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Aides à l’Ukraine : « La solidarité européenne rencontre des limites financières et politiques »

Au premier jour d’un sommet du Conseil européen, les 27 Etats membres doivent s’entendre sur l’ouverture des négociations en vue de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union et sur un paquet d’aide de 50 milliards d’euros. En plus de ses divisions, l’Europe doit se réformer institutionnellement, observe Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po.
Stephane Duguet

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Les 27 chefs d’Etats et de gouvernement des pays membres de l’Union européenne (UE) se retrouvent pendant deux jours, ce jeudi et vendredi à Bruxelles. Un sommet du conseil européen sous tension puisqu’il s’agira de valider le début des négociations en vue de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE et que Viktor Orban, Premier ministre hongrois veut utiliser son véto. Il doit aussi être question de l’octroi d’une aide supplémentaire de 50 milliards d’euros en 4 ans.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exhorté ses partenaires européens devant lesquels il s’est exprimé ce jeudi par visioconférence à ne pas « trahir » « les citoyens et leur foi dans l’Europe » et ne pas « offrir une victoire » à la Russie en affichant des divisions. Analyse de la position des Etats européens sur le dossier ukrainien avec Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po, spécialiste des questions européennes.

Lors du Conseil européen d’aujourd’hui et de demain, il va être question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et d’une nouvelle aide financière à Kiev. Comment se positionnent les Etats membres sur le sujet ?

Patrick Martin-Genier : Globalement, une grosse majorité des Etats membres sont favorables au début du processus d’adhésion de l’Ukraine, c’est-à-dire à l’ouverture de négociations. Certains sont plus frileux, mais ne mettront pas leur véto et pourraient se rallier à une position commune. Il s’agit par exemple de la Slovaquie du nouveau Premier ministre Robert Fico qui ne veut plus d’une aide militaire, de l’Autriche, elle aussi assez réticente à poursuivre l’aide à l’Ukraine ou encore des Pays-Bas où l’élection d’un Premier ministre d’extrême droite pourrait ralentir la volonté des Etats à continuer d’aider l’Ukraine. Et puis il y a le Premier ministre hongrois Viktor Orban qui a annoncé qu’il utiliserait son véto pour bloquer l’adhésion ukrainienne.

Pourquoi Viktor Orban menace de bloquer le Conseil européen ? Est-ce que l’Ukraine sert de prétexte à la Hongrie ou est-ce que cela reflète des divergences plus profondes avec l’Union européenne ?

C’est un peu des deux. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Viktor Orban est un relais de Vladimir Poutine en Europe. On sait qu’il a de bonnes relations avec le président russe et qu’il dit qu’il ne faut pas aller plus loin dans cette guerre. Le Premier ministre hongrois plaide en faveur de l’ouverture de négociations. Viktor Orban est aussi furieux de ne pas avoir obtenu les 30 milliards d’euros de fonds européens toujours gelés.

Là où il y a également une vraie divergence au niveau européen, c’est qu’il dit que l’Union européenne n’est pas prête à absorber l’Ukraine dans ses frontières. Il estime que pour la Hongrie, le processus d’adhésion a duré 10-15 ans et qu’une entrée de l’Ukraine précipitée ferait imploser l’Union européenne notamment sur la politique agricole commune et les fonds structurels. Viktor Orban affirme qu’il y aura une redirection considérable de ces fonds vers l’Ukraine et donc qu’il n’y aurait plus d’argent pour autres pays européens. En plus, beaucoup d’infrastructures en Ukraine sont démolies, donc les besoins sont immenses.

Est-ce que cet argument est recevable selon vous ?

Même si la position de Viktor Orban n’est pas réjouissante, il n’a pas totalement tort. L’avis rendu par la Commission européenne en novembre qui recommandait de passer à cette étape de la candidature de l’Ukraine, n’est pas assez solide sur le plan technique. La Commission savait que l’Ukraine ne remplissait pas tous les critères d’adhésion à tel point qu’elle a proposé de reporter l’échéance au printemps 2024.

Je pense aussi qu’il n’a pas totalement tort, parce que l’Europe n’a pas réfléchi au financement de ces pays quand on sera 35 dans l’Union. L’Ukraine n’arriverait pas seule, il y aurait aussi la Géorgie, la Moldavie et les pays Baltes. L’Europe n’a pas les moyens financiers de son élargissement. Elle doit également se donner les moyens de se réformer institutionnellement, sans quoi l’UE à plus de 30 deviendrait un navire ingouvernable.

Les Etats membres doivent aussi s’accorder pour valider une aide de 50 milliards d’euros sur 4 ans pour l’Ukraine. Qu’est-ce que cela représente pour Kiev ?

C’est une aide primordiale. 50 milliards d’euros ce n’est pas rien quand on voit que le Congrès des Etats-Unis a bloqué une aide de 60 milliards de dollars et que le président Joe Biden en est réduit à accorder 200 millions de dollars par le biais d’une agence gouvernementale. Ses tentatives de convaincre les Républicains n’ont pas été couronnées de succès parce qu’en contrepartie ils veulent insister sur la protection des frontières américaines et la poursuite de la construction du mur au sud du pays.

Je pense que l’aide européenne pourrait être acceptée par les Etats membres à condition qu’il n’y ait pas d’aide militaire puisque la Slovaquie le refuse. Ces 50 milliards de dollars regroupent les aides à la reconstruction et pour les civils en difficulté.

Vous l’avez dit, les Etats-Unis, premier soutien de l’Ukraine, n’ont pas réussi au Congrès à voter de nouvelle aide financière pour Kiev. Vous parliez des divergences européennes sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Peut-on dire que Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, est de plus en plus isolé ?

D’une certaine façon, il y a une lassitude sur la scène internationale, parce que les Etats-Unis entrent en campagne électorale. Volodymyr Zelensky peut continuer de compter sur la solidarité européenne, même si elle rencontre des limites financières et politiques. Les armements commencent à manquer et l’argent n’est pas extensible à l’infini donc c’est ça la difficulté. En Europe, le président ukrainien va pouvoir compter sur un soutien indéfectible de la Pologne avec le nouveau Premier ministre Donald Tusk.

Finalement, est-ce que cette séquence qui montre une division des Américains et des Européens au sujet de l’Ukraine ne profite pas à la Russie ?

Pour Vladimir Poutine, voir s’étaler la division européenne, son relais Viktor Orban dire qu’il va tout bloquer, voir les divisions au Congrès des Etats-Unis, c’est du pain béni. Cette situation le met en position de force et lui permet de croire en la victoire. Il prolonge la guerre et dispose des moyens pour la faire durer. Il y a un an tout le monde pensait que la Russie était faible. Il y a beaucoup de faiblesses dans l’armée russe, mais il y a une capacité presque infinie à mobiliser, recruter des soldats dont la vie lui importe peu, les envoyer sur le front, là où les capacités iraniennes sont limitées.

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