Budget des armées : le sénateur Cédric Perrin appelle à être suffisamment dissuasifs « dans ce monde de carnassiers »

Budget des armées : le sénateur Cédric Perrin appelle à être suffisamment dissuasifs « dans ce monde de carnassiers »

À l’instar d’autres dirigeants européens, Emmanuel Macron a estimé qu’il fallait « dépenser davantage » dans notre défense, et « revisiter nos choix budgétaires », après les récentes déclarations de Donald Trump sur le conflit ukrainien. « Il faut que l’on ait les moyens d’être suffisamment dissuasifs », acquiesce le sénateur Cédric Perrin.
Guillaume Jacquot

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Le réveil est brutal dans les capitales européennes, depuis le ton conciliant adopté par Donald Trump envers la Russie de Vladimir Poutine. La crainte d’un désengagement américain dans le soutien à l’Ukraine, voire d’un retrait sur le flanc oriental de l’Otan, amène nombre de pays européens à interroger leur niveau de dépenses militaires. Plusieurs gouvernements se positionnent en faveur d’une accélération les investissements dans la défense, en particulier le Danemark, la Finlande ou encore la Pologne.

En France, Emmanuel Macron a également « sonné le tocsin » tout au long de cette semaine, qui s’est ouverte par un sommet européen à Paris lundi entre les principaux dirigeants européens. Après avoir consulté les chefs de partis à l’Élysée jeudi, le chef de l’État a ensuite répondu à des questions d’internautes, en direct sur les réseaux sociaux dans la soirée. Le chef des Armées a fait passer un message essentiel : il va falloir « dépenser davantage ». « J’ai la conviction qu’on rentre dans une ère nouvelle et elle va nous imposer des choix. Et donc on va devoir aussi revisiter nos choix, nos choix budgétaires, nos priorités nationales dans ce monde qui commence », a-t-il déclaré.

Son Premier ministre n’a pas dit autre chose ce matin, à la sortie d’une réunion avec les directeurs des administrations centrales. « On se croyait dans un univers en sécurité, et tout d’un coup, on est dans un univers où les pires menaces deviennent possibles. On sait une chose : il faudra dégager les moyens pour ça », a déclaré le Premier ministre.

Passer d’un effort de 2 % du PIB à 3,5 % ?

Donald Trump avait déjà donné le ton, avant son investiture Le 7 janvier, lors d’une conférence de presse, le président élu avait estimé que les États membres de l’Otan devraient accroître la part de leurs dépenses militaires, à 5 % de leur PIB. « Ils devraient être à 5 %, pas 2 % », a assuré le nouveau locataire de la Maison Blanche.

« Je ne sais pas si 5 % c’est le bon niveau pour la France, mais en tout cas, il va falloir monter », a indiqué Emmanuel Macron lors de son live, face caméra. Le président de la République a également abordé la question hier, lors de la rencontre avec les responsables politiques « au format Saint-Denis ». « Hier, le sujet a plutôt tourné autour des 3,5 % [du PIB] », relate Cédric Perrin (LR), le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, au Sénat. Selon les données du SIPRI, ce ratio correspond à ce que la France dépensait en 1970 pour son armée. Une autre époque.

« Il faut que l’on ait les moyens d’être suffisamment dissuasifs », selon le président de la commission de la défense au Sénat

« On n’a pas d’autre solution. Cela permettrait juste de reconstruire l’armée qu’on a malheureusement un peu perdue, à la suite des dividendes de la paix. Si on ne fait pas ces efforts absolument nécessaires, c’est tout le reste qui sera impacté, à commencer par l’économie. Il faut que l’on ait les moyens d’être suffisamment dissuasifs pour ne pas être une proie dans ce monde de carnassiers », insiste le sénateur du Territoire de Belfort.

Pour donner une idée de l’effort à entreprendre, cela reviendrait à la France de quasiment doubler ses dépenses militaires, par rapport au niveau qui était le leur en 2018, à la veille de la promulgation de la première loi de programmation militaire. Une nouvelle programmation se déploie, depuis son adoption et sa promulgation en 2023. Dans le budget 2025, les moyens de la défense ont ainsi progressé de 3,3 milliards d’euros.

Si bien qu’actuellement, la France consacre désormais officiellement 2,1 % de sa richesse annuelle dans la défense, mais le chiffre intègre le paiement des pensions. « On est à 1,7 % du PIB pour les forces armées », nuance la sénatrice socialiste Hélène Conway Mouret, rapporteure pour avis sur le programme « équipement des forces » dans les lois de finances.

L’ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger, estime qu’une nouvelle augmentation du budget de la défense serait « bienvenue ». « Pendant des décennies on a sous-investi, et donc nous nous retrouvons avec un budget qui est, depuis quelques années, un budget de réparation », rappelle la sénatrice. Il y a deux ans, le président Perrin avait déjà estimé que la LPM était insuffisante dans son envergure, appelant à mettre au moins 450 milliards sur 7 ans, et non 413 comme le prévoit le texte adopté.

« On se retrouve aujourd’hui en difficulté », relève le rapporteur général du Budget au Sénat

La nouvelle donne géopolitique qui bouleverse l’agenda européen intervient au pire moment pour les finances publiques françaises, en mauvaise posture. Le budget 2025, tout juste promulgué, prévoit un déficit de 5,4 % cette année. « À force d’avoir fait la sourde oreille devant la dégradation de nos comptes publics, on se retrouve aujourd’hui en difficulté », observe le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson (LR). En cas de « risque d’affaiblissement » des Européens, le sénateur estime que cette question de la défense pourrait devenir une « priorité ».

Si Emmanuel Macron a évoqué hier l’idée d’un nouveau « financement en commun européen », sur le modèle de ce qui a été réalisé pendant la pandémie en 2020, il n’empêche, chaque pays devra au bout du compte mettre la main au porte-monnaie pour rembourser un éventuel emprunt. « On doit avoir un vrai sursaut de l’ambition européenne, avec une nécessité d’une Union européenne de la défense. On doit prendre une part. Évidemment, vu l’état de nos comptes, il faudrait faire beaucoup d’économies pour ne pas avoir besoin de faire d’emprunt. Il y a un enjeu de souveraineté », note au passage Jean-François Husson.

Livret d’épargne pour la défense : un texte du Sénat prêt à être transmis aux députés

L’un des autres leviers pourrait consister à proposer aux Français de flécher une partie de leurs économies, contre promesse d’une rémunération. Emmanuel Macron n’a « pas exclu » de « lancer des produits d’épargne » pour soutenir le financement de programmes de défense.

Le Sénat bataille depuis plusieurs années pour introduire un produit d’épargne de ce type. L’idée consiste à flécher une partie des fonds collectés dans le cadre du livret A, dans la section qui ne concerne pas le logement social (relire notre article). Refusée par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire l’an dernier, la proposition de loi de Pascal Allizard (LR) pourrait donc connaître une deuxième vie dans les prochains mois. « La majorité présidentielle avait refusé l’inscription à l’ordre du jour. J’appelle à la cohérence et à inscrire cette proposition de loi, pour qu’on puisse travailler sur le sujet », demande Cédric Perrin.

La revue nationale stratégique en ligne de mire

Reste une autre question essentielle, avant toute augmentation significative du budget : où flécher les milliards supplémentaires ? « L’argent on peut le dépenser très rapidement. Il n’y a aucun souci. Mais dépenser deux fois plus, passer de 2 % à 4 % du PIB, ça ne va pas permettre de faire deux fois plus d’un coup. C’est absolument impossible. Il faut repenser en fait la façon dont on a jusqu’à présent conçu nos armées », prévient Hélène Conway Mouret.

La préparation de la prochaine revue nationale stratégique (RNS), qui doit être remise à Emmanuel Macron, permettra de répondre à cet éventuel changement d’échelle de nos armées. « Le président de la République m’a répondu qu’il y avait des décisions rapides, à prendre en mars », relate le sénateur Cédric Perrin. En matière de cohésion entre les Etats membres, la Commission européenne doit également remettre son Livre blanc sur la Défense, dans l’optique du Conseil des 20 et 21 mars. Les sénateurs de la commission des affaires étrangères espèrent un sursaut dans la solidarité européenne, notamment au niveau de l’autonomie matérielle. « Le risque avec Donald Trump, c’est qu’il fasse pression sur les pays pour qu’ils achètent américain », redoute Cédric Perrin.

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