« J’ai déterminé que certains produits agricoles ne devaient pas être soumis aux droits de douane réciproques ». Vendredi dernier, le président des Etats-Unis a annoncé par décret l’annulation de la hausse des taxes sur certains produits agricoles comme le café, les bananes ou encore les avocats. Un revirement détonnant, compte tenu de la détermination avec laquelle Donald Trump a imposé sa stratégie commerciale après son retour à la Maison Blanche.
Ce geste n’est pas anodin. Cela fait quelques semaines que le président américain discute à nouveau avec certains acteurs commerciaux, comme la Chine ou plusieurs pays d’Amérique centrale et du Sud. Donald Trump a notamment scellé un accord avec son homologue chinois, lors de sa visite en Chine il y a deux semaines, acceptant de diminuer les droits de douane de 20% à 10%.
Pour rappel, en avril dernier, Donald Trump avait imposé des droits de douane « réciproques » d’au moins 10% sur les produits entrants dans le pays.
La « crainte d’une tension inflationniste » derrière la décision de Donald Trump, selon Anne-Sophie Alsif
Pourquoi une telle décision ? Plusieurs facteurs expliquent le choix du président américain. D’abord, les Américains subissent une hausse de certaines denrées alimentaires depuis quelques mois. C’est notamment le cas du café, dont l’augmentation a atteint 19% en septembre : un produit concerné par l’annulation des droits de douane, de jeudi dernier. Mais pour l’économiste Anne-Sophie Alsif, la hausse des prix des denrées alimentaires est moins liée à la hausse des droits de douane qu’à une mauvaise récolte cette année. S’il n’y a pas de « flambée » de l’inflation, il y a tout de même la « crainte d’une tension inflationniste », estime-t-elle. En effet, pour Elvire Fabry, spécialiste de la géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors, si « on n’a pas l’impact complet des droits de douane, on sait que cela infusera de manière plus large ». Et cette « crainte » a poussé le chef de l’Etat à revoir sa stratégie commerciale.
Autre chiffre déterminant : celui de la croissance américaine. Toujours selon Anne-Sophie Alsif, elle n’atteint que 1,5%, alors qu’elle aurait dû atteindre 3,5% cette année. Et ce, à cause de l’application de la hausse des droits de douane. Le panorama économique n’est donc pas favorable à Donald Trump, le poussant à agir, et ce non sans une idée derrière la tête…
« Le mécontentement peut lui faire craindre que les élections de mi-mandat se passent mal », estime Stéphanie Villers
Au printemps prochain, les Américains retourneront aux urnes pour les élections de mi-mandat. Lors de ce scrutin, les votants élisent une partie du Parlement américain, la Chambre des représentants et un tiers du Sénat : elles sont donc décisives pour le président américain. Les résultats de ce scrutin marqueront la réussite ou l’échec de la première partie de son mandat, et déterminera la ligne à suivre pour les deux années restantes.
Or, la hausse des prix des denrées alimentaires a créé un « mécontentement » dans la population américaine, qui pourrait « lui faire craindre que les élections de mi-mandat se passent mal », analyse l’économiste Stéphanie Villers. Et pour cause, le pouvoir d’achat des Américains était au cœur des promesses de la campagne présidentielle du candidat Trump. Il voulait « lutter contre l’inflation mise en place, selon lui, par Joe Biden », rappelle Stéphanie Villers. L’enjeu serait donc de « retourner la situation à son avantage » et obtenir sa récompense au moment du scrutin.
Un désaveu pour la politique commerciale de Donald Trump ?
Mais cette récompense aurait un coût. Si l’annulation des droits de douane sur certains produits agricoles peut calmer la « grogne » de la population américaine, elle apparaît néanmoins comme un désaveu de la politique commerciale de Donald Trump, selon l’économiste Stéphanie Villers. Cette stratégie commerciale « n’avait pas de sens économique », explique-t-elle.
De plus, elle devait répondre à un besoin de réindustrialisation du pays : or, Donald Trump a appliqué la hausse des droits de douane « sans stratégie industrielle derrière », affirme Elvire Fabry, spécialiste de la géopolitique du commerce. Et une politique industrielle prend du temps à mettre en place, ce que ne permet pas l’agenda politique : « ce sont deux calendriers différents », confirme l’économiste Stéphanie Villers.
Mais restons prudents. Si cette annulation était attendue pour l’économiste Stéphanie Villers, la situation économique présente et future du pays forçant un « retour à la réalité », le président américain reste « trop attaché à cultiver l’incertitude dans ses choix politiques et économiques » pour se réjouir trop vite, estime la spécialiste de la géopolitique du commerce, Elvire Fabry. Un constat partagé par l’économiste Anne-Sophie Alsif : « Il pourrait changer d’avis ». En effet, les résultats de l’élection de mi-mandat pourraient lui faire opérer un nouveau revirement. Réponse au printemps prochain.