Captagon, la drogue développée en Syrie
A Syrian member of the rebel group shows materials for manufacturing amphetamine pills known as Captagon, at the warehouse where the drug was manufactured before the fall of Bashar Assad government at a facility in Douma city, outskirts of Damascus, Syria, Friday, Dec. 13, 2024. (AP Photo/Hussein Malla)/XHM112/24348421110119//2412131256

Captagon : « La Syrie de Bachar al-Assad était un narco-Etat »

Parfois décrite comme la « république du Captagon », la Syrie de Bachar al-Assad a longtemps été la plaque tournante du trafic de cette drogue de synthèse au Proche et Moyen-Orient. Avec la chute de la dictature, c’est tout un système narcotique régional qui se trouve également déstabilisé. Décryptage avec David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan).
Steve Jourdin

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Le captagon a parfois été décrit comme la « drogue du jihad ». Pourquoi ? 

 

Le Captagon est dérivé d’un médicament psychotrope occidental commercialisé dans les années 1960 pour traiter les troubles de l’attention, jusqu’à son interdiction dans les années 1990 pour cause d’effets secondaires notoires. Son principe actif originel était la fénétylline, une drogue de synthèse de la famille des amphétamines, qui n’est plus produit légalement dans aucun pays depuis la fin des années 2000. Les comprimés de Captagon saisis ces dernières années seraient donc en réalité des ersatz de la molécule d’origine. En d’autres termes, Captagon n’est qu’un nom de rue pour l’amphétamine, Les pilules vendues aujourd’hui sous le nom de Captagon ne contiennent que rarement de la fenéthylline et sont généralement fabriquées à partir d’un cocktail de substances courantes et/ou de précurseurs pharmacologiques, notamment la caféine, l’amphétamine et la théophylline [un psychostimulant proche de la caféine]. Les formules sont adaptées en fonction des ressources disponibles, y compris les produits pharmaceutiques détournés et les composés pré-synthétisés.

 

Elle a été associée – parfois de manière abusive, même si elle a pu effectivement être utilisée par divers combattants dans la guerre civile et au-delà – à la « drogue du djihadiste », au motif qu’elle lèverait toutes les inhibitions en favorisant l’agressivité au combat. Mais les principales destinations de la drogue concernent surtout les pays de la Péninsule Arabique en général et l’Arabie saoudite en particulier puisqu’elle est la première consommatrice au monde de cette pilule à vocation plutôt « récréative » poétiquement appelée Abu Hilalain, (« père des deux demi-lunes ») d’après les deux lettres CC pour « Captagon », en référence – non sans ironie – au symbole lunaire de la culture musulmane.

 

 

Comment la Syrie d’Assad est-elle devenue la plaque tournante du trafic dans la région ?

 

La Syrie est devenue la principale productrice de Captagon dont les revenus estimés se monteraient à quelque 5 milliards de dollars selon certaines des estimations les plus récentes. Un chiffre à mettre en perspective avec le budget de l’Etat syrien qui avait chuté à quelque 3 milliards de dollars après 2022. La production de Captagon a été une manière de pallier le manque de ressources du pays ravagé par une décennie de guerre civile et étranglé par les sanctions économiques, amplifiées par l’adoption en décembre 2019 d’une loi par les Etats-Unis (la « Loi César » qui établit  de nouvelles sanctions contre la Syrie).

 

A la faveur du renversement du régime, le 8 décembre dernier, dans la grande mosquée des Ommeyyades de Damas, Abou Mohammad al-Joulani, le chef du Hayat Tharir al Sham (HTS) a déclaré vouloir débarrasser le pays du captagon en accusant le dictateur déchu d’avoir transformé la Syrie « en plus grand fabricant de captagon dans le monde ». Une manière aussi de tenter de rassurer le monde extérieur et notamment les pays du Golfe dont l’aide financière à la reconstruction du pays est plus que jamais indispensable.  

 

Le captagon est au centre de forts enjeux diplomatiques…

Le fait est que l’une des conditions à la réintégration de la Syrie de Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe rendue possible par la levée du veto saoudien, – une réintégration devenue effective en mai 2023 -, avait précisément été celle d’un engagement du raïs de Damas de lutter contre le trafic de captagon. Des rumeurs avaient même porté sur une aide éventuelle de plusieurs milliards de dollars de la part de Riyad pour pallier les pertes financières que cela impliquerait pour le régime syrien. Un engagement que Bachar al-Assad n’a pas été en mesure de tenir, tant le régime était dépendant de cette manne dérivée du trafic largement supervisé par la 4ème division de son propre frère, Maher al-Assad, en étroite « association » avec le Hezbollah du Liban dont l’aéroport de Beyrouth était d’ailleurs le principal hub de redistribution des fameuses pilules.

 

Dans quelle mesure le Hezbollah libanais va-t-il souffrir de l’assèchement du trafic ?

Le Hezbollah était lui-même partie prenante du commerce de captagon, en plus de ses activités traditionnelles de production de cannabis dans la vallée de la Bekaa. Cela avait été favorisé par la diminution sensible des flux financiers en provenance de Téhéran subissant de plus en plus l’effet des sanctions américaines. Il fallait donc pallier ce déficit de financement et trouver de nouvelles activités. Le captagon s’est trouvé être l’un des options. Le nombre de laboratoires clandestins s’est de fait multiplié aussi bien en Syrie qu’au Liban. Le renversement du régime de Damas ne sera sans doute pas sans conséquences non plus sur le financement du mouvement chiite libanais, par ailleurs considérablement affaibli par la guerre d’attrition menée par Israël au Liban comme en Syrie voisine, où il faisait l’objet de frappes récurrentes de la part de Tsahal ces dernières années.

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