible volume des flux est précisément l’un des arguments mis en avant par les pro-Ceta.
« Si les Canadiens ont si peu de bœuf à importer, pourquoi ne pas proposer un autre texte sans la partie viande ? Tout le monde sera content, le reste de l’accord est moins crispant et pose moins de problèmes », explique Laurent Duplomb. « Il y a une naïveté coupable à penser que l’introduction de clauses miroirs, soumettant les exportations aux mêmes conditions de production que les élevages français, suffirait à rééquilibrer l’accord. On sait bien qu’il y a d’énormes lacunes dans les contrôles », dénonce l’élu de la Haute-Loire.
Vers une annulation de l’ensemble de l’accord ?
La procédure de ratification européenne du Ceta prévoit qu’il soit mis fin à son application si un seul des Etats membres le rejette, à condition que ce rejet soit officiellement notifié à Bruxelles. En clair, les gouvernements concernés peuvent attendre, et tenter de soumettre à nouveau l’accord de libre-échange à leurs parlementaires, s’ils estiment le contexte politique plus favorable à son adoption. Ainsi, si le Parlement chypriote a rejeté la ratification du CETA en juillet 2020, Nicosie ne l’a jamais formellement notifié à la Commission européenne. « Passer ainsi sur la représentation des peuples pour s’en remettre à des décisions technocratiques finira, tôt ou tard, par avoir des conséquences sur l’acceptabilité des populations », avertit Laurent Duplomb.