Israeli airstrike on Damascus
Moawia Atrash/DPA/SIPA/2507161855

Affrontements en Syrie : «  Le pays a besoin de trouver un nouveau paradigme politique »

Depuis dimanche, la Syrie est en proie à un regain de tensions entre la minorité druze et le pouvoir en place qui a fait plus de 350 morts. Si une certaine accalmie semble se profiler, la fracture communautaire est profonde dans un pays meurtri par quatorze ans de guerre civile. Pour Aghiad Ghanem, spécialiste du Moyen-Orient à Sciences Po, la phase de transition en Syrie risque de passer par une longue période de conflits.
Marius Texier

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Une importante fumée grise s’est formée hier dans le centre-ville de Damas. En pleine journée, un missile israélien a frappé le QG de l’armée syrienne et un autre a ciblé une zone du palais présidentiel. Trois personnes sont mortes.

Ces frappes surviennent alors que des affrontements communautaires ont lieu dans le sud de la Syrie, à Soueïda, entre les forces gouvernementales, des tribus bédouines sunnites et des combattants druzes. Les violences ont éclaté dimanche après l’enlèvement d’un marchand de légumes druze selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Le mardi suivant, les forces gouvernementales se sont déployées à Soueïda, tenue par les combattants de la communauté druze. Selon plusieurs sources, les forces gouvernementales auraient combattu auprès des Bédouins. Toujours selon l’OSDH, plus de 350 personnes, pour la plupart des combattants, ont été tuées. L’organisation fait aussi état de la mort de 55 civils druzes, dont « 27 exécutés sommairement » par les forces gouvernementales.

Ce jeudi, le président intérimaire de la Syrie Ahmed al-Charaa a annoncé le transfert « à des factions locales et des cheikhs » druzes la responsabilité du maintien de la sécurité à Soueïda. De ce fait, les violences se sont largement réduites, mais l’accalmie apparaît particulièrement fragile tant les intérêts et la vision politique du gouvernement sunnite et de la communauté druze divergent.

700 000 Druzes en Syrie

Essentiellement installée dans le sud de la Syrie et le sud de Damas, la communauté druze compte environ 700 000 membres ce qui correspond à près de 3 % de la population du pays. Prônant une religion ésotérique à l’Islam, la communauté n’a eu de cesse de subir les persécutions notamment de la part de savants islamiques les qualifiant d’hérétiques. Sous le régime de Bachar el-Assad, l’entente avec la communauté est cordiale. Pourtant à partir de 2023, les Druzes participent aux côtés des sunnites (environ 65 % de la population syrienne), dont le président actuel est issu, à la guerre civile contre le régime jusqu’à sa chute en décembre dernier.

« La mosaïque en Syrie est très complexe »

Depuis, les Druzes ne cessent de réclamer une certaine autonomie au sein de l’Etat syrien à l’instar d’autres composantes du pays. « C’est toute la difficulté de l’ère post-Assad », juge Aghiad Ghanem. « La mosaïque en Syrie est très complexe. Certes plusieurs communautés ont participé à la chute du régime, mais à des degrés et pour des raisons diverses ». Depuis sa prise de fonction le 29 janvier dernier, l’ancien djihadiste Ahmed al-Charaa a réactivé la polarisation dans la société syrienne en refusant tout dialogue de conciliation avec les composantes du pays et en imposant sa volonté centralisatrice.

En mars dernier, après une insurrection lancée par d’anciens militaires et miliciens pro-Assad, les forces de sécurité du nouveau régime répriment dans le sang les insurgés. Par la même occasion, les forces gouvernementales commettent des massacres de la population civile, notamment alaouites, composante syrienne dont est issu le clan Assad. Selon l’OSDH, environ 1 700 civils ont été tués.

Dès lors, l’ensemble des communautés syriennes s’inquiètent du sort qui leur sera réservé. Les Kurdes qui administrent près de 30 % du territoire syrien, les Alaouites, les chrétiens et les Ismaéliens s’opposent radicalement à la volonté du pouvoir central de contrôler l’ensemble du territoire syrien. « A mes yeux nous sommes rentrés dans une nouvelle séquence conflictuelle avec une polarisation très importante de la société », regrette Aghiad Ghanem qui accuse le gouvernement sunnite d’avoir choisi « l’option identitaire ». « Il se consolide tout en étant dans le repli et en stigmatisant les composantes de la société. C’est très caricatural. C’est bénéfique pour le gouvernement, mais cela conduit à réactiver d’immenses fractures ».

« Ils sont parfaitement intégrés sur l’ensemble du territoire israélien »

Pourtant la communauté druze dispose d’importants alliés dans la région. Fort d’une communauté présente en Israël et au Liban, les attaques perpétrées à Soueïda ont immédiatement fait réagir l’Etat hébreu qui compte environ 150 000 Druzes sur son territoire. « Ils sont parfaitement intégrés sur l’ensemble du territoire israélien y compris au sein de la bureaucratie, de l’armée et des milieux économiques », souligne Adel Bakawan, spécialiste du Moyen-Orient à l’IFRI.

Israël qui considère avec méfiance le nouveau pouvoir sunnite syrien assure vouloir protéger la communauté druze en Syrie. Après avoir frappé Damas, l’armée israélienne a aussi ciblé plusieurs infrastructures autour de Soueïda. « Le gain est double pour Israël », assure Aghiad Ghanem. « D’un côté ils s’assurent le soutien des Druzes au sein de leur population et de l’autre, ils limitent la présence militaire syrienne à proximité de la frontière ».

« On sait très bien qu’Ahmed al-Charaa est là pour rester »

Ahmed al-Charaa lui aussi réussit à se positionner efficacement sur la scène internationale. Peu de temps après son arrivée au pouvoir, l’ambigu président syrien a été reçu par Emmanuel Macron le 7 mai dernier à l’Elysée. La semaine suivante, le président américain Donald Trump rencontrait Ahmed al-Charaa en Arabie saoudite. Selon Adel Bakawan, la communauté internationale fait abstraction de ce qu’il se passe à l’intérieur de la Syrie. « Ils mettent la lumière sur lui en occultant totalement les revendications issues des différentes composantes syriennes », alerte-t-il.

Après son accession au pouvoir et la signature en mars d’une déclaration constitutionnelle, le nouveau président syrien assure rester au pouvoir le temps de la phase de transition. Il a affirmé qu’il faudrait quatre à cinq années pour organiser des élections. « On sait très bien qu’Ahmed al-Charaa est là pour rester », assure Adel Bakawan. « La preuve : le mot démocratie n’apparaît à aucun moment dans la constitution provisoire ».

« La nouvelle Syrie a besoin d’un miracle politique »

Pour Aghiad Ghanem, les quatorze ans de guerre civile ne sont pas encore refermés et la phase de transition n’a pas encore démarré. « La situation économique est particulièrement difficile, les fonctionnaires ne sont pas toujours payés et l’électricité ne fonctionne pas à toutes les heures de la journée », souligne le chercheur. « La situation est inextricable, mais le pays a absolument besoin d’un nouveau contrat social. Reste à savoir si Ahmed al-Charaa le souhaite ».

Adel Bakawan abonde dans le même sens : « La nouvelle Syrie a besoin d’un miracle politique, c’est-à-dire de trouver un nouveau paradigme politique », assure-t-il. « Soit elle accepte une ouverture avec les différentes composantes de la société syrienne soit elle risque de sombrer ».

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