Une victoire tardive et resserrée. À 69 ans, Friedrich Merz, le leader de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU), la droite outre-Rhin, devrait devenir dans les prochaines semaines le dixième chancelier de la République fédérale d’Allemagne, après que l’alliance conservatrice formée par son parti avec l’Union chrétienne-sociale de Bavière (CSU) l’a emporté aux législatives anticipées. Une avance étroite néanmoins, sous le seuil symbolique des 30 % (28,6 % des suffrages), ce qui va compliquer la recherche d’une coalition, nécessaire pour gouverner. Ayant déjà exclu toute alliance avec l’extrême droite de l’Alliance pour l’Allemagne (AfD), qui réalise une percée historique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec 20,8 % des suffrages, Friedrich Merz devrait vraisemblablement se tourner vers la troisième force, les sociaux-démocrates (SPD) du chancelier sortant Olaf Scholz, qui ont glané 16,41 % des voix.
Un millionnaire de la « classe moyenne »
Issu d’une famille de notables avec des origines françaises du côté de sa mère, Friedrich Merz a effectué une grande partie de sa carrière politique dans l’ombre d’Angela Merkel, dont il a longtemps été présenté comme le principal rival. Elu au Bundestag en 1994, il échoue quelques années plus tard à prendre la tête du parti face à la future chancelière, qui incarne une forme de renouveau après les décennies Helmut Kohl. Elle repositionne le parti au centre-droit, quand le conservatisme de Friedrich Merz est associé par certains à une forme de passéisme.
En 2009, Friedrich Merz se résout à quitter la vie politique, une parenthèse de dix ans qui s’achève lorsqu’Angela Merkel quitte la présidence de la CDU, en 2018. Passé par un cabinet d’avocats, le milieu bancaire, plusieurs grandes entreprises et un fonds d’investissement américain, Friedrich Merz fait fortune. Il confie même à Die Zeit, à l’occasion de son retour en politique, être devenu millionnaire. Une information que n’ont pas manqué d’utiliser ses adversaires politiques, dénonçant un risque de conflits d’intérêts au regard de son parcours professionnel.
De son côté, Merz se revendique comme « appartenant à la classe moyenne ». « Pour moi, elle ne se définit pas par des facteurs strictement économiques. J’ai reçu de mes parents les valeurs qui façonnent la classe moyenne : notamment le travail acharné, la discipline, la décence, le respect, le savoir et le fait d’être redevable, lorsqu’on le peut, vis-à-vis de la société », répond-il.
« La montée de la gauche radicale ces dernières années, et des questionnements liés au pouvoir d’achat et aux retraites, jouent en défaveur du profil de Friedrich Merz. Mais son parcours lui donne aussi un certain crédit dès qu’il est question d’économie », relève auprès de Public Sénat Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa).
Son retour dans la vie politique en 2018 ne se fait pas sans difficultés. Il échoue à nouveau à prendre la tête de la CDU face à la dauphine de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer. Il est à nouveau battu deux ans plus tard par Armin Laschet. Friedrich Merz est néanmoins réélu député en octobre 2021 et, deux mois plus tard, il s’impose enfin à la présidence de la CDU, élu cette fois dans un fauteuil avec 62,1 % des sondages. Ce triomphe semble également solder la fin des années Merkel, après plus de vingt ans de domination sur la droite allemande. « Son élection marque le retour d’une droite classique. Mais son âge pose aussi la question de sa succession, un point sur lequel Angela Merkel a échoué. Pour l’heure, on ne voit pas graviter de Shadow Cabinet ou de personnalités fortes dans l’entourage de Friedrich Merz », note Paul Maurice.
Un conservateur pur sucre
Chef de file de la CDU/CSU pour législatives anticipées, Friedrich Merz fait la course en favori des sondages. Très conservateur sur les questions sociétales – il a été opposé à l’union civile entre personnes de même sexe et, plus récemment, à la légalisation du cannabis – il affiche sur le plan économique une ligne libérale. Il défend par ailleurs un positionnement dur sur l’immigration. Il a également été un farouche opposant à la sortie du nucléaire en Allemagne, après la catastrophe de Fukushima.
Durant la campagne, il a été accusé d’avoir fait tomber le cordon sanitaire avec l’extrême droite, en profitant le 29 janvier des voix de l’AfD pour faire adopter une motion sur l’immigration déposée par son parti au Bundestag. L’affaire a fait hurler la classe politique, jusque dans les rangs de la CDU, mais sans réel décrochage dans les sondages, ce qui laisserait penser que l’électorat allemand a pu se droitiser sur ces questions.
« Il a fait un très mauvais coup politique. Il a voulu reprendre en main une campagne en perte de vitesse, et se repositionner sur les questions migratoires qui lui échappaient au profit de l’extrême droite », décrypte Paul Maurice. « Il s’est depuis très clairement repositionné en faveur du cordon sanitaire. S’il est amené à gouverner avec les sociaux-démocrates, on imagine qu’il y sera particulièrement attentif. »
Le retour de la locomotive franco-allemande
Fervent défenseur du renforcement de l’Otan, Friedrich Merz a changé de braquet depuis l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, prônant désormais, face au désengagement américain, la nécessité d’une Europe souveraine capable d’assumer sa propre défense. Il a expliqué dimanche soir, après sa victoire, que ce sujet était pour lui « une priorité absolue ».
Cette position devrait favoriser le renforcement des relations franco-allemandes, alors qu’Emmanuel Macron ne cesse de plaider pour la mise en place d’une Europe de la défense. « Nous sommes plus que jamais déterminés à faire de grandes choses ensemble pour la France et pour l’Allemagne et travailler à une Europe forte et souveraine. Dans cette période d’incertitude, nous sommes unis pour faire face aux grands défis du monde et de notre continent », a réagi le président français sur X après la victoire de Merz.
« Tout cela est de bon augure, je pense que Friedrich Merz sera un allié pour la France, ce qui est une bonne nouvelle en général pour l’Europe », a commenté au micro de Public Sénat Ronan Le Gleut, sénateur LR des Français établis hors de France. « Durant toute sa campagne, Friedrich Merz a répété combien il reprochait à Olaf Scholz de ne pas avoir assez œuvré pour la relation franco-allemande. Friedrich Merz est un Rhénan, qui connaît bien la France. Il est très attaché à cette relation », souligne l’élu. « La culture de Friedrich Merz et le contexte international font de cette élection une opportunité pour la France, c’est certain. Mais pour cela il faut agir vite. La mise en place d’une coalition peut prendre du temps, et nous ne savons pas quelle sera la situation politique de la France d’ici trois mois… », pointe Paul Maurice.