Paris : QAG au Sénat

CETA : à l’approche d’un vote crucial, la tension monte au Sénat

Des divisions au sein de la majorité sénatoriale se font jour entre le groupe LR et son allié centriste au Sénat sur l’opportunité de voter dès la semaine prochaine sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Hervé Marseille et ses collègues veulent un renvoi en commission, craignant que le projet de loi de ratification soit sacrifié sur « l’autel des postures politiques ».
Guillaume Jacquot

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Jour J pour une séance que beaucoup appelaient de leurs voix depuis des années. Le Sénat va pouvoir trancher le 21 mars sur le CETA, l’accord économique et commercial global conclu entre l’Union européenne et le Canada. Le projet de loi ratifiant ce traité avait été adopté de justesse à l’été 2019 à l’Assemblée nationale, mais le processus n’avait pas été plus loin, faute d’inscription à l’agenda du Sénat par le gouvernement. Dans une démarche inattendue, le groupe communiste a décidé le mois dernier de placer le texte au menu de sa journée réservée – sa niche parlementaire selon la formule consacrée – afin de permettre à la totalité du Parlement de se prononcer sur les dispositions.

Opposé aux traités de libre-échange, le groupe en fait l’une de ses réponses à la crise agricole. Les communistes ont bon espoir que le Sénat rejette la ratification du CETA. Aux groupes de gauche devrait s’ajouter une large partie des Républicains, le premier groupe au Sénat en termes d’effectif, de quoi s’assurer une confortable majorité. Les 12 et 13 mars, la commission des affaires économiques, et la commission des affaires étrangères se sont positionnés contre la ratification du CETA.

« L’avenir de cet accord peut être menacé sur l’autel des postures politiques », redoute le groupe Union centriste

L’incertitude sur l’issue du processus dans l’hémicycle devrait donc être relativement limitée. Mais la tournure que prend le débat rend mal à l’aise l’Union centriste (UC), le partenaire des Républicains au Sénat. Le groupe présidé par Hervé Marseille, a déposé le jeudi 14 mars, une motion de procédure, qui sera débattue en séance après l’intervention du gouvernement et des rapporteurs. Si celle-ci était adoptée, elle aurait pour effet de suspendre immédiatement le débat et de renvoyer le texte en commission.

Les centristes « regrettent » que les conditions « permettant la tenue d’un débat parlementaire de qualité ne soient aujourd’hui pas réunies ». Plaidant pour la mise en place d’un cycle d’auditions et un bilan « objectif » du CETA, ils estiment que le maintien de la date du 21 mars est « précipité » et plaident pour un examen en dehors d’une niche parlementaire. « Dans le climat de vives tensions que connaît le monde agricole, l’avenir de cet accord peut être menacé sur l’autel des postures politiques et des enjeux politiciens », insistent surtout les troupes d’Hervé Marseille, le président de l’UDI, dont le parti entend se rapprocher de Renaissance aux européennes.

« On voit qu’il y a des choses qui ne fonctionnent plus correctement au Sénat », dénonce le centriste Olivier Cadic

Olivier Cadic, sénateur UC des Français établis hors de France, et membre de la commission des affaires étrangères, ne mâche pas ses mots à l’égard des LR, qu’il accuse de vouloir faire « un coup politique » à travers ce vote. « On voit qu’il y a des choses qui ne fonctionnent plus correctement au Sénat. On le voit avec les deux rapports qui ont été faits ». Le parlementaire met notamment en cause le rapport de Laurent Duplomb (LR), qu’il qualifie de « tract ». Le rapport du sénateur, éleveur et référant du groupe LR sur les questions agricoles fait état d’un « impact macroéconomique négligeable » pour la France et insiste en particulier sur les « coûts d’ajustement disproportionnés pour la viande bovine ». « On est en train de parler d’un accord global, on ne peut pas le limiter au bœuf », s’alarme Olivier Cadic, qui rappelle les « gains patents » dans le textile, le vin, les fromages, du côté français.

Mercredi, l’ancienne présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, motivait la position de ses collègues dans l’Opinion : « C’est un coup de gueule symbolique contre le gouvernement. Il s’essuie les pieds sur la représentation nationale. Nous voulons plus de transparence. À la lumière de la crise agricole, nous voulons la protection transversale des filières cruciales comme l’agriculture dans ces grands accords. »

Craignant un mauvais signal la semaine prochaine en direction des 17 Etats européens sur 27 qui ont ratifié le CETA, Olivier Cadic appelle à reprendre la voie vers un débat « apaisé » et à réengager un travail approfondi en commission.

En commission des affaires étrangères, tous les sénateurs LR n’ont pas refusé la ratification. « Lors du vote de mercredi, nous étions quelques-uns à exprimer un avis favorable », relate Ronan Le Gleut (LR). « Il faut regarder l’accord du CETA dans sa globalité. Il est favorable au commerce extérieur français. La suppression des barrières douanières a eu un effet positif pour notre économie », défend le sénateur, qui appelle par ailleurs à ne pas jeter l’autre versant du projet de loi, trop souvent oublié. « Au-delà de l’aspect commercial, il y a un aspect stratégique, un accord bilatéral avec un pays allié, encore plus particulier avec sa région francophone qui est le Québec », insiste-t-il.

L’adoption de la motion centriste de renvoi en commission est loin d’être gagnée. En ajoutant les membres du RDPI (Renaissance), des Indépendants (Horizons et divers droite) ou encore de quelques radicaux du RDSE, l’UC pourrait compter sur une centaine de voix, loin des 174 requises pour former une majorité. Il faudrait que la moitié du groupe LR accepte de les suivre. « Nous sommes minoritaires, mais pas isolés », estime Ronan Le Gleut.

Une motion « pas dans la tradition du Sénat », selon la sénatrice communiste Cécile Cukierman

La demande des centristes surprend Cécile Cukierman, la présidente des sénateurs communistes, qui sont à l’origine de l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi de ratification. « Je l’ai découverte hier comme tout le monde, je pense que ce n’est pas la tradition du Sénat de faire cela dans le cadre d’une niche parlementaire », s’étonne la sénatrice de la Loire. « Chacun est libre d’utiliser les procédures législatives qui existent, mais si le renvoi était voté, cela voudrait dire qu’on a, avant la discussion générale, la fin d’un débat, que nous tous avons pourtant majoritairement demandé ». Le 15 avril 2021, le Sénat avait demandé au gouvernement de façon presque unanime (309 voix pour, 35 abstentions) de soumettre enfin au Sénat le projet de ratification, à travers une résolution portée par le groupe communiste.

« Pour le coup, notre niche est annoncée depuis un certain nombre de semaines. Il est toujours compliqué d’utiliser les procédures législatives pour repousser un débat, car il y a un désaccord politique avec celui-ci », estime Cécile Cukierman. L’an dernier, la majorité sénatoriale en a fait la même expérience, en examinant trois motions de procédure en amorce du débat sur la réforme des retraites. Pour rappel, la durée d’examen d’un texte dans le cadre d’une niche parlementaire est limitée, et certains pourraient être tentés de jouer la montre.

Le dépôt d’une motion de renvoi en commission interpelle d’autres sénateurs de gauche, comme Mélanie Vogel. La sénatrice considère, pour sa part, qu’il s’agit d’une « combine » de la majorité sénatoriale et du centre. « Son adoption voudra dire qu’il n’y pas de position sur le fond, car on vote sur la motion et non pas sur le projet de loi », analyse-t-elle. Autre conséquence d’un tel scénario : le texte sera « renvoyé aux calendes grecques », selon elle.

« Sereine », Cécile Cukierman n’exclut cependant pas de nouveaux « rebondissements », d’ici la séance du jeudi 21 mars. « Jusqu’au dernier moment il va y avoir un vrai débat », anticipe-t-elle. Les sollicitions, dans un sens ou dans l’autre, se sont multipliées ces derniers jours. Interbev, l’interprofession bétail et viande, a appelé les sénateurs à « ne pas ratifier l’accord en l’absence de clauses miroirs ». Plusieurs sénateurs ont également reçu il y a quelques jours un courrier de l’ambassade du Canada en France. « Je ne pensais pas que ça prendrait une telle ampleur. Preuve en est que le CETA n’est pas quelque chose d’anecdotique », constate Cécile Cukierman.

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