Argentina Elections

Argentine : le nouveau président Javier Milei, « attire parce qu’il se présente comme un leader messianique »

Pour la spécialiste de l’Argentine Maricel Rodriguez Blanco, Maîtresse de conférences en sociologie à l’Institut Catholique de Paris, l’élection de Javier Mileil est une mauvaise nouvelle pour le peuple argentin, qui pourrait subir de plein fouet les mesures drastiquement libérales de son nouveau président.
Hugo Ruaud

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Dimanche 19 novembre, Javier Milei a largement battu, par 55,7 % des voix, son concurrent Sergio Massa, ministre de l’économie sortant, au second tour de l’élection présidentielle, à l’issue d’une campagne qu’il avait commencée en tant qu’outsider. Celui qui se décrit lui-même comme un « anarcho capitaliste » devient le président d’un pays plongé dans l’une des plus graves crises économiques de son histoire, après avoir présenté à ses électeurs un programme très libéral sur le plan économique, et très conservateur sur le plan des mœurs : abandon de la monnaie nationale, le peso, au profit du dollar, suppression de la Banque centrale, fermeture de nombreux ministères comme la Santé ou l’Éducation, retour sur la liberté d’avorter… Cet économiste de formation promet de redresser l’Argentine. Mais de nombreux spécialistes s’inquiètent des mesures radicales qu’a promis de mettre en place Javier Milei, ainsi que les reculs démocratiques qu’elles pourraient impliquer. Explications avec Maricel Rodriguez Blanco, Maîtresse de conférences en sociologie à l’Institut catholique de Paris, spécialiste de l’Argentine.

 

Javier Milei est un novice en politique. D’où vient-il ? Comment a-t-il émergé dans le paysage politique argentin ?

 

Jusqu’en 2020, Javier Milei était un inconnu de la vie politique argentine, avant de devenir député. Au parlement, il n’était pas très connu non plus puisqu’il était très souvent absent des débats. Dans cette optique, il peut être considéré comme un outsider politique, mais c’est quelqu’un qui est en lien avec les élites économiques et politiques depuis bien longtemps. Il a été animateur de télé, il a longtemps travaillé pour América TV, dont le propriétaire est l’un des hommes les plus riches d’Argentine et qui l’a propulsé, avant de prendre ses distances avec Javier Milei. Pendant le confinement, Javier Milei a développé sa notoriété par le biais des médias non traditionnels, notamment les réseaux sociaux où il s’est entouré de nombreux influenceurs. Les comparaisons avec Donald Trump ou Jair Bolsonaro sont très pertinentes, et elles montrent que Milei profite aussi d’une tendance mondiale. Javier Milei a publiquement fait de Trump son modèle, Bolsonaro l’a personnellement soutenu puis félicité. Il a également reçu le soutien de Vox – le parti d’extrême droite espagnol. Les comparaisons ne sont donc pas anodines.

 

Qu’est-ce qui a plu aux Argentins chez Javier Milei ?

 

C’est plus une affaire de style que de fond. Le fond recouvre des mesures déjà prises dans les années 1990 : le fait de privatiser et de réduire drastiquement les dépenses sociales, et des dépenses de l’Etat. Il dit tout et son contraire concernant son programme : il a annoncé la dollarisation avant de rétropédaler, il a annoncé la fermeture de la banque centrale avant de dire que ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit… Et puis on ne sait même pas comment il va mettre en pratique ces mesures. Mais ce ne sont pas les mesures qu’ils proposent qui attirent le plus. Il attire parce qu’il se présente comme un leader messianique, comme un sauveur. C’est quelque chose qui marche sur le plan de la communication médiatique qu’il maîtrise très bien. C’est très efficace auprès des jeunes, des jeunes précaires notamment, qui voient en lui une sorte de promesse « anti caste ». C’est cette rhétorique populiste anti privilège qui a convaincu des jeunes qui n’étaient pas forcément politisés.

 

Ses propos s’appuient sur deux axes : l’un très libéral, l’autre très conservateur…

 

Ce n’est pas forcément contradictoire. Dans son discours, il y a un côté qui veut casser l’Etat, le réduire à son minimum, avec une idée de liberté individuelle à outrance où il s’agit de tout privatiser, y compris les ressources naturelles, ou la sécurité. Et d’un autre côté, du point de vue des droits sociaux et des droits civiques, il est très rétrograde, il veut détricoter une série d’acquis depuis la fin de la dictature en 1983, dont on fête justement les quarante ans cette année. Il revendique d’une certaine manière la dictature et en niant les crimes commis par cette dernière. Et puis il y a tous les droits qui ont pu être conquis, pour les femmes, pour les travailleurs, sur lesquels il veut revenir, à commencer par l’avortement. C’est un recul en matière de droits humains qui est très très inquiétant.

 C’est certain qu’il va y avoir de la résistance au sein de la société argentine 

Son élection intervient alors que l’Argentine est plongée dans une grave crise. Quelles pourraient être les conséquences de son programme économiqe, notamment d’un point de vue social ?

 

L’inflation est à hauteur de 140 % annuel, c’est démesuré. 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, un enfant sur deux est pauvre. Il veut revenir sur cette idée de dollarisation de l’économie. Il prétend que cette idée-là va permettre au pays de retrouver son rang. Mais au contraire, en Argentine, c’est l’économie informelle et l’économie domestique qui sont très développées. Les problèmes de cette économie ne peuvent donc pas être résolus du seul point de vue monétaire. Les mesures de dollarisation risquent de ne rien arranger, et de provoquer seulement de la panique. De plus, les mesures qu’il a annoncées concernant les coupes drastiques dans les aides sociales et les dépenses de l’Etat vont provoquer une paupérisation croissante d’une bonne partie de la population. Mais les effets vont être différents selon qu’on appartienne à une classe aisée ou aux classes populaires. Les classes aisées auront d’autres marges de manœuvre.

 

A-t-il les mains totalement libres pour gouverner ? Théoriquement, il n’a pas la majorité au parlement.

 

C’est certain qu’il va y avoir de la résistance au sein de la société argentine. Mais ce que l’on peut craindre aussi, et ce qu’il a déjà annoncé, c’est une répression très forte. Il y a déjà une partie de la société argentine qui a peur pour ses proches. C’est une donnée à prendre en compte. Concernant sa capacité à gouverner, il va avoir la majorité au parlement : Mauricio Macri, l’ancien président (2015-2019), dont la candidate, Patricia Bullrich, a obtenu 24 % des suffrages au premier tour, vient de lui donner son soutien. Mais il ne faut pas croire que c’est une marionnette de Macri, c’est bien lui qui est à la tête du pays. Ce qui est certain, c’est qu’il va vouloir aller vite, sans demi-mesure. Il a promis que dans 35 ans, l’Argentine serait à nouveau la première puissance mondiale. Toujours pour se distinguer de la caste, il se présente comme quelqu’un qui ne restera pas au pouvoir. Il jure qu’il est seulement là pour « aider » l’Argentine, et qu’il s’en ira ensuite. Mais on a des raisons de ne pas le croire.

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