Climate World Court
NYAG137/25204619370626//2507231916

Climat : la Cour internationale de justice rend un « avis historique » qui ouvre la voie à des « réparations »

Dans un avis rendu le 23 juillet, la Cour internationale de justice précise les obligations des Etats en matière climatique ainsi que les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de non-respect de leurs obligations. Un avis historique qui pourrait révolutionner le contentieux climatique.
Henri Clavier

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Rarement un avis de la Cour internationale de justice aura été autant scruté (CIJ). Il faut dire que la décision rendue par la plus haute juridiction des Nations Unies, qui siège à La Haye, n’a rien d’anodine puisqu’elle reconnaît et précise les obligations qui incombent aux Etats en matière climatique. La Cour estime notamment que les Etats qui violent leurs obligations climatiques commettent un acte « illicite » et peuvent être condamnés à des « réparations intégrales aux Etats lésés ». Les juges avaient été saisis par l’Assemblée générale des Nations Unies à la suite d’une requête formulée par des étudiants de l’archipel du Vanuatu qui demandait à la Cour une interprétation juridique du droit international sur le climat. Fait rare, les juges de la CIJ se sont prononcés à l’unanimité sur cet avis qui est le premier rendu par la Cour en matière climatique. Avant de rendre sa décision, les juges de La Haye ont entendu une centaine de plaidoiries d’Etats et d’organisations internationales, un record. 

« Il s’agit d’une victoire pour notre planète, pour la justice climatique et pour la capacité des jeunes à faire bouger les choses », a réagi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un communiqué. L’Union européenne a souligné jeudi « l’importance » de la décision de 140 pages. 

« L’avis permet surtout d’éclairer sur l’état du droit international et de poser de façon plus claire les obligations des Etats », explique Eglantine Canale Jamet, avocate en droit international et membre de la délégation des Seychelles dans cette affaire. Néanmoins, l’avis consultatif de la Cour n’est pas directement contraignant pour les Etats. 

« L’avis n’est pas contraignant, mais il sert de guide d’interprétation pour les Etats » 

Même s’il n’est pas contraignant, l’avis de la CIJ devrait rapidement produire des effets juridiques. En effet, les avis de la Cour ne sont pas une source directe du droit, c’est-à-dire qu’une juridiction ne peut pas s’appuyer uniquement sur cet avis pour motiver une décision. Cependant, la décision permettra d’apporter des précisions dans l’interprétation des principales sources du droit international en matière climatique et notamment l’accord de Paris. « L’avis n’est pas contraignant, mais il est historique car il sert de guide d’interprétation pour les Etats et pour les juges nationaux qui sont saisis de milliers de contentieux dans le monde en matière climatique », avance Sabine Lavorel, professeure de Droit public à l’Université de Grenoble Alpes et spécialiste en droit international public et en droit de l’environnement. 

Ouvrir la voie à des réparations 

Ces précisions seront précieuses pour évaluer la responsabilité des Etats en cas de non-respect de leurs obligations climatiques et donc ouvrir la voie à des réparations. Ainsi, alors que la plus haute juridiction des Nations Unies fait du changement climatique une « menace urgente et existentielle », l’incapacité à prendre des mesures pour faire diminuer l’émission de gaz à effet de serre « peut constituer un fait internationalement illicite attribuable » à un État. 

« La Cour affirme que la production et l’utilisation de combustibles fossiles, l’octroi de licences d’exploitation et de subventions pour les énergies fossiles peuvent engager la responsabilité des Etats. Elle dit aussi que les réparations pourraient impliquer la reconstruction d’infrastructures, la restauration d’écosystèmes ou des compensations financières », pointe Eglantine Canale Jamet. Néanmoins, pour ouvrir la porte à des réparations, les requérants devront démontrer le lien de causalité entre le fait illicite commis par un Etat et le préjudice subi. « La CIJ évoque un lien de causalité direct et certain entre le fait illicite et le préjudice causé ce qui peut poser problème aux juges saisis de ce contentieux pour faire le lien entre le fait illicite et le préjudice », anticipe Sabine Lavorel. 

La protection de l’environnement, une partie du droit international coutumier 

Autre point majeur de l’avis, la Cour rattache les obligations climatiques des Etats à la protection des droits de l’Homme faisant ainsi de la protection de l’environnement une règle du droit international coutumier. « La Cour estime que les obligations climatiques des Etats ne sont pas uniquement dans les traités et donc que les obligations incombent également aux Etats qui ne sont pas signataires des principaux traités en matière climatique (la Convention cadre des Nations Unies sur le climat, le Protocole de Kyoto et l’accord de Paris) », analyse Sabine Lavorel. Concrètement, cela signifie que la protection de l’environnement, en tant que règle de droit international coutumier, pourra être utilisée devant n’importe quelle juridiction nationale pour engager la responsabilité d’un Etat. Une manière « d’augmenter le volume du contentieux climatique, ce qui était l’objectif recherché », souligne Eglantine Canale Jamet. 

Cette reconnaissance devrait faire naître un contentieux climatique important, y compris dans les Etats qui n’ont pas signé les traités internationaux en matière climatique. Ainsi, un juge américain pourrait se saisir de ces éléments pour engager la responsabilité de l’Etat américain en matière climatique, même si les Etats-Unis se sont retirés de l’accord de Paris. En revanche, l’effet devrait être modéré en Europe où les Etats européens ont déjà très largement intégré les normes découlant du droit international climatique. En France, la responsabilité de l’Etat avait déjà été engagée en matière climatique dans le cadre de « l’affaire du siècle ». 

L’ouverture d’un contentieux entre Etats 

Enfin, et c’était l’une des principales demandes des Etats insulaires ayant formé le recours devant la CIJ, il sera possible pour un État d’exiger des réparations auprès d’un autre État en raison d’un fait illicite produisant des conséquences négatives en matière climatique. Un enjeu majeur pour les Etats insulaires subissant la montée des eaux.

Pour cela, il faudra néanmoins que l’Etat visé par la plainte reconnaisse la compétence de la Cour internationale de justice ou accepte d’être jugé pour un contentieux précis. Une limite évidente dans la mesure où les deux plus grands pollueurs mondiaux, la Chine et les Etats-Unis, ne reconnaissent pas la compétence obligatoire de la Cour. La France n’est pas non plus concernée puisqu’elle a retiré sa reconnaissance de compétence en 1974 à la suite de sa condamnation dans l’affaire des essais nucléaires.

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