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Affaire Pelicot : le dénouement d’un procès hors normes sous le regard des journalistes du monde entier
Par Romain David
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En Une du Guardian, du New York Times, d’El Mundo, du Spiegel ou encore de la version allemande du Vogue… Ces derniers mois le visage de Gisèle Pelicot, coupe au carré et lunettes rondes, a largement dépassé les frontières de l’Hexagone. L’affaire des viols de Mazan a connu un retentissement international quasiment inédit pour ce type de dossier. Cette médiatisation s’explique par le caractère particulièrement sordide et hors normes de cette affaire – 51 agresseurs sur les bancs des accusés –, mais aussi par la volonté de Gisèle Pelicot de rendre les audiences publiques pour que « la honte change de camp », selon la formule de l’un de ses avocats.
Droguée pendant des années par son mari Dominique Pelicot, qui l’a livrée inconsciente à des centaines d’inconnus recrutés sur Internet, la septuagénaire est devenue une icône féministe, applaudie par une foule de soutiens à chacune de ses arrivées ou sorties du tribunal d’Avignon. Dès l’ouverture du procès, le 2 septembre, de nombreux correspondants étrangers viennent se mêler à la foule des journalistes français, parmi eux des représentants de la presse espagnole et anglo-saxonne, mais aussi des télévisions du monde entier, d’Inde ou du Mexique notamment, deux pays régulièrement ébranlés par des affaires de violences faites aux femmes. Pour le verdict, rendu à partir de ce jeudi 19 décembre, quelque 500 journalistes étaient attendus.
Mobilisation inédite de la presse étrangère
« Cela aurait pu rester un fait divers comme un autre, mais c’est devenu quelque chose de bien plus grand à partir du moment où Gisèle Pelicot a choisi de dire son nom et de montrer son visage. Et puis les médias se regardent beaucoup entre eux. Lorsque l’on a vu que la presse américaine s’y intéressait, notamment le New York Times, il y a eu un effet boule de neige », constate Birgit Holzer qui travaille pour une dizaine de titres allemands et autrichiens. « Je suis correspondante depuis 16 ans, et c’est la première fois que je vois un tel intérêt pour une affaire de ce type. J’ai beaucoup écrit sur l’affaire DSK, mais il s’agissait d’une personnalité politique. Là, ce sont des inconnus. »
« Il y a une sensibilité très particulière des Espagnols pour ce type de sujet. Depuis très longtemps l’Espagne s’intéresse à la question des violences faites aux femmes, avec la mise en œuvre de politiques de lutte beaucoup plus avant-gardistes qu’en France », rapporte auprès de Public Sénat Juan Jose Dorado, journaliste correspondant espagnol à Paris. « Chez nous, les affaires de viols ou de violences sexuelles ne sont pas reléguées à la rubrique faits divers et ouvrent régulièrement les journaux. Toutes les semaines, depuis le début du procès, j’ai des collègues qui font le déplacement jusqu’à Avignon. L’agence de presse EFE a toujours quelqu’un sur place. »
Les errances françaises pointées du doigt
Trois journalistes du Daily Mail se relaient régulièrement à Avignon, rapporte France 24. Dans l’un des premiers papiers qu’il consacre aux viols de Mazan, le tabloïd britannique s’étonne de « l’énormité d’une affaire qui défie l’entendement » et évoque « un scénario de dépravation si cruel que même le marquis de Sade aurait eu du mal à imaginer ». Le journal épingle « le machisme de la France profonde », et rappelle qu’en 2019, le tribunal de Versailles avait condamné « une femme malade de 66 ans parce qu’elle n’avait pas accompli son ‘devoir conjugal’ en refusant d’avoir des relations sexuelles avec son mari agressif ».
« Le choquant procès pour viol de Dominique Pelicot pourra-t-il enfin changer l’attitude des Français face aux violences sexuelles ? », interroge l’éditorialiste Katherine Butler dans le bien moins racoleur Guardian. Le célèbre quotidien britannique accorde une très large couverture au procès. « Dès que ça concerne le procès Pelicot, les lecteurs lisent jusqu’à la fin, même quand les contenus sont très longs », a expliqué à franceinfo Angelique Chrisafis, la correspondante qui couvre l’affaire.
« L’ampleur monstrueuse de l’affaire Gisèle Pelicot ébranle la société française depuis des semaines. Aujourd’hui, le pays se pose des questions fondamentales sur les relations entre les sexes – et leurs conséquences sur la législation », lit-on dans le quotidien conservateur allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. « Au fil des semaines, les médias allemands ont regardé cette affaire avec un regard de plus en plus sociétal, sur ce qu’elle disait de la France. On s’est aussi beaucoup intéressé au profil des accusés, décrits comme des personnes ordinaires », explique Birgit Holzer.
« J’ai reçu des lettres de lecteurs, principalement des femmes, très touchées par cette affaire », ajoute la journaliste. « Pour autant, je n’ai pas l’impression que les viols de Mazan aient poussé la société allemande à s’interroger sur son propre rapport aux violences faites aux femmes, même si, à titre personnel, je pense que cette affaire pose des interrogations qui dépassent de loin le cadre français. »
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Une affaire qui résonne au-delà de la société française
« Le côté sordide de cette affaire n’a pas été le principal vecteur de l’intérêt des médias et du public espagnol », assure Juan Jose Dorado. « La presse a d’abord cherché à comprendre comment on a pu en arriver là. Comment autant de personnes ont pu être impliquées pendant tant d’années ? Où étaient les défaillances alors que le corps médical, après tant d’examens sur Gisèle Pelicot, n’a rien su détecter ? », interroge-t-il. « Les médias et la société se sont emparés de ce dossier pour s’interroger sur ce qui pouvait encore être amélioré ici. »
« Cette affaire a eu immédiatement un énorme retentissement en Italie, notamment parce que nous avons en ce moment d’importants débats sur le contrôle que les hommes exercent sur le corps des femmes », indique Eva Morletto, correspondante en France de Grazia Italie. « On a beaucoup fait le parallèle entre Gisèle Pelicot et le meurtre de Giulia Cecchettin, qui a défrayé la chronique en Italie. » Cette étudiante de Padoue a été assassinée par son ancien compagnon en novembre 2023. L’enquête a montré le comportement possessif qu’il avait développé à l’égard de sa victime. De nombreux journaux italiens, comme les quotidiens La Repubblica et Corrriere della Serra, se sont notamment fait l’écho d’une fresque murale imaginée à Milan par le street artiste Laika, et qui réunit sur la même image Giulia Cecchettin et Gisèle Pelicot, poings levés « contre le patriarcat ».
« Nous avons eu d’autres débats en Italie sur un sujet peu évoqué pendant le procès, celui du rôle joué par le site internet avec lequel Dominique Pelicot a recruté ses complices », ajoute Eva Morletto. « Les forums de ce type permettent de se dédouaner de fantasmes perçus comme honteux et rendent possible le passage à l’acte ».
Gisèle Pelicot érigée en icône mondiale de la lutte contre les violences faites aux femmes
Point commun au traitement international de cette affaire : la figure de Gisèle Pelicot qui par-delà son statut de victime a été rapidement érigée en combattante féministe. « Gisèle Pélicot, nouvelle Marianne », titre El Pais « Nouvelle icône française » pour Die Zeit qui estime qu’en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, « le courage de Gisèle Pelicot pourrait réaliser quelque chose que même la Commission européenne et le Parlement européen n’ont pas pu faire ».
« Elle a fait à plusieurs reprises la Une des journaux, à chaque étape importante du procès. Aujourd’hui, tous les Espagnols savent qui est Gisèle Pelicot », assure Juan Jose Dorado. « Elle est devenue un phénomène social », résume El Mundo. Gisèle Pelicot est même rentrée dans la liste des 100 femmes les plus influentes de l’année 2024 publiée par la BBC. « En renonçant à son droit à l’anonymat et en permettant que son histoire soit diffusée dans le monde entier, Gisèle Pelicot est devenue un symbole de courage et de résilience », salue le radiodiffuseur britannique.
« Elle a commencé par dissimuler son regard derrière des lunettes de soleil, qu’elle a fini par enlever. Aujourd’hui, ce sont les accusés qui essayent de cacher leurs visages dans la salle d’audience. Sa façon d’être, sa manière de s’exprimer, toujours très clairement, suscitent l’admiration. Mais peut-être que les médias ont aussi cherché à avoir une icône et ont participé à la construction de cette image », décrypte Birgit Holzer. « Avec une simple décision, elle a bouleversé la dynamique #MeToo », constate le New York Times qui lui consacre un podcast.
« Aujourd’hui, tous les Espagnols savent qui est Gisèle Pelicot », assure Juan Jose Dorado. « Ce qui est très touchant en Italie, c’est de voir dans les commentaires sous nos articles ou sur les réseaux sociaux qu’énormément de femmes assez âgées se sont identifiées à elle. Elle a permis au mouvement #MeToo de toucher une génération qui n’a jamais osé prendre la parole pour des questions d’éducation et de conservatisme », constate Eva Moreletto.
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