Supporters of the Sadrist movement demonstrate in Mosul, Iraq – 06 Jul 2023

Autodafés du Coran en Suède et au Danemark : « L’issue, c’est l’éducation, pas l’interdiction »

Le 3 septembre dernier, dans la ville de Malmö au sud de la Suède, le militant anti-islam Salwan Momika a piétiné puis incendié un exemplaire du Coran au cœur d’un quartier à l’importante population immigrée. Des violences ont éclaté suite à cet acte provocateur. En réaction à une série d’évènements similaires en Suède et au Danemark, le ministre de la justice danois Peter Hummelgaard vient de proposer un projet de loi interdisant la dégradation en public de livres et symboles religieux. Explications avec Olivier Hanne, chercheur en islamologie à l’Université de Poitiers.
Ella Couet

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Une série d'autodafés

Momika avait déjà incendié un Coran le 28 juin devant une mosquée de Stockholm lors du premier jour de l’Aïd, puis quelques jours après devant l’ambassade d’Irak, et une troisième fois devant le parlement dans la même ville. Dans le pays voisin, au Danemark, on dénombre également de nombreux autodafés du livre sacré depuis 2017, avec une recrudescence depuis le début de l’année en cours. Ces actes ont provoqué des tensions avec plusieurs pays de confession musulmane et donné lieu à des boycotts politiques et économiques de la part de ces Etats, notamment envers les produits suédois. L’ambassade de Suède à Bagdad a été incendiée le 20 juillet dernier par des manifestants irakiens. Plusieurs organisations ont également dénoncé l’absence de réaction ferme des deux pays, comme l’Organisation de la Coopération Islamique (organisation intergouvernementale regroupant 57 Etats et siégeant aux Nations Unies). Le 15 août, les services de renseignements danois estimaient que le niveau d’alerte terroriste dans le pays se situait à quatre sur une échelle de cinq.

Ces actes symboliques ont donné lieu à une série de réactions enflammées. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ces événements posent la question du blasphème, on s’en est pris à un objet hautement sacré. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’a priori le blasphème n’existe pas dans l’Islam. Dans d’autres religions, comme le christianisme, on peut recenser un certain nombre d’objets ou de lieux sacrés, dont l’attaque constitue un blasphème : l’eucharistie, l’hostie consacré, la croix… En revanche, le livre lui-même n’est pas considéré comme sacré. Dans l’Islam, ces objets sacrés n’existent pas, à part peut-être la Mecque. Et initialement, le texte du Coran est clair concernant les moqueries et les critiques envers la religion : il invite à s’en détacher, à les « excuser ». Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que cette conception a fait l’objet de modifications progressives. Vers les 7e et 8e siècles, lorsqu’on a mis les textes du Coran à l’écrit, on a commencé à sacraliser le texte, à le considérer comme éternel. Et au 9e siècle, un glissement s’est effectué et c’est le livre-même qui a commencé à être considéré comme sacré, intouchable. C’est là qu’on a qualifié juridiquement le blasphème en droit islamique, le « tajdif ». Quand les Etats musulmans modernes sont devenus indépendants, ils ont adopté des systèmes juridiques imités des systèmes européens, à la différence près qu’ils y ont ajouté le tajdif. Ce concept de blasphème est toujours présent dans ces Etats aujourd’hui.

Pourquoi des individus décident-ils de s’en prendre à ces symboles en ce moment ?

On se trouve actuellement dans une époque d’interrogation sur les identités – française, européenne, danoise, suédoise. L’immigration des années 1975 a été absorbée, mais depuis dix ans on en observe une nouvelle venue notamment du Moyen-Orient. Or la capacité d’intégration de nos « vieilles nations » ne va pas assez vite. Dans la société, cela crée des débats entre ceux qui estiment que l’on est citoyen par droit, et ceux qui estiment qu’on l’est par culture. Et les discours politiques n’aident pas forcément : quand on parle des questions religieuses avec trop de condescendance, en bas de l’échelle cela encourage la violence. On aurait besoin de davantage de pertinence dans les discours. Il est donc clair qu’il y a une certaine intentionnalité derrière les attaques sur le Coran. Ces gens connaissent parfaitement le scrupule de ces pays vis-à-vis du Coran. Là aussi, on peut remonter dans l’histoire. Déjà à l’époque des Croisés, on piétinait parfois le livre sacré pour s’en prendre aux musulmans. Ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre aujourd’hui. Ces personnes croient que leur civilisation est attaquée, elles font appel comme mécanismes de défense à des modèles très anciens.

Les opposants au projet de loi danois d’interdiction de la dégradation des livres et objets sacrés estiment qu’une telle mesure va à l’encontre de la liberté d’expression. Êtes-vous du même avis ou pensez-vous qu’une interdiction puisse résoudre cette situation ?

Je pense qu’on peut entendre l’argument de la liberté d’expression. Mais quand on mobilise ce concept, il faut être cohérent, on ne peut pas l’utiliser uniquement quand il va dans notre sens. Et en droit, la liberté d’expression est limitée, elle s’arrête à l’ordre public, ce n’est pas un principe absolu. En revanche, une interdiction me semble compliquée à mettre en place d’un aspect juridique. C’est un projet assez étonnant. Il est rare qu’un objet soit un objet de droit, normalement le droit s’occupe plutôt des personnes. Pour interdire la profanation du Coran, il faudrait en faire un objet de droit spécifique et c’est inhabituel. Cela pose aussi la question de l’intention : est-ce que si je marche sans faire exprès dessus, c’est illégal ? L’intentionnalité est une notion difficile à définir.

De quelles autres solutions dispose-t-on ?

Pour moi, l’issue, c’est l’éducation, pas l’interdiction. L’éducation de tous, c’est essentiel pour vivre ensemble dans des sociétés multiculturelles. Il faut apprendre à respecter l’autre dans ce qu’il a de sacré, même si on le méprise. Parce que le problème de la réponse répressive, c’est que ce n’est pas une solution à long terme.

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