En quoi ce procès est-il historique pour le Brésil, et en quoi se distingue-t-il des précédentes condamnations d’anciens présidents comme Lula ?
Il y a déjà eu des condamnations d’anciens présidents. Lula, mais aussi Fernando Collor au début des années 1990. Dans les deux cas, il s’agissait d’affaires de corruption : corruption passive et blanchiment pour Lula, corruption pour Collor. Mais Lula a été innocenté ensuite, son procès ayant été jugé partial. Ce qui est inédit aujourd’hui, c’est la nature des faits reprochés. Jair Bolsonaro est condamné pour tentative de coup d’État. C’est une différence de nature et un précédent majeur.
Comment la Cour suprême justifie-t-elle la condamnation de Bolsonaro ?
La Cour suprême brésilienne a des pouvoirs étendus : elle peut diligenter des enquêtes de police, ce qui a été le cas contre Bolsonaro. L’instruction a démontré que l’ex-président, avec des complices et des militaires, avait fomenté un plan pour ne pas reconnaître le résultat de l’élection de 2022. Les émeutes du 8 janvier 2023 à Brasília, menées par ses partisans, en ont été la traduction concrète.
La justice brésilienne est institutionnellement indépendante, mais ses liens avec le pouvoir politique sont ambivalents. Dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’une décision politique, même si Bolsonaro le prétend. Alexandre de Moraes, le juge le plus sévère à son encontre, est issu de la droite, pas du camp de Lula. Cela relativise l’argument d’une « justice aux ordres de la gauche », aujourd’hui mis en avant par les bolsonaristes.
L’an prochain, les Brésiliens éliront un nouveau président. Quelles conséquences cette condamnation peut-elle avoir sur le scrutin ?
Le Brésil reste un pays profondément polarisé. Si Bolsonaro termine sa vie en prison, le bolsonarisme ne disparaîtra pas. Le mouvement est très fort, en particulier au Congrès. Son noyau dur va même se radicaliser : pour ses partisans, il est « le mythe », une figure héroïque. Il pourrait aujourd’hui devenir un martyr.
Cette décision va donc renforcer la polarisation : d’un côté, un camp démocratique qui se félicite de cette victoire judiciaire ; de l’autre, une base radicalisée. À terme, l’élimination politique de Bolsonaro ouvrira la voie à de nouveaux leaders d’extrême droite. On assiste à une recomposition.
Donald Trump a exprimé son soutien déterminé à Bolsonaro. Comment ces prises de position sont-elles perçues au Brésil ?
Très mal. Les Brésiliens sont extrêmement sensibles aux questions de souveraineté nationale. Même dans des secteurs conservateurs, les propos de Trump ne passent pas. Le gouverneur de São Paulo, Tarcísio de Freitas, qui pourrait devenir un futur leader de la droite brésilienne, a pris ses distances avec Donald Trump. Ces ingérences renforcent Lula et l’idée qu’au Brésil, c’est aux Brésiliens et à eux seuls de décider.
Cette crise va-t-elle encore dégrader les relations entre le Brésil et les États-Unis ?
Les relations sont déjà très mauvaises. Sous Donald Trump, le Brésil a été le pays le plus frappé au monde par les taxes douanières décidées par le président américain : jusqu’à 50 % sur certains produits. C’est exceptionnel, car ce n’était pas motivé par un déficit commercial ou une concurrence déloyale, mais pour des raisons exclusivement politiques.
Plus Trump cherchera à interférer dans les affaires internes du Brésil, plus la réaction de Brasilia sera ferme. Les sanctions frappent de plein fouet les exportateurs brésiliens vers les États-Unis, notamment l’agrobusiness, les exportations agricoles et l’aéronautique. Mais le marché américain, s’il est significatif pour ces secteurs économiques, n’est pas indispensable. Une bonne partie de ces exportations peut être réorientée vers d’autres partenaires, en particulier la Chine et l’Inde. D’ailleurs, depuis la politique protectionniste de Trump, Brasilia et New Delhi ont accéléré leur rapprochement.