L’ « American comeback tour » faisait étape sur le campus de l’Utah Valley University, à Orem, au sud de Salt Lake City, quand une balle a atteint la gorge de Charlie Kirk, sous les yeux de 3 000 de ses soutiens. Vêtu d’un tee-shirt « Freedom » (« liberté »), le polémiste ultraconservateur et très influent au sein de la jeunesse trumpiste, s’est effondré sous la tente floquée de son célèbre mantra « Prove me wrong » (« Démontre que j’ai tort »). Le suspect principal vient d’être arrêté selon les dernières annonces du FBI.
Son assassinat rappelle « la violence intrinsèque aux États-Unis », affirme Alexis Pichard, chercheur en politique américaine à l’université Paris Nanterre et autour de Trump et les médias, l’illusion d’une guerre ? (Éditions VA, 2000).
Onde de choc dans la galaxie MAGA
« Le grand, et même légendaire, Charlie Kirk est mort », a déploré Donald Trump sur sa plateforme Truth Social, « personne ne comprenait, ni n’avait le cœur de la jeunesse des États-Unis mieux que Charlie. Il était aimé et admiré de tous, surtout de moi, et maintenant, il n’est plus parmi nous ».
Ce chrétien évangélique âgé d’une trentaine d’années, aimait confronter « les gauchistes et les intellos », usant d’une répartie aiguisée par les débats, et envoyant pêle-mêle ses offensives sur les questions d’avortement, de genre ou d’immigration. « Turning Point USA », dont il était le chef de file, est devenu en une dizaine d’années, le plus gros mouvement de jeunes conservateurs américains. Ses 250 000 adhérents, implantés sur près d’un millier de campus dans les 50 États, ont très largement contribué à la réélection de Donald Trump en 2024. Avec comme objectif d’ « identifier, éduquer, former et organiser les étudiants pour promouvoir la liberté », sur fond de guerre culturelle menée contre le « wokisme ».
« L’extrême-droite a plutôt le monopole de la violence politique »
C’est un assassinat qui s’inscrit dans un contexte d’animosité particulièrement marquée à l’encontre des personnalités politiques depuis les dernières années, une violence qui « est dans l’ADN des Etats-Unis », selon Alexis Pichard. Entre autres : le meurtre d’un couple d’élus démocrates du Minnesota le 14 juin dernier, l’incendie criminel de la maison du gouverneur démocrate de Pennsylvanie en avril, l’attaque au marteau du mari de la démocrate Nancy Pelosi en 2022 ou encore la tentative de kidnapping de la gouverneure du Michigan au mois d’octobre 2020. Ces deux derniers actes de violence ayant pour responsables « des électeurs MAGA », rappelle Alexis Pichard. Mais la mort de Charlie Kirk est « une grande première », car « c’est la première fois qu’une figure de l’extrême droite est touchée ».
Alors que le républicain et président de la Chambre des représentants, Mike Johnson a déploré une violence politique « devenue trop courante » et qui « doit être dénoncée et cesser », le président américain a embrayé sur un tout autre registre, fustigeant une « extrême gauche » qui « compare des Américains extraordinaires comme Charlie aux nazis et aux pires assassins de masse », et sa « rhétorique incendiaire », comme responsable de cette attaque. Et à Elon Musk d’abonder dans son sens : « La gauche est le parti du meurtre », quand bien même le camp démocrate milite pour un plus grand contrôle du port d’arme aux États-Unis.
Pourtant, « l’extrême-droite a plutôt le monopole de la violence politique », avance Alexis Pichard, évoquant une enquête de l’Anti-Defamation League. Sur les 444 meurtres politiques recensés entre 2013 et 2022, 75 % d’entre eux sont du fait de l’extrême-droite, et seuls 4 % ont été imputés à l’extrême-gauche.
La « verve diabolisante » du président américain
Une tendance « logique » avec un chef de l’État qui « n’a de cesse d’alimenter » un « climat de sécession et de guerre civile, et de tout mettre sur le dos des démocrates », qu’il n’hésite pas à qualifier de « vermines » et d’« anti-américains ». Selon le chercheur, la « verve diabolisante » en cours dans la bouche de Donald Trump, cumulée aux grâces présidentielles accordées en début d’année aux auteurs de l’assaut du capitole, « laissant supposer leur impunité », est à l’origine de ce climat agressif.
Ses prises de position virulentes sont loin d’apaiser les tensions et contribuent à attiser les braises au sein de son électorat. Des rumeurs ont circulé sur la possible identité du tueur, évoquant un individu transgenre. Certains proches de la mouvance MAGA se sont alors mis en scène en pleurs sur les réseaux sociaux, appelant à des représailles sanglantes contre les personnes transgenres, qu’ils ont prises en grippe depuis plusieurs mois.
La faute aussi à un « double standard » et à une « asymétrie de la compassion » du camp trumpiste, qui tolère une violence de la part de l’extrême-droite et peut « tourner au ridicule » les attaques visant les démocrates, d’après Alexis Pichard. Pour Donald Trump, « les radicaux de droite le sont souvent parce qu’ils refusent de voir la criminalité s’installer. Le vrai problème ce sont les radicaux de gauche », s’est-il exprimé sur Fox News.
Un « privilège d’extrême-droite » qui s’est installé au cours de son mandat, alerte l’expert. Avec un président qui a sollicité une minute de silence pour le décès de Charlie Kirk, ce qui n’a pas été le cas pour les deux élus démocrates assassinés cette année.
Un « martyr » au service de certains, moqué par d’autres
L’instrumentalisation de la mort de l’influenceur ne s’est pas fait attendre. Donald Trump l’a rapidement hissé au rang de « martyr de la vérité et de la liberté ». Un narratif déjà exploité par le résident de la Maison Blanche, rescapé de deux tentatives d’assassinat cette année, rappelle Alexis Pichard, chercheur en politique américaine à l’université Paris Nanterre. « Donald Trump a tissé un récit de victimisation qui prenait des échos religieux », explique-t-il, « se présentant telle une figure surhumaine ayant survécu à la mort, là pour guider le peuple américain », comme « un messie ».
Si les responsables politiques ont unanimement condamné ce drame, le chercheur précise que « sa mort a fait des heureux sur les réseaux sociaux ». Pour certains, Charlie Kirk « a mérité tout ça », car il n’était « pas juste conservateur », mais « faisait l’apologie de la haine ». Ce sont les mêmes qui pointent du doigt « l’ironie » de son assassinat, alors que le podcasteur était connu pour ses positions en faveur du port d’arme, et qui considérait que la défense du second amendement « passe nécessairement par des morts résiduelles », selon l’universitaire.
Un peuple américain essentiellement divisé entre « deux pôles aux antipodes » qui « ne vont plus se parler », même si une partie de l’électorat fluctue encore, avec « certains qui sont passés de Biden en 2020 à Trump en 2024 », explicite le spécialiste. En cause : une « rigidification » de la frontière entre le camp des démocrates et celui des républicains, « renforcée par les médias qui sont très nichés », surtout « ceux d’extrême-droite » qui sont dans « la cessation au niveau des autres et du réel ».
Un bon timing pour Donald Trump
Le calendrier est « très opportun » relève le chercheur, puisque le décès de Charlie Kirk survient le même jour où le Sénat américain devait voter l’amendement de Chuck Schumer, portant sur la publication des archives Jeffrey Epstein. Donald Trump, « enlisé » dans un dossier duquel « il ne sortait plus », explique Alexis Pichard, « s’insère dans cette brèche et va l’exploiter à fond, afin de distraire l’attention ». Selon lui, le président américain est « l’expert des contrefeux » et sait « tout faire pour échanger l’ordre du jour ».