C’est bien l’unique domaine immunisé face aux coupes budgétaires. Alors que l’exécutif cherche à réduire la dépense publique, Emmanuel Macron a annoncé la sanctuarisation et l’augmentation du budget des armées. À l’occasion du traditionnel discours du chef de l’Etat devant les armées la veille de la fête nationale, le président de la République a annoncé « un effort de 3,5 milliards d’euros en 2026 et de 3 milliards d’euros supplémentaires l’année suivante ». Un effort qui s’ajoutera à la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM) et doit porter le budget des armées à 64 milliards d’euros, contre 32 milliards en 2017. Actuellement, le budget des armées s’élève à 50,5 milliards d’euros.
Des annonces soigneusement préparées par l’Elysée puisqu’une conférence de presse du chef d’état-major des armées dressant un panorama des menaces stratégiques avait précédé le discours du chef de l’Etat. Le service de communication d’Emmanuel Macron avait ensuite fait miroiter « un discours avec des annonces très importantes », sans donner davantage de précisions.
« On peut considérer que ces crédits vont permettre de financer ce qui était prévu par la LPM »
« Notre liberté à un prix : le voici », affirme également Emmanuel Macron, dans la continuité du discours du chef d’état-major des armées. Cependant, au Sénat les réactions se veulent mesurées à propos de ces augmentations de crédits et les sénateurs doutent qu’elles permettent de répondre aux objectifs dressés dans la revue nationale stratégique publiée le 14 juillet. En effet, dès la mi-mai, un rapport sénatorial dressait un bilan assez critique du respect des objectifs de la LPM. Si les lois de finances respectent la trajectoire fixée par la LPM en 2023, elles se révèlent insuffisantes pour répondre aux objectifs capacitaires établis par la loi de programmation.
« On peut considérer que ces crédits vont permettre de financer ce qui était prévu par la LPM, et insuffisamment financé. Disons que nous sommes dans une opération de vérité des prix, plus que d’accroissement des capacités », estime le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le sénateur LR Cédric Perrin. « On reste sur un scénario de réparation et de modernisation de nos armées », abonde le sénateur d’Ille-et-Vilaine et rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « défense », Dominique de Legge.
Réduire les reports de charges du ministère des armées
L’augmentation du budget des armées, auquel s’ajoute le dégel des trois milliards de crédits figés depuis avril, devrait surtout permettre de rattraper le retard plutôt que de renforcer les capacités humaines et matérielles des armées. « La première LPM était une loi de restauration, on est toujours dans une logique de rattrapage. On a un souci par rapport aux reports de charge qui limitent considérablement les marges de manœuvre Ces crédits vont venir combler les reports de charges du ministère », affirme, la sénatrice socialiste, Hélène Conway-Mouret.
En effet, les reports de charges du ministère des armées, c’est-à-dire les dépenses prévues mais pas encore honorées, ont atteint le niveau inédit de 8 milliards d’euros en 2025. Si la pratique du report de charges n’a rien d’anormal, le montant s’élevait à un peu moins de 4 milliards en 2023. Pas vraiment une « mise à jour » de la LPM comme l’évoquait le ministre de la défense Sébastien Lecornu devant les sénateurs le 1er juillet puisque « cela permettra tout juste de payer les reports de charge », estime Dominique de Legge.
« Malgré les déclarations du ministre, les entreprises attendent toujours les bons de commande »
Alors que les reports de charge entravent l’action du ministère des armées et notamment de la direction générale de l’armement, les sénateurs espèrent que ces nouveaux crédits permettront de retrouver de la souplesse et stimuler les commandes. Une demande largement exprimée par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense. « Les grands groupes attendent d’avoir des commandes et les PME et ETI attendent d’être payés pour ce qu’elles ont produit », rapporte Hélène Conway-Mouret. « Malgré les déclarations du ministre, les entreprises attendent toujours les bons de commande », abonde Dominique de Legge. « Pour l’augmentation des cadences, ça ne peut pas être une affaire à un coup, il faut donc avoir une assurance de commandes sur 5 ans », continue le sénateur d’Ille-et-Vilaine.
Par ailleurs, Cédric Perrin rappelle que les armées avaient chiffré leurs besoins, au moment des débats sur la LPM, à 420 milliards d’euros pour les sept années à venir. Le texte prévoit finalement une enveloppe de 400 milliards. « Les annonces du Président de la République confirment que ce montant [de 400 milliards] ne permet pas de faire face à l’augmentation des menaces », constate Cédric Perrin.
La question du financement et de son acceptabilité
Ainsi, même si l’augmentation du budget des armées permet de s’inscrire dans la trajectoire de dépense à hauteur de 3,5 % du PIB fixée par les pays de l’Otan, Hélène Conway-Mouret réclame un cap clair pour les dépenses de défense. « A partir du moment où l’on a pas d’objectif clair et que l’on a toujours une armée complète, si on continue à ne pas avoir de priorité, comme les Polonais qui ont mis la priorité sur l’armée de terre on n’arrivera pas à monter en capacité », estime la sénatrice socialiste qui évoque « le retard fou pris en matière de drones » et appelle à se concentrer sur « l’aérien, l’espace et le maritime ».
Si le renforcement de la complémentarité entre les armées européennes apparaît, sur ce point, comme une solution évidente, la capacité de l’Union européenne à faire converger les besoins des Etats membres se révèle insuffisante. Par exemple, le plan européen annoncé par Ursula von der Leyen permettant de déroger aux règles du pacte de stabilité et de croissance pour les dépenses de défense peine à répondre aux besoins français. L’autre volet du plan, qui permet à l’Union européenne de mobiliser 150 milliards d’euros grâce à des prêts, pourrait quand même permettre à la France d’avoir accès à des taux d’intérêt favorables. Cela reviendrait tout de même à accroître la dette et pose alors la question du financement de ces nouvelles dépenses. Alors que le premier ministre a annoncé un plan d’économie de 43,8 milliards d’euros pour le budget 2026 et que le budget des armées est sanctuarisé, la question de l’acceptabilité de ces choix se pose pleinement. « Il ne faut pas donner l’impression que l’on donne à la défense ce que l’on retire au reste et s’assurer le soutien continu des Français à l’effort de défense que nous devons faire », anticipe Hélène Conway-Mouret.