La deuxième tentative aura été la bonne. Après un premier revers totalement inattendu et inédit, Friedrich Merz est élu chancelier de la République Fédérale d’Allemagne au cours d’un second tour, organisé quelques heures seulement après le premier tour. 15 voix de plus en sa faveur ont su inverser le résultat du premier tour du scrutin qui avait vu Friedrich Merz subir un revers historique. Au total, le nouveau chancelier récolte 325 voix en sa faveur soit à peine neuf voix de plus que la majorité absolue requise.
Si Friedrich Merz est désormais élu et dispose d’une majorité au Bundestag, sa coalition est déjà grandement fragilisée. Le nouveau chancelier devra trouver des compromis au sein de sa propre coalition afin de faire passer ses textes de loi. Comme l’a montré le premier tour du scrutin ce matin, le moindre faux pas sera lourdement sanctionné.
Un premier tour historique
A l’annonce des résultats du premier tour, Friedrich Merz, visage fermé, accuse le coup. Et pour cause : le choc politique est total. C’est la première fois, de toute l’histoire de l’Allemagne moderne, qu’un candidat chancelier n’est pas élu au premier tour. Sur les 630 députés du Bundestag, le conservateur n’a récolté ce matin que 310 voix sur les 621 exprimés.
Interrogée par l’AFP, la chercheuse associée au centre Marc Bloch de Berlin, Claire Demesmay a pointé « un camouflet » qui « aura forcément un impact sur ses débuts en tant que chancelier et ensuite sur la période gouvernementale à venir ». « Au niveau international aussi, ce n’est vraiment pas bon signe », a-t-elle indiqué.
En France, l’eurodéputée et présidente du groupe Renew Europe au Parlement européen, Valérie Hayer, qui avait regretté un « risque d’instabilité », a salué l’élection de Friedrich Merz qui permet, selon elle, le renforcement du couple franco-allemand.
Pourtant, la coalition conclue lundi avec le parti de centre gauche (SPD) accordait à Friedrich Merz l’assurance de disposer d’une majorité absolue avec 328 députés de la Chambre. En tout, ce sont 18 députés de la coalition qui n’ont pas soutenu le candidat. Si le vote a été réalisé à bulletin secret et qu’il n’est pas possible de savoir quels députés ont voté contre ou se sont abstenus, les députés du SPD et de son propre camp ont souhaité montrer leur désaccord sur les positions prises par le leader de la coalition ces dernières semaines.
L’assouplissement des règles budgétaires a clivé
Fervent défenseur du renforcement de l’Otan, Friedrich Merz a, depuis l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, prôné la nécessité d’une Europe souveraine capable d’assumer sa propre défense. Chez les conservateurs, ce revirement vis-à-vis de l’allié américain a provoqué un certain choc.
L’assouplissement des règles budgétaires très strictes du pays a aussi suscité l’émoi dans son camp. Le 4 mars dernier, Friedrich Merz promettait un « bazooka » budgétaire de plusieurs centaines milliards d’euros pour se réarmer et renonçait ainsi à l’orthodoxie budgétaire singulière de l’Allemagne. Du côté du SPD, on reproche à Friedrich Merz de vouloir rompre avec le traditionnel « pacifisme » de l’Allemagne d’après-guerre en réarmant le pays. Sa remise en cause de certaines prestations sociales a également suscité de nombreuses critiques.
Auprès de Public Sénat, le secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa), Paul Maurice, relevait pourtant un parcours politique qui lui « garantissait un certain crédit sur les questions économiques ».
Un millionnaire de la « classe moyenne »
Issu d’une famille de notables avec des origines françaises du côté de sa mère, Friedrich Merz a effectué une grande partie de sa carrière politique dans l’ombre d’Angela Merkel, dont il a longtemps été présenté comme le principal rival. Elu au Bundestag en 1994, il échoue quelques années plus tard à prendre la tête du parti face à la future chancelière, qui incarne une forme de renouveau après les décennies Helmut Kohl. Elle repositionne le parti au centre droit, quand le conservatisme de Friedrich Merz est associé par certains à une forme de passéisme.
En 2009, Friedrich Merz se résout à quitter la vie politique, une parenthèse de dix ans qui s’achève lorsqu’Angela Merkel quitte la présidence de la CDU, en 2018. Passé par un cabinet d’avocats, le milieu bancaire, plusieurs grandes entreprises et un fonds d’investissement américain, Friedrich Merz fait fortune. Il confie même à Die Zeit, à l’occasion de son retour en politique, être devenu millionnaire. Une information que n’ont pas manqué d’utiliser ses adversaires politiques, dénonçant un risque de conflits d’intérêts au regard de son parcours professionnel.
De son côté, Merz se revendique comme « appartenant à la classe moyenne ». « Pour moi, elle ne se définit pas par des facteurs strictement économiques. J’ai reçu de mes parents les valeurs qui façonnent la classe moyenne : notamment le travail acharné, la discipline, la décence, le respect, le savoir et le fait d’être redevable, lorsqu’on le peut, vis-à-vis de la société », répond-il.
Son retour dans la vie politique en 2018 ne se fait pas sans difficultés. Il échoue à nouveau à prendre la tête de la CDU face à la dauphine de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer. Il est à nouveau battu deux ans plus tard par Armin Laschet. Friedrich Merz est néanmoins réélu député en octobre 2021 et, deux mois plus tard, il s’impose enfin à la présidence de la CDU, élu cette fois dans un fauteuil avec 62,1 % des sondages. Ce triomphe semble également solder la fin des années Merkel, après plus de vingt ans de domination sur la droite allemande.
Un conservateur pur sucre
Très conservateur sur les questions sociétales – il a été opposé à l’union civile entre personnes de même sexe et, plus récemment, à la légalisation du cannabis – il affiche sur le plan économique une ligne libérale. Il défend par ailleurs un positionnement dur sur l’immigration. Il a également été un farouche opposant à la sortie du nucléaire en Allemagne, après la catastrophe de Fukushima.
Durant la campagne, il a été accusé d’avoir fait tomber le cordon sanitaire avec l’extrême droite, en profitant le 29 janvier des voix de l’AfD pour faire adopter une motion sur l’immigration déposée par son parti au Bundestag. L’affaire a fait hurler la classe politique, jusque dans les rangs de la CDU, mais sans réel décrochage dans les sondages, ce qui laisserait penser que l’électorat allemand a pu se droitiser sur ces questions.
L’extrême droite se positionne
Du côté de l’extrême droite allemande, on savoure cette séquence politique. Bernd Baumann, secrétaire parlementaire de l’AfD, le parti d’extrême droite, affirme que le gouvernement débutera « dans une extrême instabilité » puisque « les représentants refusent de suivre le chancelier ». Le message est clair : ce n’est qu’avec l’AfD qu’il peut y avoir des conditions de gouvernement stables.
Fort d’une deuxième position aux dernières élections législatives anticipées avec 20,8 % des suffrages et une percée historique, l’AfD souhaite profiter de la fragilité de la coalition au pouvoir. La présidente du parti, Alice Weidel, a déclaré ce matin être prête à assumer la responsabilité gouvernementale. Ils ont immédiatement réclamé de nouvelles élections
Le président allemand a officiellement nommé Friedrich Merz chancelier. Dès demain, le nouveau chancelier doit se rendre à Paris pour une visite d’Etat. Celui qui annonçait, en février, avoir remis « l’Allemagne à nouveau sur les rails » doit désormais s’atteler à relancer la locomotive allemande, fortement fragilisée.
En collaboration avec Romain David