Une centaine de sites iraniens ont été bombardés par Israël dans la nuit de jeudi à vendredi, une attaque sans précédent depuis les années 1980. Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, a déclaré que ces frappes « avaient frappé le cœur du programme d’enrichissement nucléaire de l’Iran ». Plusieurs hauts responsables militaires iraniens ont été abattus dans les explosions, qui ont également touché des immeubles résidentiels de Téhéran.
« Ces derniers mois, les renseignements accumulés ont montré que le régime iranien s’approchait du point de non-retour », indique un communiqué de l’armée israélienne, évoquant les « installations souterraines » grâce auquel l’Iran enrichit l’uranium « à des niveaux de qualité militaire ». Auditionné au Sénat mardi 11 juin, Joshua Zarka, l’ambassadeur d’Israël en France, avait rappelé les craintes de son pays à l’idée de voir le régime des mollahs se doter de l’arme ultime. « Notre but est d’empêcher l’Iran d’avoir l’arme nucléaire, quoi qu’il arrive », avait averti ce diplomate.
« La France a exprimé à maintes reprises ses préoccupations au sujet de l’accélération du programme nucléaire iranien qui constitue une grave menace pour la sécurité du territoire national, en violation des obligations internationales de l’Iran », a rappelé Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, ce vendredi matin devant des journalistes.
Du nucléaire civil au nucléaire militaire
Le programme nucléaire iranien a été lancé dans les années 1950 par le Shah d’Iran, avec le soutien des Etats-Unis notamment. L’objectif est l’électrification du pays, dans un contexte de développement économique rapide. À l’époque, les deux nations entretiennent des relations nourries, et en 1968 Téhéran ratifie le traité de non-prolifération nucléaire, qui vise à prohiber l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires. La révolution islamiste de 1979 isole Téhéran de ses partenaires historiques, ce qui porte un premier coup d’arrêt au programme nucléaire iranien. Il est finalement relancé par le nouveau régime au milieu des années 1980, pendant la guerre Iran-Irak.
L’année 2002 marque un tournant, lorsque le dissident iranien Alireza Jafarzadeh révèle l’existence de deux centres de recherches nucléaires militaires, à Natanz et Arak – qui font partie des sites visés cette nuit par l’armée israélienne. S’en suivent alors plusieurs années de tractations avec les Occidentaux, qui cherchent à freiner les activités de l’Iran relatives à l’enrichissement d’uranium, opération nécessaire pour aboutir à la fission nucléaire.
Durant cette période, l’Iran se dote d’une usine souterraine à Fordo et d’un centre de conversion à Ispahan, deux complexes vraisemblablement épargnés par Tel-Aviv, selon les médias israéliens. Le 11 avril 2006, le président Mahmoud Ahmadinejad, partisan d’une stratégie de confrontation, fait savoir publiquement que l’Iran produit désormais de l’uranium enrichi. « J’annonce officiellement que l’Iran a rejoint ce groupe des pays qui ont la technologie nucléaire. » Le 23 décembre, la résolution 1737 du Conseil de sécurité des Nations Unies impose au pays une série de sanctions relatives à son programme nucléaire.
En 2011, une première centrale nucléaire civile entre en service à Bouchehr, achevée après une trentaine d’années de travaux grâce au soutien de la Russie. En 2022, les travaux pour une seconde centrale sont lancés à Darkhovin, un projet qui remonte également aux années 1970 et à la période impériale.
L’accord sur le nucléaire iranien
Le 14 juillet 2015, après des années de négociations, l’Iran et les pays dits du « groupe P 5+ 1 », c’est-à-dire les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne aboutissent à un accord sur le nucléaire iranien. Moyennant une levée des sanctions, Téhéran s’engage à limiter sa production de plutonium et d’uranium enrichi à des seules fins civiles, sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Mais cet accord, négocié sous la présidence de Barack Obama, est jugé largement insuffisant par son successeur Donald Trump. Le Républicain accuse Téhéran de ne pas respecter ses engagements – accusations également relayées par Israël. Il exprime aussi sa volonté d’élargir les contours de l’accord au programme balistique iranien et aux questions de sécurité dans la région. Finalement, les Etats-Unis se retirent de l’accord en 2018 et rétablissent du même coup leurs sanctions contre le régime des mollahs.
L’assassinat en janvier 2020 du général iranien Qassem Soleiman par un drone américain aurait poussé Téhéran à s’émanciper un peu plus du cadre de l’accord.
Un flou sur les capacités nucléaires de l’Iran
L’accord prévoit de limiter à 300 kg la quantité d’uranium enrichi à 3,67 %, celui qui est utilisé pour le nucléaire civil, c’est-à-dire la production d’énergie et la recherche scientifique. La fabrication d’une arme nucléaire nécessite un enrichissement à 90 %. Or, dans un rapport publié en mars, l’AIEA estime que l’Iran détiendrait 275 kg d’uranium enrichi à 60 %, contre 182 kg trois mois plus tôt.
L’agence considère que l’Iran détient désormais le matériel nécessaire à la fabrication de plusieurs bombes, mais elle n’est pas en mesure de déterminer si ces stocks sont effectivement réservés à un usage militaire. « L’Iran est le seul État non doté d’armes nucléaires à enrichir de l’uranium à ce niveau, ce qui me préoccupe vivement », a déclaré Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l’AIEA, lors d’une réunion à Vienne le 3 mars.
À ce stade, des interrogations demeurent sur l’état des connaissances iraniennes pour assembler un tel engin. « C’est comme un puzzle, ils ont les pièces et ils pourraient éventuellement un jour les mettre ensemble. Il reste du chemin à parcourir avant d’y parvenir. Mais ils n’en sont pas loin, il faut le reconnaître », a encore averti le patron de l’AIEA, cette fois dans un entretien accordé mi-avril au journal Le Monde.